Les journalistes français n’ont cessé d’écrire et de dire qu’au Gabon, le « méchant » était le président sortant Ali Bongo et le « gentil », Jean Ping son challenger. Le « méchant » l’ayant emporté sur le « gentil », et comme les Gabonais n’ont évidemment pas voté pour un dictateur, c’est donc que ce dernier a bourré les urnes. Hypothèse probable. Mais qui peut assurer qu’il n’en fut pas de même chez son concurrent, hormis le fait que les opposants au président Bongo sont par définition de vrais démocrates et leur leader, Jean Ping, l’incarnation du renouveau politique et de la moralité face à un despote corrompu ?
Abandonnant toute distanciation, les médias français n’ont pas dit, ou alors du bout des lèvres, que Jean Ping, ce « chevalier blanc », un homme de 74 ans, était un pur produit de la machine Bongo. Ami du Parti socialiste français, ce profiteur du régime qu’il dénonce aujourd’hui, fut en effet ministre d’Omar Bongo durant 18 ans, de 1990 à 2008. Il a bénéficié de toutes ses « largesses ». D’autant plus qu’il fut le mari de sa richissime fille, Pascaline Bongo, avec laquelle il a eu 2 enfants.
Que l’on ne se méprenne pas. Je ne prends pas ici position dans l’affaire gabonaise. Et encore moins dans ses magouilles électorales. Je me contente, à l’occasion de ce nouvel échec de la greffe démocratique en Afrique, de dénoncer l’arrogance et l’aveuglement de la caste médiatico-politique française.
Le plus grave est que les leçons de l’histoire ne l’éclairent pas. Deux exemples :
– Au mois de mars 2016, à l’occasion des élections au Bénin, les perroquets de presse avaient les « yeux de Chimène » pour M. Lionel Zinzou, véritable clone des élites parisiennes. Or, soutenu jusqu’à l’indécence par les médias français, ce proche de Laurent Fabius moulé dans la pensée unique a été battu par Patrice Talon, un self made man local.
– Au Congo Brazzaville, également au mois de mars dernier, le président sortant, le Mbochi Denis Sassou N’Guesso, avait face à lui le Kongo Guy-Brice Parfait Kolelas, fils de son ancien adversaire Bernard Kolelas. Dans cette répétition électorale de l’atroce guerre civile de la fin des années 1990, les médias français ont outrageusement pris le parti de M. Kolelas. Ce faisant, au lieu d’éteindre les braises d’un conflit toujours prêt à se rallumer, ils ont joué au contraire aux pyromanes.
Depuis bientôt quatre décennies, je soutiens que la démocratie empêche l’Afrique de démarrer. Elle y entretient en effet le désordre en y ranimant à chaque échéance électorale, les affres de l’ethno-tribalisme. Partout sur le continent, la démocratie a abouti, au « mieux » à la gabegie, au pire à l’anarchie ou à des massacres. Même à un génocide, comme au Rwanda.
L’ethno-mathématique électorale explique l’échec de la greffe démocratique car il y a incompatibilité entre le greffon et le porte-greffe. Pour une raison simple qui est que le vote africain étant communautaire, les plus nombreux l’emporteront toujours sur les moins nombreux. Le remède existe pourtant et il a un nom : le vote de groupe. Mais pour cela, le vote individuel, ce sacro-saint « one man, one vote » doit être abandonné. Un rêve en ces temps de triomphe des idéologies universalistes.
Bernard Lugan
Source : éditorial de L’Afrique Réelle N°81 – Septembre 2016
Au sommaire de ce numéro :
Actualité :
– Ethiopie : le retour du balancier ethnique
– Afrique du Nord-Sahel : quand le temps long donne la clé de lecture des conflits actuels
Dossier : L’Afrique du Sud après les élections municipales
– Résultats du scrutin municipal du 3 août 2016
– Analyse des résultats
– Les fractures de l’ANC
– La crise économique
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