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Gastronomie. Mais enfin quelle restauration voulons-nous ?

Pour la fin de l’été, le couple Pinheiro, gérant du restaurant du Pont à Basse-Goulaine, cèdera son affaire après 9 années d’activité. Frédéric Pinheiro est un cuisinier talentueux et passionné, sa patte créative n’avait pas échappé au guide des tables nantaises qui lui avait attribué l’un de ses premiers coups de cœur.

Le choix sacrificiel du frais

Il appartient à cette catégorie de chef se levant aux aurores pour se mettre en quête de produits frais au marché de Talensac, quand d’autres déambulent vers 11h sous les néons de Métro, où se font livrer à la dérobée par les camions de la société Brake. Ce choix du frais revêt de lourdes contraintes qu’une majorité de restaurants ne veut plus supporter. Une ligne de partage irréconciliable sépare les tenants d’une approche artisanale du métier de ceux soucieux de faire vite au meilleur coût. Pour ces derniers, le travail de pluche des légumes perçu comme une tâche inutile trouve un parfait remplaçant dans les sachets prêts à l’emploi et leur conception du « fait maison »s’accommode des précieux auxiliaires culinaires de l’industrie agroalimentaire.

Un métier à l’horizon de plus en plus incertain

À l’évidence, le métier de restaurateur marche à la passion pure et dure, celle qui s’entoure d’une créativité débordante et d’une bonne dose d’enthousiasme, même si cette flamme au lieu de s’éteindre finit souvent par brûler…

Ne nous trompons pas, le lot quotidien d’un chef investi dans une cuisine de produits bruts se résume à un travail de l’ombre d’une profonde ingratitude auquel s’ajoute un sacrifice personnel et familial. Rares sont les domaines d’activité qui demandent autant de prise de risque financière , d’abnégation et de rigueur pour un retour scandaleusement disproportionné. Parmi la masse d’établissements en difficulté, beaucoup échouent par une certaine improvisation prise avec les règles d’un métier complet et exigeant. Toutefois, le syndrome « cauchemar en cuisine » ne saurait ramener uniquement la faillite d’un restaurant à l’incurie de son gérant, ce qui est nouveau  relève d’échecs inattendus, essuyés par des chefs scrupuleux au savoir-faire reconnu. L’intensité des frustrations et de leurs souffrances est à la mesure du travail consenti, impuissant à récupérer la rémunération attendue. Tout le stress de la restauration se condense dans l’alternance d’une salle complète un jour et désespérément vide le lendemain, alors que l’échéance des charges fixes se rappelle avec une toute autre régularité.

L’anti-restauration

Loin de ces tourments, une forme de restauration aux contours ambivalents prospère et tend à saper les fondements d’une cuisine ambassadrice de notre prévalence culturelle en Europe et dans le monde. En fait il s’agit d’une nouvelle façon de sortir au restaurant qui évide les codes et la valeur d’un lieu de haute sociabilité avec lequel la majorité de nos concitoyens, non éduquée à l’art de la table, n’arrive plus à retrouver ses aises. Pardon d’être aussi virulent, mais même en dehors de la grande gastronomie, le restaurant cristallise une grande répulsion pour des personnes en carence de culture culinaire.

Ce n’est pas de l’accès financier au plaisir d’un restaurant dont nous parlons mais du rejet de sa symbolique par une bonne partie de la clientèle devenue étrangère à son art de vivre. Finalement, nul autre moment que celui du choix d’un plat sur un menu n’est plus compétent à révéler la méconnaissance des produits et le désintérêt par le quidam du fonds gastronomique de nos régions.

Il y a comme un malaise insidieux chez beaucoup de gens à se sentir insuffisamment éduqué pour profiter pleinement de la cuisine très personnalisée d’un chef. D’où peut-être ce besoin de se tourner vers une cuisine du tout-venant, rassurante et respectueuse des repères basiques auxquels s’accroche une clientèle qui va au restaurant par défaut ou sous la pression des événements de la vie sociale. N’est-il pas incongru et révélateur du trouble de notre époque de voir des restaurants porter l’enseigne de « com’ à la maison » ou du « com’ chez soi » ?

Un sérieux paradoxe tout de même que celui de vouloir sortir au restaurant tout en restant relié à la cuisine domestique. Une contradiction qui alimente le succès de tout un pan de la restauration de notre pays. D’énormes « machines à bouffe » qui se cachent parfois sous le vernis trompeur d’une restauration traditionnelle, fleurissent désormais dans les zones commerciales (pareille localisation en dit long sur la cible sociale de cette pseudo-restauration).

Avec ces établissements de périphérie, le client retrouve une cuisine emballée dans un concept accessible aux plus déculturés, volumineuse, souvent viandarde et grasse. Ce qui compte se déporte sur la dimension ludique et dissipe par là même toute préoccupation culinaire pour un client transposé dans un «  univers » factice,   avec ce sentiment de profiter d’un menu abondant à prix tiré…

Nous sommes au royaume du buffet ad libitum (nouvelle génération de restaurants chinois wok à volonté), à la pataterie où la qualité des pommes de terre se jauge à leur grosseur…, dans les immenses brasseries parées d’une toque folklorique en l’honneur de l’Alsace kronenbourg, chez nos bonne vieilles tantes Yvette ou Jeanne, championnes de la galette à 200 voire 300 couverts, au pays de l’entrecôte de feedlot d’hyppopotamus…

Ce type de restauration ne fait que traduire un long éloignement de la table au sein de notre mode de vie ou le temps du repas s’est raccourci et ce dernier de moins en partagé par la cellule familiale.

Tripadvisor, nouveau juge de paix

L’avènement d’une critique populaire opinant à chaud montre avec éloquence la fin de l’ère du gastronome, édifié à une « connaissance raisonnée » de tout ce qui entoure sa nourriture tel que Brillat-Savarin le définissait dans sa physiologie du goût. Ce n’est plus l’expertise des guides qui est plébiscitée, mais bien l’avis de monsieur et madame « flunch », grands ignorants de la chose gastronomique et dont l’opinion sommaire n’apporte aucun intérêt à la critique. L’avis du plus grand nombre n’a jamais étalonné le bon goût, tout juste peut-on y voir une concordance de qualité, étant entendu qu’il n’est guère possible pour le quidam de reconnaître le caractère idiosyncrasique d’une cuisine. Au fond, la perte d’influence du critique professionnel entérine à merveille le sacre d’une clientèle revancharde, jusqu’à présent tenue en marge de la gastronomie et dont la nouvelle restauration s’emploie à conquérir.

Un retour à l’instruction du goût

Alain Ducasse rappelait récemment l’impérieuse nécessité de réapprendre le goût des aliments dès le plus jeune âge. Qu’il est étonnant de constater le désintérêt de l’école par sa distanciation sur un sujet qui conditionnera la vie et les choix alimentaires des futures générations. L’enjeu d’une bonne alimentation est à la source du développement harmonieux des hommes et des sociétés. La dégénérescence d’un peuple commence par le poison de son alimentation, facteur de déséquilibre pour les organismes et de l’ensemble de son environnement sociétal.

Raphno

Restaurant du Pont, 147, rue du Grignon, 44115 Basse-Goulaine
Tél. 02 40 03 58 62

Crédit photos : DR
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