Réflexion sur la crise politique et démocratique en France [L’Agora]

democratie

Philippe Perchirin, traducteur et auteur d’essais philosophiques et politiques poursuit sa série d’articles consacrés à l’ère Macron et à ce qu’il nomme « La marche à l’abîme de la France ». Ces articles sont consacrés à la phase finale de la crise française, dont le quinquennat d’Emmanuel Macron est emblématique. 

Retrouvez les quatre premiers articles ici et ici et ici et ici

Une France traversant une triple crise existentielle, économique et sociale, politique et démocratique, civilisationnelle

  • Les 3 crises françaises, a) économique et sociale, b) politique et démocratique, c) civilisationnelle menacent désormais de faire disparaître un État français auquel les dirigeants refusent tout remède (suite)
  • La crise politique et démocratique peut également être résumée en deux termes : déficit abyssal de démocratie et illégitimité persistante de tous les gouvernements de la Ve République depuis 50 ans

Qu’est-ce qu’une démocratie ?

Toute société humaine est nécessairement traversée de conflits entre groupes humains solidarisés par des intérêts communs suivant des logiques différentes.

Il existe ici trois lignes de fractures possibles :

  • La fracture entre castes, qui sépare des groupes ayant un statut et des droits différents. Contrairement à ce qu’affirment les historiens, les castes (appelés ordres sous l’Ancien Régime) n’ont jamais disparu. Il existe actuellement deux castes en France : les fonctionnaires et les non-fonctionnaires.
  • La fracture entre classes, qui séparent les groupes en une infinité de groupes de revenus et de patrimoines très différenciés. On parler pour simplifier globalement de 3 classes, la classe riche, la classe pauvre et la classe moyenne – la plus importante pour la stabilité de l’État (aucun État ne peut perdurer à long terme sans son soutien)
  • La fracture ethnique : il est très rare d’avoir des États mono-ethniques. Les États multiethniques sont les plus courants. Signalons au passage que multiculturalisme ne veut pas dire multi-civilisationnel. Il ne peut exister d’État commun entre des peuples opposés par la civilisation. Tout État est nécessairement fondé sur des peuples qui doivent forcément parler le même langage. Comment négocier sans cela un contrat social quelconque, et donc fonder un État commun ? Nous reviendrons plus tard sur la crise civilisationnelle pour en rester dans un premier temps au problème du centralisme français.

Comme ces conflits menacent de plonger l’État à tout moment dans la guerre civile, celui-ci ne peut parer à cette menace que de deux manières :

  • Par la contrainte, c’est-à-dire par la coercition et la violence institutionnalisée : cette solution est courante, mais l’histoire a aussi montré qu’elle était fragile, car la totalité du pouvoir est alors exercée par des milieux limités (aristocratie, bourgeoisie, oligarchie …) au détriment d’autres ; la société est alors sourdement minée par de violentes forces de révolte centrifuges qui peuvent faire voler l’État en éclat à l’occasion de crises majeures. L’histoire n’a cessé de montrer des exemples d’empires qui se sont écroulés en un temps record à l’occasion de crises majeures. C’était des géants aux pieds d’argile. L’État français, qui a choisi cette configuration, va faire tôt ou tard faire face à une telle crise et sera donc menacé bientôt de disparition rapide. Ses dirigeants ont, au cours des cinquante dernières années, mené une politique fanatique de dislocation radicale de la société à tous les niveaux.
  • Par la négociation organisée entre toutes les parties prenantes équitablement représentées par l’intermédiaire d’institutions constituant un ensemble de pouvoirs et de contre-pouvoirs représentatifs, légitimes et équilibrés à même de négocier un compromis – un contrat social généralement réajusté de façon continue.

C’est cela qu’on appelle une démocratie. Cette solution s’est historiquement avérée plus solide face aux crises, car les différentes composantes contradictoires de la société font alors front commun contre toute menace extérieure pour défendre un corpus d’intérêts communs.

Tout pouvoir ne peut en effet jamais être arrêté que par un autre contre-pouvoir. C’est Montesquieu qui l’a affirmé. Seul par conséquent un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs équilibrés permet d’éviter les abus de pouvoir, l’arbitraire, l’injustice et la tyrannie. La France est très éloignée de ce modèle. Elle n’a jamais dépassé l’idée de despotisme éclairé.

Les structures actuelles de l’État français sont radicalement antidémocratiques

La France a connu après 1789 et jusqu’à 1958 pas moins de 13 régimes (contre un seul p. ex. pour les États-Unis depuis 1776/1782). Aucun d’entre eux n’a été démocratique.

Le Général de Gaulle, ancien monarchiste catholique modéré avec l’âge, a instauré après le coup d’État de mai 1958 un régime totalement déséquilibré – il n’a jamais cru en la démocratie. Ce régime pouvait fonctionner avec lui. De Gaulle, vieux réac’ plein de bon sens, avait en effet conservé un solide fond d’honnêteté intellectuelle et matérielle, et un sens de l’État et du bien commun qui a disparu à la mort de son continuateur Pompidou (1974).

Le régime autoritaire français, qui se targue de pratiquer un despotisme (de moins en moins) éclairé, présente concrètement les caractéristiques déficitaires suivantes :

  • Absence de séparation horizontale des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) ; il n’existe en fait qu’un seul pouvoir : le pouvoir exécutif. La France est une monarchie élective, une sorte de bonapartisme rationalisé (l’élection présidentielle rationalisant la tradition plébiscitaire de 1804 / 1852) ; la légitimité élective du Président justifie abusivement toutes les autres en remplaçant le contrat politique par un mandat de pleins pouvoirs en blanc et sanctifie toute l’action autoritaire d’une administration tentaculaire, anonyme et inhumaine qui retire aux citoyens transformés en simples administrés la réalité quotidienne de leurs droits civiques et politiques
  • L’absence de contrôle démocratique de la justice fait de cette dernière un pouvoir non indépendant de l’exécutif mais bel et bien du peuple, par ailleurs passé entretemps sous la coupe de sectes idéologiques sans aucune légitimité ; notons que la justice a été politiquement épurée par des sectes gauchistes comme dans toutes les dictatures totalitaires ; la justice française est la justice d’un État de non-droit, arbitraire et violant régulièrement tous les principes du droit ; il y a donc à ce niveau aussi, comme partout ailleurs, rupture du contrat social
  • Absence de séparation verticale des pouvoirs : absence d’autonomie réelle des communes, des départements et des régions, existence de gouverneurs coloniaux (préfets) – régime de colonialisme intérieur accompagné d’une idéologie suprématiste, impérialiste et colonialiste (le nationalisme français)
  • Absence de démocratie sociale : non seulement la France n’a pas de véritables syndicats comme on l’entend dans les pays démocratiques, mais ce déficit impose l’intervention permanente de l’État dans la législation sociale, ce qui explique le caractère étatisé, rigide, onéreux et aberrant de cette dernière
  • Les libertés économiques sont très faibles, d’où le très mauvais classement de la France dans ce domaine ; la France – on l’a déjà dit – est un régime de NEP avancé ou mutant, pas un régime économique « libéral » ; ce déficit de liberté économique impacte tragiquement l’économie saine, celle des TPE-PME/PMI-MEI qui doit non seulement faire face à un taux de prélèvements obligatoire confiscatoire, mais encore à des tracasseries voire des persécutions administratives inouïes, le tout dans un climat d’insécurité fiscale et législative extrêmement dangereux ; par opposition, les grandes entreprises entretiennent, dans le cadre du capitalisme de connivence, des relations de consanguinité malsaine avec le monde politique qui accorde à ces dernières des rentes de situation en échange d’avantages multiples proches de la corruption
  • La liberté d’expression a connu une apogée en 1881 ; depuis, une multitude de lois l’a à peu près complètement abolie ; prétendre que la liberté d’expression consiste à avoir le seul droit d’exprimer des opinions conformes à la bien-pensance et au politiquement correct est un non-sens risible ; le droit d’exprimer des opinions polémiques est bien évidemment l’essence même de la liberté d’expression
  • Absence de pluralisme des médias : non seulement ceux-ci appartiennent à des capitalistes de connivence et non à de vrais entrepreneurs, mais les médias sont largement financés par l’État et donc sous contrôle (les non-consommateurs sont obligés de les payer quand même par leurs impôts, les consommateurs payant deux fois) ; notons que les médias ont été politiquement épurés par des sectes gauchistes comme dans toutes les dictatures totalitaires ; là aussi, le contrat social est rompu
  • L’État a le quasi-monopole de l’éducation des jeunes Français, comme dans toutes les dictatures totalitaires : ceux-ci y subissent un lavage de cerveau, une décérébration et un bourrage de crâne que n’aurait pas renié l’Union Soviétique pendant que des pédagogues fous s’emploient, depuis des décennies, à désalphabétiser et à illettriser des populations qui apprennent à ne pas penser, ne sont jamais confrontés au moindre pluralisme d’idées, de visions et d’interprétations, apprennent par cœur les grotesques idéologies mensongères de l’État démentis par l’histoire : jacobinisme, étatisme, nationalisme, socialisme etc. etc. selon un prisme du pur et de l’impur digne des ténèbres du moyen-âge le plus obscur. Notons que l’Éducation Nationale a été politiquement épurée par des sectes gauchistes comme dans toutes les dictatures totalitaires et qu’elle fournit à l’État ses serviteurs les plus obtus, les plus incompétents et les plus fanatiques. Nouvelle rupture du contrat social.

Des énarques ont été mis à la tête des entreprises nationalisées lors de l’instauration de la NEP française de 1981. Toutes ont été mises en faillite en quelques années. Ce sont ces gens qui gèrent l’État. L’ENA représente le sommet de l’Église qu’est l’Éducation Nationale. Elle forme des religieux experts en dogmes et incompétents dans tous les autres domaines. Macron est un exemple parmi tous les autres. Dans les pays démocratiques, la haute fonction publique recrute des gens bénéficiant d’un haut niveau d’éducation et ayant fait leurs preuves par leur expérience accumulée ailleurs, venus d’horizons et affichant des parcours différents. Cela permet à l’État de respirer. L’État étouffe en France.

Notons que l’Éducation Nationale est une sorte d’église moderne formatant des esprits étroits, analphabètes et illettrés en économie, idéologiquement formatés, imbéciles et bornés, sans imagination, sans vision, aveuglés par les mensonges de la théocratie française. Son inadaptation au marché du travail de la maternelle à l’université en fait une usine à chômeurs d’une part, et à fonctionnaires de l’autre ; le fonctionnaire ultime, l’énarque, a appris comment fonctionne l’État dans l’horizon borné qui est le sien. Pas à le réformer et il devient donc vite un obstacle majeur à toute réforme radicale si une crise majeure impose de telles actions.

Signalons enfin le triple effet mortifère a) du système social étatisé, b) du clientélisme et b) du scrutin confiscatoire :

  • L’extraordinaire système confiscatoire de l’impôt et des charges permet d’une part de rendre la classe pauvre et la classe moyenne (pas les riches) très dépendantes de l’État et de la caste de hauts fonctionnaires qui le contrôle ;
  • Elle met des moyens inouïs entre les mains des hauts fonctionnaires, qui récompensent d’une part leur propre incompétence crasseuse par des privilèges inouïs et
  • achètent par ailleurs avec ces moyens usurpés le bon vouloir de clientèles ciblées (syndicalistes, fonctionnaires, enseignants …) à travers des avantages qui, contrairement à ce qu’affirme l’idéologie mensongère de l’État, génèrent des inégalités inouïes par rapport aux non-clientèles (salariés du privé, indépendants, TPE-PME-PMI … le cœur de l’économie saine !)
  • et qui permettent d’acheter ensuite les minorités de blocage transformées en majorités fictives par le système combiné a) de la satanisation et d’interdiction d’une partie de l’opposition (lois et tribunaux politiques, « cordons sanitaires » etc.) et b) la sorcellerie du scrutin majoritaire confiscatoire.

Ce système est mort. On l’a déjà dit (article 1) :

La succession de gouvernements minoritaires et donc illégitimes depuis 1983 a entraîné une incroyable crise de la démocratie que des dirigeants aveugles, bornés et criminels refusent de voir et de résoudre

Macron est un énarque étroit et borné, incompétent et sans vision. Il n’a aucune volonté de faire de vraies réformes, donc des réformes radicales. Ce qu’il appelle réformes sont de simples ajustements à système constant. Les affres du temps exigent tout autre chose ! Macron ne touchera pas au jacobinisme, Macron ne s’attaquera pas au déficit abyssal de démocratie en France. Il renforcera bien au contraire le caractère dictatorial du régime en renforçant la crise jusqu’à l’explosion. Macron n’est pas « l’homme providentiel » qui va sauver la France : il en est le fossoyeur, le dernier président de la Ve République. Il n’est pas Henri IV, mais Henri III ; pas Bonaparte, mais les directeurs corrompus du Directoire ; pas De Gaulle, mais Pétain.

En revanche, le sauveur n’est hélas toujours pas non plus en vue …

Philippe Perchirin

Précision : les points de vue exposés n’engagent que l’auteur de ce texte et nullement notre rédaction. Média alternatif, Breizh-info.com est avant tout attaché à la liberté d’expression. Ce qui implique tout naturellement que des opinions diverses, voire opposées, puissent y trouver leur place.

Photos d’illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

- Je soutiens BREIZH-INFO -

PARTAGEZ L'ARTICLE !

LES DERNIERS ARTICLES

ARTICLES LIÉS