Le débat sur la grève des raffineries est emblématique de l’indigence inouïe du débat public en France, dans ce domaine comme dans tous les autres. La France est un pays sclérosé parvenu au stade final d’un cancer généralisé. Donc au bord de l’écroulement, comme je m’étais efforcé de le décrire dans ma série d’articles Le temps Macron et la marche à l’abime de la France – dont toutes les analyses restent d’actualité. Hélas.
Premier argument : le PDG de TotalEnergies a augmenté son salaire, qui s’élevait déjà à plusieurs millions, de plus de 50 %. Ce serait mérité, car sa bonne gestion se reflète dans les excellents résultats du groupe. Son salaire correspond par ailleurs à la norme mondiale, et si le groupe se séparait de lui, il n’aurait aucune peine à se reclasser. Les excellents résultats de la société se reflètent dans les dividendes versés aux actionnaires.
Tout est faux :
– d’abord le PDG de TotalEnergies ne s’est pas augmenté : son contrat de travail prévoit un salaire constitué d’une partie fixe et d’une partie variable proportionnelle au bénéfice net du groupe – l’augmentation est donc automatique
– mais les excellents résultats de TotalEnergies ne doivent que peu à la bonne gestion du PDG : ils sont essentiellement la conséquence de l’explosion du prix du gaz et du pétrole dans un contexte de tension internationale – des causes donc parfaitement extérieures et indépendantes de la volonté et de l’action des dirigeants
– il n’y aurait aucune difficulté à les remplacer à des conditions moins avantageuses
On est donc en droit de questionner l’ensemble de ce système. Encore faut-il savoir de quoi on parle concrètement au lieu de balancer sans réfléchir des slogans abstraits nullement fondés sur une réalité quelconque. Et donc inaptes à permettre l’émergence de la moindre solution utile. Donc : où sont les vrais problèmes, et comment les résoudre ?
Dans mon manifeste Introduire un véritable régime de démocratie en France : proposition de réformes concrètes indispensables, j’avais évoqué l’importance de mettre fin au capitalisme de connivence (qui n’a strictement rien à voir avec le vrai libéralisme vertueux d’Adam Smith, de Frédéric Bastiat ou de Friedrich von Hayek, le « marxisme culturel » étant quant à lui le strict contraire du libéralisme !) en ces termes :
[…] Les grandes entreprises, que l’auteur de ces lignes connaît très bien, présentent les mêmes vices que l’État : leur gouvernance est confisquée aux véritables propriétaires (à l’exception des entreprises familiales), je parle des petits actionnaires présents au capital par l’intermédiaire de fonds de pension ou des banques qui gèrent leur patrimoine, par leur encadrement et notamment leurs cadres supérieurs et dirigeants. Comme les organismes publics le sont au peuple ! Et les conseils de surveillance sont constitués des cadres supérieurs et dirigeants desdits fonds de pension et des banques, qui agissent au nom et pour le compte desdits actionnaires. Ainsi, les CA et directoires des grandes entreprises sont des hauts fonctionnaires de cet État privé qu’est la grande entreprise qui doivent leur carrière à leur habilité à gravir les échelons de la hiérarchie mais ne sont pas les propriétaires (qui sont eux anonymes), lesquels sont censés être contrôlés par des membres des conseils de surveillance qui sont à leur tour des hauts fonctionnaires de ces États privés que sont les fonds de pension et les banques qui doivent leur carrière à leur habilité à gravir les échelons de la hiérarchie mais ne sont pas les vrais investisseurs (qui sont eux aussi anonymes). On voit à quel point cette configuration est malsaine et ce qu’elle favorise de connivence entre les acteurs précédemment décrits. […]
En conclusion de quoi j’avais proposé la réforme radicale suivante de la gouvernance des grandes entreprises non familiales (la gestion des entreprises familiales étant nécessairement vertueuse, parce que leurs propriétaires ne vivent pas dans la seule terreur de la publication des résultats trimestriels, mais ne peuvent avoir comme priorité que la pérennité de leur groupe), qui passait par la création de fondations financées par les actionnaires (par exemple par le prélèvement de centimes sur les transactions financières portant sur les actions et obligations des entreprises concernées) totalement indépendantes des cadres dirigeants et des gestionnaires des moyens d’investissement, et qui seraient des représentants permanents de l’assemblée des actionnaires (n’ayant donc rien à voir avec les conseils d’administration ou directoires, ni avec les conseils de surveillance) chargées de produire chaque année (directement ou par mandatement) tout un éventail d’audits internes au groupe dans tous les domaines (marketing, production, gestion, finances, personnel…) devant être publiés dans la presse spécialisée à l’attention de tous les investisseurs réels ou potentiels… en rendant ainsi la réalité de la gestion des dirigeants transparente pour toute l’opinion publique (elle est aujourd’hui opaque). Notamment la masse des petits actionnaires, ce qui exercerait une immense pression sur toute la gouvernance de ces grandes entreprises, clauses du contrat de travail des dirigeants comprises. Les commissaires aux comptes auditent en effet uniquement ces derniers et ne font jamais de tels audits approfondis, de longue haleine et coûteux. Il y a donc une faille à combler.
Contre-argument contraire : les excellents résultats de la société ne sont pas seulement dus à la bonne gestion des dirigeants. Ils sont aussi le fruit du labeur des travailleurs, et il faut rééquilibrer la répartition des bénéfices entre le capital et le travail. Une logorrhée défendue par exemple par l’économiste Thomas Piketty, idéologue inculte porté au pinacle par l’extrême-gauche… voire une certaine droite radicale « antilibérale » et « anticapitaliste » (Thomas Piketty n’a jamais su lire un compte de résultat ou un bilan, et ses conclusions reposent sur des agrégats abstraits sans rapport avec la réalité des entreprises, faux prémisses parfaitement inaptes à mener à de telles conclusions). L’augmentation réclamée par des grévistes serait donc parfaitement injustifiée.
Là aussi, tout est faux :
– les excellents résultats de TotalEnergies ne doivent strictement rien au labeur des travailleurs des raffineries en question : le groupe TotalEnergies est un groupe mondial et ses résultats sont des résultats mondiaux. Les raffineries en question perdent en fait de l’argent. En bref : l’augmentation réclamée par des grévistes est parfaitement injustifiée. Leurs salaires devraient être diminués voire lesdites raffineries fermées.
La fermeture des raffineries serait par ailleurs pour le coup un véritable acte de gestion de la direction du groupe TotalEnergies : elle permettrait encore d’améliorer les résultats et donc le bonus du PDG et les dividendes distribuables aux (généralement petits) actionnaires – salariés compris.
Immoral ? Parfaitement moral au contraire : ce que veulent en fait les grévistes, c’est voler le fruit du labeur d’autres travailleurs ailleurs (la solidarité prolétarienne internationale sans doute) ; ce que veulent en fait les grévistes, c’est mettre au chômage de nombreux travailleurs notamment de TPE-PME-PMI et ruiner de nombreux indépendants (le cœur d’une économie saine) pour prix de leurs privilèges injustifiés ; notons au passage l’obscénité de l’idée de « grève par procuration » – il n’y a ici bien entendu aucune solidarité prolétarienne nationale. Bien au contraire. Et l’extrême-gauche pratique un clientélisme abject, comme avec les islamistes.
La question de la réforme du système fiscal et social français, que j’ai également décrite dans mon manifeste Introduire un véritable régime de démocratie en France : proposition de réformes concrètes indispensables, continue bien entendu à rester un autre point majeur de la restauration de la rentabilité de tous les sites français (pas seulement des raffineries en question) et de la compétitivité dans le cadre du libre-échange. J’y reviendrai.
Conclusion : les grèves préventives ne relèvent pas du sacrosaint droit de grève. Ce sont des actes de terreur totalement injustifiés, immoraux de par l’égoïsme radical de leurs auteurs et des crimes commis contre la population. Elles participent du cancer généralisé français, qui pourrait un jour emporter le pays.
Philippe Perchirin
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5 réponses
A noter que la grande majorité des abrutis de la CGT qui hurlent sur le salaire du PDG de Total, font très certainement partie des footeux qui ne sont nullement choqués par les salaires écoeurants des Neymar, Mbappé……etc!
Ces vérités sont dures à entendre ! Mais c’est indispensable tant les esprits sont confus. Il était vraiment étonnant, ces derniers jours, d’entendre dire qu’il fallait augmenter les salaires chez TotalEnergies “parce que l’entreprise gagne de l’argent” et à la SNCF parce que, parce que…. enfin, parce que !
Le résultat prévisible de cette affaire est inquiétant. Ni l’Etat ni TotalEnergies n’auront envie de voir se renouveler une telle situation, politiquement et économiquement désastreuse. Le risque demeurera néanmoins tant que 150 cégétistes auront le pouvoir de bloquer le pays chaque fois qu’ils réclameront un salaire encore plus confortable. Conclusion : la solution logique serait de fermer les raffineries françaises.
Autre possibilité, le transfert du siège de TotalEnergies à l’étranger, aux Pays-Bas par exemple. Puisque la société est présente dans le monde entier, rien n’impose fonctionnellement que son siège soit en France. L’échelle de comparaison entre salaires et résultats serait alors bouleversée : on parlerait de sa filiale française, qui, elle, ne gagne pas d’argent.
On pourrait aussi évoquer Air France – KLM, à la branche française quasi déficitaire, et à la branche néerlandaise largement bénéficiaire. Les Néerlandais s’arrachent les cheveux à chaque grève d’Air France et supportent de moins en moins de devoir supporter (et financer !) la gabegie française des sempiternels “droits-z-acquis” défendus bec et ongle par les syndicats. Info donnée par une amie hôtesse au sol à Lyon-Satolas, qui doit faire front au mécontentement des clients à chaque grève des pauvres pilotes, forçats de l’air exploités par le Grand Capital.
Article nettement plus sensé que celui de Bernard Morvan, passé il y a quelques jours, qui sentait bon la cgt. Comparons quelques salaires:
M’Bappé 125 millions plus primes de sponsors !
Ronaldo 60 millions plus primes sponsors (60 millions).
Messi 109 millions plus primes sponsors,
Neymar 90 millions plus primes sponsors.
Benzéma ballon d’or 13 millions plus primes.
Avec ses 6 millions le PDG de Total, à la tête de 100.000 salariés, fait petit joueur !
non seulement il s’agit d’un capitalisme de connivence , mais aussi d’un capitalisme de spéculation ; ces entreprises multinationales n’ont pour seule préoccupation que l’accroissement de leur enrichissement et sont complètement déconnectées du monde des citoyens .
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