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Loi Travail : pourquoi les casseurs d’extrême-gauche cassent-ils ?

17/06/2016 – 04H30 Paris (Breizh-info.com) – La manifestation contre la loi Travail du 14 juin a été une réelle démonstration de force syndicale. Même si le gouvernement a réédité la publication d’estimations clairement bidon, comme cela avait été fait pour tenter de contrer La Manif pour Tous, en affirmant qu’il y avait 75.000 puis 125.000 manifestants, alors que plusieurs centaines de milliers de personnes défilaient dans les rues de la capitale – plus d’un million pour la CGT – les syndicats ont réussi leur démonstration. L’extrême-gauche autonome aussi, en étant nettement plus nombreuse que d’habitude, au point de sérieusement déborder la police.

Une fois de plus, en plein état d’urgence, et après les heurts entre supporters à Marseille et l’attentat de Magnanville, le gouvernement a montré au monde entier qu’il ne maîtrise plus l’ordre public. Pire, la capitale a connu de véritables scènes d’émeutes et de casse en marge du cortège de l’extrême-gauche autonome, sans compter les incendies de voiture (une de la RATP, deux d’Autolib) et les tags insurrectionnels par dizaines. Ces violences, notamment contre un bâtiment de l’hôpital Necker, ont ému le gouvernement et les médias, alors que Nantes et Rennes sont victimes des casseurs depuis trois mois dans une indifférence quasi-générale.

Ces scènes de casse interrogent. Pourquoi ces casseurs – idéologiques – il ne s’agissait pas là d’émeutiers issus de quartier “sensibles” mais de 100 à 200 militants d’extrême-gauche de tendance « black block » – cassent-ils ? Ou pourquoi peuvent-ils ne pas casser? Le 26 mai en effet, lors d’une manifestation à Paris, des casseurs reconnus comme tels au sein de la mouvance ont constitué un cordon de sécurité pour empêcher d’autres casseurs de détruire les locaux d’Emmaüs. De quoi lancer une forte polémique au sein de l’extrême-gauche dont certains activistes reprochent à Emmaüs ses origines religieuses et ses pratiques d’une multinationale autoritaire, alliée des politiciens.

Sur le média Paris-luttes.info, proche de la mouvance d’extrême-gauche autonome, un activiste tente d’expliquer « pourquoi on (c’est un “on” général) casse. À cette pratique, trois intérêts principaux peuvent se dégager ». Premièrement, il s’agit de « handicaper le fonctionnement de l’économie ou plus largement du pouvoir ». L’auteur cite notamment « les centres-villes de Rennes ou Nantes par exemple, lorsque plus aucun distributeur n’était disponible à l’emploi », ou encore le harcèlement de la police dans la rue par des groupes de manifestants, pour « ouvrir les possibles d’une manifestation en rendant plus difficile les positionnements et déplacements des troupes de maintien de l’ordre ».

La seconde raison est d’« attaquer un symbole du pouvoir et de l’économie, si possible facilement identifiable », comme peut l’être une banque, symbole de la finance, une agence immobilière ou une agence boursière, symbole de la spéculation, un commissariat, symbole du bras armé de l’État, une agence d’intérim, symbole de l’exploitation de la précarité des travailleurs etc. C’est, relève l’auteur, là que tout le monde reconnaît « l’indécrottable figure du casseur », et cela à cause d’un « discours médiatico-politique extrêmement verrouillé [qui] détourne le regard » des symboles visés et de l’oppression qu’ils représentent « pour ne rendre perceptible qu’une violence sanguinaire qui se matérialiserait par une casse aveugle ».

Jusque là, rien d’étonnant. La troisième raison est en revanche plus suprenante, mais plus logique aussi : « Se faire plaisir à soi-même ». Attention, il y a un motif : cela passe par le renversement de la charge. Ce n’est pas le casseur qui est violent, mais ce qu’il a cassé – ou pillé – qui a été violent envers lui ou l’a choqué par le passé. L’auteur le dit, casser, c’est « retourner une violence qu’on a pu soi-même, ou son groupe social, subir, grâce à une possibilité momentanée de renversement de l’ordre habituel des choses. » pour « laisser exploser sa colère ». Il donne des exemples : « casser une banque ou un Franprix tandis que son compte en banque personnel est à découvert, un Pôle-Emploi lorsqu’on a eu affaire à cette institution et qu’on est réduit à faire des boulots de merde au risque de se faire radier si on refuse, ou même tout simplement parce que la perspective d’y être fatalement confronté dans l’avenir nous remplit de rage ». Cette situation justifie aussi pour l’auteur la violence contre la police, qu’il appelle « la riposte généralisée à la violence policière » qui « fait glisser bon nombre de pacifistes dans l’idée de rendre à la police coup pour coup, après avoir subi matraquages, gazages généralisés ou pire encore ». Ou encore de « la destruction pure et simple de voitures de luxe, dont le caractère ostentatoire nous fait violence ».

Pour cette troisième raison, les justifications idéologiques ne sont qu’un voile maladroit qui cache le fait que ces activistes se victimisent, et estiment qu’ils peuvent envoyer la loi et le droit aux pelotes pour se venger eux-mêmes. Au risque d’alimenter le cycle de la violence et de l’oppression qu’ils dénoncent pourtant eux-mêmes, et de donner raison à tous ceux qui pensent que la raison peut justifier n’importe quoi, et surtout le mal.

Du reste, pour le cas d’Emmaüs, l’auteur estime qu’il peut être cassé du fait de la troisième raison, pour se faire plaisir, « parce que certain-e-s parmi nous savent, dans le détail, à quel point Emmaüs est pourri, le casser apporterait une satisfaction non-négligeable ». Mais il botte prudemment en touche : ce n’est pas une institution centrale dans l’économie, et la protéger permet « de valider le deuxième intérêt, celui de l’attaque de symboles – sur d’autres cibles, donc – et de fissurer d’autant plus le rejet de la violence de riposte en rendant intelligible la casse de banques par exemple. Et sur le terrain, force est de constater que ça a sacrément bien marché ».

Il termine par une constatation inquiétante : « Gardons à l’esprit que nous en sommes à un stade où beaucoup de gens applaudissent, approuvent ou au moins cautionnent l’action directe contre des banques ou contre la police. Que cette situation, en France et à Paris en particulier, est relativement inédite, que l’on peut s’en réjouir mais qu’elle reste encore fragile. » Pour l’avenir, avec ou sans l’état d’urgence, ça promet.

Crédit photo : breizh-info.com
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