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Après les valeurs mobilières, Jérôme Kerviel spécule sur les valeurs morales [tribune libre]

26/05/2014 ‑ 08H00 ‑ Jérôme Kerviel, trader bigouden, dort désormais à la prison de Fleury-Mérogis. Chacun sait pourquoi : inutile de revenir longuement sur l’affaire elle-même.

Jérôme Kerviel, né en 1977 à Pont-l’Abbé, fait ses études à Quimper et Nantes, puis entre à la Société Générale comme opérateur de marché sur contrats à terme d’indices boursiers, c’est-à-dire spéculateur professionnel. Talentueux, il connaît de beaux succès et prend des positions de plus en plus audacieuses, excédant ses autorisations officielles. Mais le sort tourne, il cherche à se rattraper, maquille ses comptes, s’enfonce davantage. La banque s’en aperçoit, prend peur, liquide ses positions au prix d’une perte énorme, licencie le trader et le poursuit en justice. Il est condamné.

Jérôme Kerviel a réalisé des opérations trop grosses pour lui, mais la Société Générale lui fait porter un chapeau trop grand pour lui. En médiatisant délibérément son trader félon, elle cherche à faire oublier deux erreurs potentiellement plus coûteuses encore pour son image corporate que la perte de marché enregistrée :

  1. Ses systèmes de contrôle se sont révélés incapables de bloquer les manipulations comptables d’un individu isolé.
  2. En débouclant trop hâtivement les positions de Jérôme Kerviel dans de très mauvaises conditions de marché, elle a manqué de sang-froid et creusé elle-même ses pertes.

Hélas pour la Société Générale, cette tentative de bouc-émissarisation ne tourne pas du tout à son avantage – peut-être sa direction de la communication n’est-elle pas plus efficace que ses systèmes de contrôle. Jérôme Kerviel devient un glorieux rebelle, si ce n’est un saint, aux yeux d’une partie de l’opinion.

La solidarité entre Bretons ne peut cependant nous faire oublier ses torts. Il a choisi lui-même d’exercer un métier de spéculateur : personne ne l’a enchaîné de force dans une salle des marchés. Il s’est laissé emporter par la folie des grandeurs – par orgueil sans doute plus que par goût de l’argent. Que ce soit ou non avec l’aval tacite de sa direction, comme il le soutient, il a enfreint le règlement et violé plus encore les limites du bon sens.

Or voilà qu’une fois épuisé ses recours juridiques, Jérôme Kerviel se tourne vers la grâce divine, peut-être dans l’espoir que le président de la République en prendra de la graine. Il s’en va à Rome, rencontre le pape François (qu’il dit ; en réalité, il ne participe qu’à une audience collective au milieu de dizaines de pèlerins) puis revient au pays, accueilli à la frontière par la police et par Monseigneur di Falco, ancien dircom de l’Église de France, peut-être en mal de médias depuis qu’il a été nommé évêque de Gap. Arrêté, il fait achever son pèlerinage Rome-Paris par un mandataire religieux lui aussi fort médiatique, Patrice Gourrier, prêtre, animateur de radio et auteur de livres plus ou moins racoleurs (dont Parlez-nous d’amour, co-écrit avec une actrice porno).

Franchement, Jérôme, c’est trop ! Quand on a fait une bêtise, on assume, on ne fait pas de sa repentance une liturgie à grand spectacle. Et puis, il faut relativiser. Bien entendu, il est dommage pour lui que Jérôme Kerviel soit en prison, mais compte tenu des remises de peine et autres aménagements, il a toutes les chances de fêter Noël 2015 en famille. Et comme la Cour de cassation l’a libéré des 4,9 milliards d’euros de dommages-intérêts auxquels il avait été condamné en première instance, sous réserve d’une future décision de la cour d’appel de Versailles, il devrait alors pouvoir monétiser sa fâcheuse expérience en écrivant une autobiographie promise au succès d’édition. Mais il ne faudrait pas en faire une vie de saint Kerviel, non plus.

Erwan Floc’h

Crédit photo  : [cc] Calvaire de Saint-Hernin, photo Farz brujunet via Wikipedia Commons
[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

 

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3 réponses à “Après les valeurs mobilières, Jérôme Kerviel spécule sur les valeurs morales [tribune libre]”

  1. HEURTE-CHAPPE dit :

    Trop facile de l’attaquer maintenant qu’il ne peut plus se défendre!

    • SORAYA83 dit :

      @HEURTE-CHAPPE
      Je suis d’accord avec vous ! Pour ma part je soutiens totalement Jérôme Kerviel car il paie l’addition pour tous les responsables, car il y a des responsables bien au dessus de lui… Deux poids deux mesures, révoltant !

  2. iliou marc dit :

    Il faudrait d’abord s’attaquer à la réalité et aux responsables même si Kerviel est coupable , il y a plus haut que lui le lampiste qui subit tous les maux , mais sa direction et surtout le PDG de la SG devrait être démissionné et traduit en justice , à condition que la France sache ce que veut dire le mot justice ! Voir aussi l’affaire du Bugaled Breizh ou elle brille par son incompétence et sa subordination aux pouvoirs en place de gauche comme de droite !

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