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Vers un engagement de l’OTAN dans le Sahel ?

Le drame qu’a connu l’armée française avec la perte de 13 soldats au Mali le 25 novembre dernier rappelle crûment que la guerre dans le Sahel devient de plus en plus meurtrière. Entre le 1er octobre dernier et ce jour, toutes les armées présentes dans la Bande sahélo-saharienne ont subi d’énormes pertes. Selon les sources officielles, ce sont, a minima, 180 militaires maliens et burkinabè qui sont tombés au combat. Le décès des treize soldats français a également soulevé un certain nombre d’interrogations. Parmi celles-ci, et pour la première fois, la possibilité d’un engagement de l’OTAN dans la Bande sahélo-saharienne (BSS) a été clairement évoquée. Pour ceux qui suivent de près les débats au sein de l’OTAN, ce n’est pas une surprise, l’Alliance tente une percée sur le continent depuis fort longtemps, mais ces derniers mois, ses demandes se sont faites de plus en plus pressantes. Ainsi en septembre dernier, elle a de nouveau prié ses États membres de « jouer un plus grand rôle en Afrique » (voir l’article de l’IVERIS :  l’Afrique dans le viseur de l’OTAN). Cette question était d’ailleurs déjà inscrite à l’ordre du jour du sommet qui se tiendra les 3 et le 4 décembre  à Londres.

Lors de la conférence de presse qui a eu lieu à l’Élysée après la rencontre entre Emmanuel Macron et le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, un journaliste a interrogé le président français : « Seriez-vous favorable, à une implication, sous une forme ou une autre, de l’OTAN au Sahel ? ». La réponse du président français peut paraître sibylline pour des non-initiés et laisser la place à diverses interprétations : « La mission qui est la nôtre là-bas est importante, néanmoins le contexte que nous sommes en train de vivre au Sahel nous conduit aujourd’hui à regarder toutes les options stratégiques. – je le dis toutes les options sont aujourd’hui ouvertes. Dans ce contexte là et en fonction des décisions que la France aura à prendre, une plus grande implication des alliés est évidemment quelque chose qui serait tout à fait bénéfique. »

Pour Hajnalka Vincze, co-fondatrice de l’IVERIS et éminente spécialiste de l’Alliance, cette réponse montre bien que « Macron aimerait toujours pouvoir éviter un engagement de l’OTAN dans le Sahel. Il fait attention à ne pas mentionner l’Alliance mais plutôt les alliés – en soulignant que certains y sont déjà, hors OTAN – pour les appeler à s’activer davantage à ses côtés. »

Le Secrétaire adjoint de l’OTAN, Camille Grand, auditionné le 27 novembre par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale confirme, d’une manière très diplomatique, cette position : « la France n’est pas particulièrement demandeuse de voir l’OTAN s’impliquer dans la Bande sahélo-saharienne ».

Sur FR24, Jens Stoltenberg ne dit pas autre chose. S’il se montre tout à fait « optimiste » et « confiant » quant à la volonté des autres États membres de s’engager, il convient que la France n’en a toujours pas fait la demande formelle. Et comme pour susciter des vocations, ingénu, il rappelle tous les moyens dont dispose l’Alliance pour « aider la France dans le Sahel » : « structures de commandements, renforcement des capacités d’entraînement, renseignement ». Puis, il énumère les opérations déjà menées : « les Balkans dans les années 90, en Afghanistan, en Irak et ailleurs ». Cet « ailleurs » comprendrait-il la Libye, sciemment oubliée dans cette liste et où l’intervention de l’Alliance, Unified Protector, est pour partie responsable de la situation actuelle dans la BSS ? Est-il encore nécessaire de remémorer au Secrétaire général de l’OTAN les conséquences désastreuses, l’anéantissement des États, les décennies de chaos qu’ont engendré ces opérations dans les Balkans, en Afghanistan, en Irak et ailleurs ?

Le rôle trouble des US dans la BSS

L’IVERIS est souvent critique de la politique africaine de la France, néanmoins sur le refus de l’engagement de l’OTAN dans le Sahel, il faut saluer la position du président français. Compte tenu des antécédents de l’Alliance précités, le remède serait pire que le mal. La question qui se pose désormais est la suivante : avec les difficultés opérationnelles rencontrées par Barkhane, la France aura-t-elle les moyens de résister aux volontés américaines ? D’une part, les États-Unis apportent leur soutien à l’armée française au Sahel, notamment dans la logistique et le renseignement et peuvent donc exercer une pression forte. D’autre part, le Pentagone est très engagé et n’est pas prêt de lâcher cette zone qu’il considère comme stratégique. Il s’est préparé à cet engagement depuis le premier mandat de Barack Obama et s’est durablement positionné au Niger, notamment avec la construction d’une très grande base de drones à Agadez, la base 201 désormais opérationnelle, avec Africom présent à Ouallam et Arlit, avec la CIA à Dirkou dans le nord-est du pays (1).

Par ailleurs, depuis plus de deux ans, de feu McCain à Brett McGurk en passant par la dernière déclaration de Pompeo du 14 novembre dernier, tous les « faucons » américains n’ont cessé de prévoir le pire pour l’Afrique de l’Ouest en prédisant l’arrivée des combattants de Daech. Pour autant, les USA ont systématiquement mis leur véto aux nombreuses demandes des pays de la BSS et de la France de placer le G5 Sahel sous chapitre 7. Ce faisant, tout en mesurant parfaitement les dangers, ils ont contribué à l’affaiblissement de la lutte contre le terrorisme en refusant à cette force des moyens pérennes et une voix au Conseil de Sécurité.

 Jeu dangereux et duplicité

Les USA ne sont pas les seuls à jouer un rôle trouble dans la région. Comme l’a expliqué le ministre nigérien de la Défense, Issoufou Katambé lors du forum de la paix de Dakar : « Nous savons d’où viennent les financements des groupes terroristes. Il faut que les Etats qui sont derrière ces financements arrêtent » a-t-il déclaré, sans pour autant mentionner les pays concernés. Cette déclaration pour courageuse qu’elle soit n’est pas étonnante. Tous les témoignages reçus évoquent les moyens très conséquents des groupes armés terroristes. Ils payent des salaires, offrent des motos, possèdent des armes sophistiquées, etc. Les trafics en tous genres bien répertoriés dans la zone : drogue, migrants, orpaillage clandestin, ne suffisent pas à expliquer l’abondance dont bénéficient les djihadistes. Dès lors, avec en prime, l’arrivée de terroristes étrangers, venus du Levant, formés aux combats, au maniement des armes et autres IED, les arguments qui jusqu’à présent ont expliqué cette guerre : faillite des Etats, faiblesse des armées, corruption, mauvaise gouvernance, problèmes dits « intercommunautaires » ne suffisent plus.

Par la volonté de l’OTAN de s’engager, par le nombre d’acteurs étatiques ou non qui interviennent, la BSS et plus largement dans toute l’Afrique de l’Ouest se retrouvent à l’épicentre d’un nouveau « grand jeu », d’une nouvelle grande crise mondiale, comme celle en cours depuis 2011 au Moyen-Orient.

Le refus français d’engager l’OTAN dans le Sahel se présente donc comme un grain de sable et la partie est loin d’être gagnée. Le french bashing en Afrique, légitime à bien des égards, mais dont les braises sont savamment attisées, se révèle bien utile pour affaiblir la position française.

Vous avez détesté la France, vous allez haïr l’OTAN !

Leslie Varenne

(1) Concernant les sites de l’Africom au Niger, ils sont vérifiés grâce à Clément Nguyen, auteur du livre “Le Dragon et l’Aigle“, qui piste la présence militaire US en Afrique en surveillant les appels d’offres du Pentagone. 

Source : Iveris

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