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Dénicher un Toro au Guilvinec

Le Guilvinec est connu pour la poissonnerie Furic, sans doute l’une des meilleures de Bretagne, mais je ne savais pas qu’on y trouve aussi une cave à vins de qualité. Animée depuis cinq ans par Vincent Rousseau, elle est située en face des quais et a su trouver sa clientèle dans une zone de chalandise où se trouvent pourtant déjà d’autres enseignes recommandables comme la cave de la Rocade à Pont l’Abbé.

Originaire comme moi de Lechiagat, de l’autre côté du pont, Vincent a bénéficié d’une formation en alternance en oenologie à Vannes (à l’instar de Constance Malardé, la Pinardière, à Redon), mais a délaissé la voie de la restauration pour privilégier le contact direct avec le client. Après quelques années au service d’autres, Vincent est devenu son propre maître en s’installant rue Jacques de Thézac dans une boutique si petite qu’elle ne peut accueillir par ces temps de pandémie que deux personnes à la fois. Au fond, à droite, un coin à whisky que les amateurs trouveront original, disposant pour les gros consommateurs, de la possibilité de se fournir en vrac dans des flacons réutilisables; à gauche, un choix de bouteilles de vin des plus réduits… mais des plus variés et attractifs. Encore faut-il arriver aux rayons car des cartons encombrent le sol : notre gars manque de place ! Toutefois, dès qu’on parcourt du regard les rayons, on perçoit vite que tout comme Arnaud, le patron de l’Asia à Loctudy, Vincent à le nez pour dénicher des crus qui valent le détour. En passant les étiquettes en revue, je tombe en arrêt devant les vins d’Espagne qu’il propose. Pas de marques ou de terroirs universellement reconnus, mais le nom d’un viticulteur qui attire immédiatement mon attention : Alvar de Dios Hernandez.

D’un bouteille l’autre, il suffit parfois de peu de chose pour accrocher l’oeil. Alvar est un prénom ancien, peu usité de nos jours, hérité du germanique all (tout) et de mers (prudence) ou encore de l’ancien nordique alfa (elfe). En français les variantes correspondantes à ce prénom sont : Aubry ou Albéric. Un vigneron qui se prénomme Alvar doit être issu d’une famille aux idées originales, enracinées dans le sol et, surtout, aux valeurs bien éloignées de notre monde banalisé à l’universalisme obligatoire.

Séduit  par ce prénom, annonciateur de belles choses, je me laisse tenter par une bouteille de Tio Uco, 2017 et, le jour même, je la déguste en compagnie d’un côtes du Rhône tout en savourant une entrecôte.  Comment dire que le match a été inégal ? Mélange de 90% de Tinta de Toro, la variété de tempranillo en usage dans l’appellation d’origine Toro, et de 10 % de grenache, ce vin rouge original et typé est élevé en fûts de chène durant cinq mois, sans filtration ni clarification, pour offrir un résultat fruité et puissant qui relègue le fils du Rhône à une simple rôle de figuration.

A peine le repas achevé, je me suis précipité pour en savoir plus sur Alvar. Je n’ai pas été déçu du voyage. Issu d’une vieille famille de viticulteurs de Pego, dans la province de Zamora, dans la vieille Castille historique, il partit se former à la Bodega Marañones, dans la petite ville de Pelayos de la Presa, au sud-ouest de Madrid, avant d’hériter en 2008  de trois hectares de vignes plantées par son grand-père en 1919 d’où il tire son premier vin en 2011 auquel il donne le nom d’Ancien en hommage à son aïeul (700 m d’altitude, 7500 cols, 18 €). Encouragé par l’accueil favorable réservé à sa première production, il fait l’achat à Vagüera d’une parcelle mélange d’argile et de roches qui produit un blanc complexe et aromatique (950 m, 1700 cols, 23 €). Avec le temps, il reprend trois autres parcelles dans le nord-ouest de l’appellation Toro avec des plantations dont les âges s’échelonnent entre vingt-cinq et quarante ans. Avec les fruits de ces trois vignobles, il élabore Tio Uco, un rouge d’assemblage d’entrée de gamme (20 000 cols, 8 €) qui lui permet d’élargir son marché et mieux faire connaître ses productions plus élaborées.

Depuis peu, comme le débouché de ses vins est assuré, il se consacre à des aventures plus personnelles, comme la redécouverte d’une zone oubliée, à la frontière du Portugal, Arribes del Duero, qui, à ses yeux, dispose d’un grand potentiel viticole. Fidèle à son principe de vins de parcelle, il a mis en exploitation trois terres qui produisent autant de vins très différents mais qui tous possèdent la signature de l’artiste : originalité et élégance : Camino de los arrieros (4800 cols, 15 €), las Vidres (460 cols, 40 €) et Yavallo (300  cols, 30 €).

Comment expliquer le succès si rapide d’un parfait inconnu dont la puissance de frappe est minuscule dans un marché encombré de bons professionnels qui proposent à la vente des centaines de milliers de bouteilles et dont les budgets de communication se calculent en millions d’euros ?

D’abord, sa terre a forgé son caractère. Ses racines se situent entre Tordesillas, où le monde fut divisé en deux en 1494, et Salamanque où le dominicain Francisco de Vitoria inventa les droits de l’homme au début du XVI siècle. Son arbre généalogique est marqué par l’empreinte d’une histoire écrite en majuscules. Ses ancêtres, qui ont participé à deux des grandes épopées de l’humanité, la Reconquista et la découverte de l’Amérique, lui ont légué les vertus de la constance et de la ténacité. Et puis, il suffit de le voir parler de son vin, pour savoir qu’il ne manque ni de charme ni de conviction. C’est sans doute ce qui qui a contribué à ce que le critique Luis Gutiérrez lui accorde une note Parker de 94 : Exceptionnel. Ce coup de pouce le fait connaître et depuis lors Alvar a tellement séduit les augustes augures de la profession, ceux qui écrivent pour les quotidiens les plus connus comme le New York Times, ou El Pais, ou les plus locaux comme La Opinion de Zamora ou Breizh Infos, qu’il ne s’est même pas donné la peine de créer un site internet pour vanter ses mérites, les autres le font pour lui.

Ecouter sur Instagram Juan Manuel Bellver Sánchez, le directeur de Lavina Espagne, parler d’Alvar avec ravissement nous fait comprendre que notre jeune viticulteur a su, non seulement conquérir les palais, mais aussi les cœurs de ceux dont il croise la route.

Voilà comment, franchir la porte de la cave à Vincent Rousseau peut nous faire découvrir un monde qui ne demande qu’à être mieux connu et bien dégusté pour peu que l’on fasse attention au prénom des viticulteurs.

Tristan Mordrel

La cave de Vincent
Rue Jacques de Thézac,Le Guilvinec
Tel. 02 98 58 29 02

Crédit photos : DR
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