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Irlande. Tiocfaidh ár lá (Notre jour viendra)

Avant d’être le pays de rouquins débonnaires et alcooliques, il est une île aux confins occidentaux de l’Europe qui força le respect par son Histoire, qui gagna de haute lutte la liberté de son peuple, et qui aujourd’hui inspire ceux qui veulent le renouveau.

Dans les premiers temps de la Chrétienté, c’est son peuple qui essaime à travers tout l’Occident nombre de missionnaires et d’intellectuels qui de Bangor à Bobbio acceptent l’exil au nom d’un idéal spirituel. Bien sûr, notre monde coupé de celui d’en haut ne peut plus comprendre dans le matérialisme qui le ronge la grandeur des moines de Lérins, de Luxeuil ou de Fontenay, ni le raffinement de la civilisation aujourd’hui oubliée qui avant la Guinness nous avait donné le Livre de Kells.

Mais la Modernité n’est pas seule coupable : avant elle, les Britanniques se chargèrent d’étouffer une Irlande dont la résistance est un exemple pour tout individu décidé à refuser la mollesse du fatalisme et le joug de l’inévitable.

Si la conquête anglo-normande avait laissé en place une certaine autonomie du droit coutumier en Irlande et la permanence de structures sociales propres aux Gaels, c’est la faillite de l’élite autochtone qui signe le début d’une longue tragédie. Après l’échec du soulèvement écrasé à la bataille de Kinsale en 1601, les comtes d’Ulster qui avaient mené la révolte choisissent en effet la fuite au mépris de l’indulgence dont avaient fait preuve jusque-là les souverains Stuart et s’embarquent le 4 septembre 1607 pour le continent, d’où ils ne reviendront pas. Cette « fuite des comtes, ainsi qu’on en vint à l’appeler, sonnait le glas de la vieille civilisation celtique », et « la langue, la civilisation et les institutions importées d’Angleterre commencèrent lentement et sûrement à supplanter l’idiome, la culture et le droit coutumier des Celtes d’Erin »(1). Forte de la démission de l’aristocratie locale, l’administration britannique entame alors une vaste entreprise d’expropriation des natifs au profit de protestants écossais, si bien que « les colons s’abattirent sur l’Ulster »(2), illustrant une loi d’importance capitale : une civilisation ne tombe ou ne tient que par la démission ou la résistance de ses élites naturelles, c’est-à-dire d’une classe sociale qui se distingue par des qualités particulières et dont le rôle est entièrement dévolu à la préservation du bien commun. L’absence d’une telle catégorie doit fatalement conduire à la dissolution du synœcisme, dont on invoque aujourd’hui le fantôme à grands renforts d’une evocatio quasi rituelle dont l’omniprésence ne fait que mieux sentir son inefficacité. Telle n’est pas tout à fait la situation dans l’Irlande du XVIIe siècle, qui peut encore supplanter la décapitation du corps social par une conscience forte de ses principes civilisationnels fondateurs. Conscient que l’identité d’un peuple recouvre nécessairement les dimensions religieuse et politique, le clergé d’Armagh (3) déclare ainsi le justum bellum contre les protestants qui veulent « la destruction des catholiques, la destruction des Irlandais, et l’abolition des prérogatives du roi » (4), et lie la condition du renouveau à la restauration de la Tradition politique. Dans une perspective semblable, l’assemblée de clercs et de laïcs qui se réunit du 10 au 13 mai 1642 à Kilkenny et fonde la Confédération Catholique d’Irlande se définit par sa devise comme la réunion des « Hiberni unanimes pro Deo, rege et patria » (5).

Ces trois piliers idéologiques de la résistance irlandaise illustrant la volonté de défendre un ordre pluriséculaire ne sortent cependant pas indemnes de l’échec du grand soulèvement jacobite (6) écrasé sur les bords de la Boyne le 10 juillet 1690. Trouvant leur salut dans l’exil, nombre de soldats de Jacques II (7) se mettent au service des rois catholiques du continent, vengeant la chute de Limerick sur la majorité des champs de bataille européens (8) « où ils se déchaînent contre les ennemis de leur patrie et de leur religion » (9), mais, vidée des plus ardents défenseurs de la cause, l’Irlande abandonne progressivement le jacobitisme pour réduire son combat aux questions religieuses et culturelles. Ainsi, la défaite des Highlanders jacobites à Culloden (10) en 1746 et la mort du prétendant catholique (11) laissent un vide politique qui sera comblé par les idéaux des Lumières importés par la diaspora irlandaise principalement établie en France. Pour l’Irlande, c’est la fin des soulèvements armés et le début d’un siècle particulièrement sombre marqué par la Grande Famine, désastre écologique qui « fut transformé en famine par l’insuffisance des mesures de secours prises par le gouvernement britannique » (12).

Par certains aspects, c’est donc l’impasse. Comprenant qu’« il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit » et qu’« à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit » (13), le mouvement « Jeune Irlande » (Éire Óg) transpose la lutte sur le plan intellectuel sur le modèle de Daniel O’Connell (1775-1847). Mais là où ce dernier « œuvrait pour une révolution matérielle » (14) réglant la question lancinante du partage des terres, la Jeune Irlande réclame une « révolution spirituelle » (15) fondée sur la restructuration d’une élite autochtone, arrachant au Premier Ministre britannique la fondation de trois collèges royaux non confessionnels à Cork, Galway et Belfast. La victoire est de taille et permet aux Irlandais de contourner l’interdiction faite aux catholiques d’étudier dans les centres de formation du Système (16). Une insurrection prématurée devait sonner le glas de cette tentative de renouveau intellectuel et culturel, qui s’achève lamentablement par l’exécution des principaux meneurs de la Jeune Irlande, mais les graines d’un « approfondissement des valeurs nationales et morales » (17) ont été semées. La fin du siècle voit alors une véritable renaissance littéraire irlandaise autour du poète William Butler Yeats (1865-1939) et de Douglas Hyde (1860-1949) qui fonde en 1893 la Ligue Gaélique, qui par ses livres, journaux et écoles remet à l’honneur l’esprit de la vieille civilisation irlandaise, pour devenir, de l’avis de Patrick Pearse (1879-1916), « la force la plus révolutionnaire à avoir vu le jour en Irlande » (18) . Loin des révoltes de miséreux affamés ou des manœuvres politiciennes de Westminster, l’Irlande trouve dans cette lutte de l’esprit une aristocratie nouvelle qui lui rend sa civilisation en la tirant de la torpeur où l’avait plongée la fin de l’épopée jacobite. La suite, on la connaît : enfermés dans la Grande Poste de Dublin lors du soulèvement de Pâques 1916, Pearse et une poignée de volontaires finissent par se rendre après un siège auquel ils n’étaient pas vraiment préparés. Leur exécution, en revanche, met le feu aux poudres d’une révolte bien plus ambitieuse que les précédentes : il ne s’agit plus de demander des terres, mais de retrouver l’indépendance d’un pays ressuscité dans les livres et la culture. Forte d’un socle culturel solide, de la conscience retrouvée des traditions, la révolte se fait ainsi sous la devise gaélique « Tiocfaidh ár lá » : « Notre jour viendra. »

C’est la même confiance qui doit inspirer l’Européen traditionnel, bien que la situation soit à bien des égards très différente, et qu’aux portes du monde moderne semble inscrite la phrase de Dante : « vous qui entrez ici, perdez toute espérance ». Le gouffre qui s’ouvre sous nos pieds pourrait alors effrayer les héritiers d’une Histoire moins glorieuse, mais « à d’autres natures s’applique une autre vérité : si le dernier âge, le kali-yuga, est un âge d’effrayantes destructions, ceux qui parviennent, malgré tout, à s’y tenir debout, peuvent obtenir des fruits difficilement accessibles aux hommes des autres âges. » (19)

C’est à ce titre que l’exemple irlandais d’un combat de 800 ans contre l’anéantissement d’un peuple peut se révéler riche en enseignements : si l’heure des soulèvements romanesques et chimériques est passée, le combat ne s’arrête pas pour autant et relève d’une autre dimension. Dans la brume qui obscurcit le présent de notre pays et qui met en jeu la survie de notre peuple, il s’agit de reformer une élite culturelle consciente des principes qui ont fait notre Histoire, qui feront notre avenir, et qui seuls nous font garder à l’esprit que notre jour viendra.

Colomban gilbert (L’Aube française)

(1) Pierre Joannon, Histoire de l’Irlande et des Irlandais, pp. 82-83.

(2) Joannon, op. cit., p.84.

(3) Siège épiscopal du primat d’Irlande.

(4) Joannon, op. cit., p. 99.

(5) « Les Irlandais unis pour Dieu, le roi et la patrie », Joannon p. 99.

(6) Du nom de Jacques II, prétendant catholique à la Couronne d’Angleterre.

(7) « de l’ordre de 50000 à 60000 personnes » pour Clarke de Dromantin, « Le Vol des Oies Sauvages » ou l’immigration en France des Irlandais Jacobites. In: Études irlandaises, n°14-2, 1989, pp. 123-133.

(8) Le plus célèbre exemple étant la charge des régiments de la Brigade Irlandaise à Fontenoy, emmenée par Patrick Sarsfield, défenseur de Limerick contre Guillaume d’Orange-Nassau.

(9) Clarke de Dromantin, « Le Vol des Oies Sauvages » ou l’immigration en France des Irlandais Jacobites. In: Études irlandaises, n°14-2, 1989, pp. 123-133.

(10) Avant d’être utilisée pour le générique d’une série Netflix décadente, c’est cet événement que commémore la chanson écossaise Speed Bonnie Boat.

(11) Charles Edward Stuart, qui meurt en exil à Rome le 31 janvier 1788.

(12) Price Roger, Tourniaire Claudine. La famine en Irlande, 1845-1852. In: Revue d’histoire du XIXe siècle, Tome 12,        1996/1, L’incendie, p. 129.

(13) Selon le mot de l’Ogre corse.

(14) Joannon, op. cit., p. 300.

(15) ibid.

(16) Le célèbre Trinity College était ainsi fermé aux étudiants de confession catholique.

(17) Joannon, p. 306.

(18) in The Irish Volunteer, 7 février 1914.

(19) Julius Evola, Révolte Contre le Monde Moderne.

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