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Le chou pourrait avoir été domestiqué en Bretagne il y a 4580 ans

Chou-fleur, brocolis, choux pommés, chou de Bruxelles ou de Lorient… tous ces légumes hivernaux seraient issus d’un ancêtre unique, le chou sauvage ou chou des falaises (Brassica oleracea sous-espèce oleracea), plante comestible endémique sur le littoral atlantique.

C’est quelque part sur ce littoral, entre Espagne et Grande Bretagne, que la semence sauvage aurait été prélevée, vers 2560 av JC, à une époque où la péninsule armoricaine était le centre culturel de cette partie du monde.

En février 2022, une nouvelle étude génétique est venue crédibiliser l’hypothèse atlantique, au détriment de l’origine méditerranéenne du chou, défendue par d’autres chercheurs.

Répartition géographique de Brassica oleracea (chou sauvage atlantique) et des autres espèces apparentées de Brassica (groupe C9). Source : S. Snogerup et al, 1990.

Poussé à l’ombre des temples grecs…

La première grande étude génétique sur le chou date de juin 2021 et s’intitule « L’histoire évolutive de Brassica oleracea, sauvage, domestiquée et férale ». Conduite par Makenzie Mabry, de l’Université du Missouri, elle repose sur le séquençage de 224 échantillons génétiques, issus de 14 types de choux cultivés et de 9 plantes sauvages apparentées au chou.

Ses conclusions excluent comme grand ancêtre le chou sauvage atlantique, qui ne serait qu’une population « férale », c’est-à-dire issue de plants cultivés retournés à la vie sauvage à une date ancienne. Le plus proche parent sauvage du chou cultivé serait alors Brassica cretica, une plante comestible toujours endémique en Crète, dans la Mer Egée et au Liban.

Les données historiques viennent selon Mabry confirmer la génétique : les références littéraires les plus anciennes (à partir de – 600) sont toutes grecques ; on ne trouve par exemple aucune mention du chou dans les écritures mésopotamiennes ou égyptiennes. Ce serait l’Empire romain qui aurait diffusé le chou vers l’ouest (même si Mabry évoque aussi -1300 pour la dissémination des populations férales atlantiques).

Mabry ajoute que la plus ancienne graine de chou identifiée de façon certaine a été découverte dans les vestiges de Gibala, sur les côtes de la Syrie. C’est-à-dire à une encablure de la Crète et du Liban, avec une datation au carbone 14 de -1250 à -970. Mabry exclut par contre une découverte archéologique plus ancienne dans les Alpes autrichiennes, 3 graines datant de – 1450 : cette découverte est trop isolée et les semences pourraient appartenir à une autre espèce de Brassica.

…ou à celle des menhirs ?

Voilà où en était la science, quand la riposte atlantique est venue : en février 2022, l’Université de Wagenhingen, en Hollande, faisait paraître une étude partiellement contradictoire. Intitulée de façon un peu trompeuse « Mise en évidence de deux lignées de domestication appuyant une origine moyen-orientale des plants cultivés de Brassica oleracea à partir de populations diversifiées de chou kale » , elle a été pilotée par Chengcheng Cai, un chercheur en herbe dont le nom chinois signifie légume.

Cai explose la concurrence par l’ampleur du matériel génétique étudié : 912 échantillons, représentant 10 types de choux cultivés, 9 plantes sauvages apparentées ainsi que le chou des falaises atlantiques à qui il restitue son statut d’ancêtre sauvage de la famille :

«  Nous faisons l’hypothèse que les choux pommés et les choux fleurs prennent racine dans les choux kale introduits depuis l’Europe de l’Ouest vers le Moyen-Orient, possiblement transportés le long des routes commerciales de l’étain pendant l’Age du Bronze, pour être réintroduits plus tard en Europe ». (par Moyen Orient, il faut comprendre la Grèce et même l’Italie !)

Pour parvenir à cette conclusion, l’étude de 2022 établit un nouvel arbre généalogique des variétés de chou, à partir duquel est faite une relecture des données historiques. Le chou pommé (avec les feuilles amassées en boule comme le chou rouge ou le chou de Savoie), le chou de Bruxelles et le chou fleur sont les formes apparues le plus tardivement et ne sont décrites par les auteurs romains qu’à partir du 1er siècle ap JC. Les formes les plus anciennes de domestication ressemblaient davantage à des choux « kale» et sont attestées dès 400 av JC.

Kale est un anglicisme qui recouvre des choux aux appellations variées (chou frisé, tronchuda portugais, chou de Galice, de Jersey…), mais présentant un aspect commun : des feuilles non pas en boule autour d’un trognon, mais librement étalées autour d’une tige parfois assez haute. C’est aussi le morphotype le plus proche physiquement du chou sauvage.

C’est cette forme archaïque que décrit vers – 400 Théophraste, un élève d’Aristote qui a continué les classements botaniques du philosophe. Or Théophraste relève déjà une forte variété génétique : les différentes lignées de kale étaient donc séparées depuis longtemps et leur séparation aurait eu lieu selon les calculs de l’étude vers – 2560, ce qui donne une estimation pour la domestication.

Mais comment à ces époques reculées l’Atlantique aurait-il été mis en relation avec la Méditerranée ?

Cai, citant un article de 1999, envisage d’abord que « les choux kale, premières formes cultivées de B oleracea, ont été cultivés le long de l’Atlantique et des côtes méditerranéennes par les Celtes, d’où ils furent transportés dans l’est de la Méditerranée (1eret 2ème millénaire avant JC) » . Mais il retient finalement la route maritime de l’étain : l’archéologie démontre l’apparition vers -1450 d’un lien commercial entre les royaumes grecs mycéniens et les mines de Grande Bretagne (Cornwall).

Il y a cependant, reconnaît honnêtement l’étude, un problème de date : si le chou a bien été domestiqué vers – 2560, alors que les Celtes n’avaient pas encore émergé de l’Europe centrale et que la route occidentale de l’étain n’existait pas encore, comment les précieuses semences auraient-elles pu voyager ?

Un don des derniers chasseurs-cueilleurs d’Europe ?

Curieusement, les deux groupes de chercheurs en génétique ne mentionnent pas le mégalithisme : C’est pourtant un phénomène massif et contemporain des faits étudiés. Né selon la chercheuse suisse Bettina Schulz Paulsson en Bretagne vers – 5000, le mégalithisme s’est répandu par voie maritime jusque vers -2000 en Atlantique puis en Méditerranée. Les pierres dressées prouvent l’existence de relations anciennes entre les deux mers.

Autre particularité de la civilisation mégalithique atlantique : selon le chercheur américain David Reich, une partie importante de sa population est issue des chasseurs-cueilleurs (jusqu’à 20%). Ces derniers, qui connaissaient certainement le chou sauvage, ont-ils contribué à sa domestication ? Et en est-il de même pour la betterave maritime qui aurait donné toutes nos betteraves ?

Pourquoi ne pas envisager alors une domestication d’initiative atlantique, et pourquoi pas « bretonne », vers -2560 ? Ce n’est certes pas le point de vue de Cai, selon qui le mérite de la domestication revient à des Méditerranéens de l’Age du Bronze, venus prélever des semences encore sauvages sur nos falaises pour les transplanter sur leurs côtes ensoleillées.

Enora

Compléments sur Brassica oleracea

Il faut aller maintenant en Normandie et en Picardie pour trouver des choux sauvages. Ils ont pratiquement disparu des côtes bretonnes – un relevé récent en décrit des exemplaires à Plérin, près de Saint Brieuc, mais doute de leur caractère indigène (Atlas floristique de Bretagne, 1981-2006).

Brassica oleracea ne doit pas être confondu avec le chou marin (kaol an aod) ou crambe maritime, même s’ils se ressemblent beaucoup, vivent dans les mêmes biotopes et sont également comestibles. Le crambe maritime est beaucoup plus abondant sur nos côtes – dans le seul département des Côtes d’Armor plus de 18 colonies répertoriées par l’Atlas floristique de Bretagne. On ne sait pas encore comment la graine du chou sauvage se diffuse, peut-être par le vent. Un procédé moins efficace que celui du crambe maritime, dont les graines peuvent flotter.

Brassica oleracea à l’état naturel pousse sur les falaises et les cordons de galet. Il résiste au sel contenu dans les embruns ainsi qu’aux tempêtes : sa racine pivotante et sa partie basse dure comme du bois assurent sa fixation au sol, tandis que la partie haute, montant jusqu’à 1 mètre, non ligneuse, souple comme du roseau, se balance au vent.

Les ressources nutritives sont pauvres sur les falaises : aussi le chou sauvage pousse-t-il sur plusieurs années avant de se reproduire ; il stocke des nutriments dans sa tige et ses feuilles, qui sont épaisses et de couleur glauque (couleur typique des végétaux littoraux). Le trait côtier a été un réservoir de biodiversité, en donnant leur chance à des plantes non viables dans d’autres écosystèmes plus fertiles, où les plantes plus grandes ou plus fécondes écrasent la concurrence.

Semée dans un sol riche, Brassica oleraeca devient une plante hyper-productive. A quelques pas des falaises, le fertile plateau du Léon, dans le nord ouest de la Bretagne, est devenu au XIXème siècle l’un des centres majeurs de production de choux fleurs.

Le chou a largement disparu des tables populaires pour se retrouver dans l’assiette des privilégiés (les stars hollywoodiennes en sont folles tout en laissant la préparation à d’autres…). Car la science moderne lui attribue de plus en plus de vertus. Les plus denses nutritionnellement seraient d’ailleurs les choux kale, les plus proches physiquement du chou ancestral : 60 g de kale procurerait plus de vitamine C qu’une orange et plus de calcium qu’un verre de lait (source Alain Bonjean, les chroniques du végétal) …

Le mouvement paléo et pegan, qui cherche à s’inspirer de l’alimentation des chasseurs -cueilleurs du paléolithique en consommant moins de féculents et plus de légumes, met d’ailleurs à l’honneur le chou sous toutes ses formes : par exemple ce riz de chou fleur qui remplace le vrai riz.

Aujourd’hui une crise historique touche le monde des maraichers bretons, le prix d’achat par la grande distribution ne permettant pas de faire vivre les exploitations. Certains envisagent de tourner le dos au chou fleur pour mettre leurs parcelles en céréales, plus rémunératrices. Une évolution économique qui est un non-sens diététique.

Pour le consommateur au contraire, le chou reste le légume anti-inflation par excellence, mais c’est sur le dos des producteurs.

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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