Réviser la Constitution est une affaire difficile lorsque l’appui des parlementaires fait défaut. En 1962, le général de Gaulle avait eu recours au référendum pour les contourner. Marine Le Pen annonce qu’elle utilisera le même procédé.
Habituellement, les ouvrages traitant du droit constitutionnel sont indigestes. Il n’en est rien avec l’Antimanuel de droit constitutionnel (Odile Jacob) que Jean-Jacques Urvoas, professeur des universités en droit public à l’université de Brest, vient de publier ; le livre est à la fois pédagogique et historique, mais aussi facile à lire. Ancien député (PS) de Quimper et ancien ministre de la Justice (gouvernements de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve), Jean-Jacques Urvoas peut conjuguer la réflexion politique avec la technique juridique.
La partie la plus originale de l’Antimanuel se trouve dans le chapitre intitulé “Du bon usage du Conseil constitutionnel“. Là, le professeur Urvoas nous explique comment, à son avis, les choses vont se passer en 2027 lorsque Marine Le Pen, élue présidente de la République, aura à affronter le Conseil constitutionnel. En effet cette dernière, pendant sa campagne de 2017 et de 2022, avait pris l’engagement de réviser profondément la Constitution. Par quel moyen ? En utilisant la voie normale, c’est l’échec assuré. En effet l’article 89 de la Constitution prévoit que « l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement » ; le texte doit d’abord être « voté par les deux assemblées en termes identiques », avant d’être approuvé par référendum ou bien par le Congrès ; or les parlementaires n’accepteront pas cette opération. Voilà qui contraint à contourner l’obstacle parlementaire en passant par l’article 11 : « Le président de la République, sur proposition du Gouvernement(…), peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réforme relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». C’est ce qu’avait fait le général de Gaulle en 1962 (élection du président de la République au suffrage universel) et en 1969 (réforme du Sénat et régionalisation) ; dans les deux cas, le Général savait qu’avec l’article 89, ses projets constitutionnels n’auraient jamais été acceptés par le Parlement – d’où l’utilisation de l’article 11 qui, pourtant, n’est pas prévu pour une révision constitutionnelle. Une certitude : Marine Le Pen se prévaudra de la jurisprudence créée par le général de Gaulle pour aller directement au référendum afin de neutraliser un Parlement qui lui sera hostile – surtout le Sénat.
Le Conseil constitutionnel ennemi n°1 des politiques
« En septembre 2021, Mme Le Pen avait promis d’organiser un référendum sur la politique migratoire pour “modifier la Constitution“ en se référant à “l’exemple de 1962“. Quelques semaines plus tard, le 25 janvier 2022, Laurent Fabius lui rappela vivement que “ceux qui, comme le général de Gaulle en 1962 […], estiment pouvoir s’appuyer sur l’article 11 et le seul référendum pour réviser la Constitution ont tout faux. D’abord parce que n’est pas le général de Gaulle qui veut. Ensuite, parce que toute révision de la Constitution doit se fonder non sur l’article 11 mais sur l’article 89“. »
Jean-Jacques Urvoas explique ensuite que Mme Le Pen aura à faire face à une décision du Conseil d’État (30 octobre 1998) statuant sur l’impossibilité d’utiliser l’article 11 dans le domaine constitutionnel. Bien entendu, les protestations des juristes et des parlementaires suivront (tribunes dans Le Monde, tournées des plateaux de télévision et des studios de radio…). « Mais, volontairement sourde et s’adressant directement au peuple, Mme Le Pen niera au Conseil toute capacité à la contraindre dans son interprétation des prérogatives conférées par la Constitution. Sans nul doute, elle rappellera abondamment les multiples critiques adressées dans les dernières années par les uns et les autres à l’encontre du Conseil constitutionnel pour désigner ce dernier comme un adversaire politique. “Coup d’Etat du droit“, “hold-up contre la démocratie“, « obstacle à la volonté du peuple français », la partition est déjà écrite, et l’essentiel de sa puissance viendra du fait que ces reproches émanent de contradicteurs de la nouvelle présidente. »
« Fort de ces rappels, cette dernière ordonnera au Premier ministre Jordan Bardella de “passer outre“ l’annulation du Conseil et d’organiser le scrutin. Naturellement, la crise sera ouverte. Les juristes, une fois revenus de leur effroi devant une telle hérésie, tempêteront et pétitionneront bruyamment. »
Pour l’organisation d’un référendum, on trouve à la manœuvre les maires. Quel sera leur comportement ? « Tous seront confrontés à un conflit de loyauté qui les conduira à agir avec plus ou moins de zèle. Certains acquiesceront aux injonctions de l’exécutif quand d’autres s’insurgeront et, s’appuyant sur la décision du Conseil, estimant ne pas disposer des moyens juridiques, ne manqueront pas de saisir les tribunaux administratifs pour contester tous les actes préparatoires au référendum. Imagine-t-on ce que serait le désordre créé ? Sans oublier qu’évidemment le Conseil n’acceptera pas, à rebours de ce que prévoit l’article 60 de la Constitution, de prendre en charge les opérations référendaires ni de proclamer son résultat. Est-il concevable que la France soit fracturée le jour du référendum, avec des communes où le vote serait impossible et d’autres où il pourrait se dérouler normalement ? »
En 2027, il faut compter avec le “front républicain“
Voilà comment le professeur Urvoas voit les choses si Marine Le Pen, élue présidente de la République, décidait d’organiser un référendum sur la base de l’article 11 de la Constitution. On notera que pour lancer cette opération, elle n’aurait aucunement besoin de l’appui des députés et des sénateurs. L’article 11 « est une prérogative partagée entre le chef de l’État et celui du gouvernement ». Bien entendu, l’analyse de Jean-Jacques Urvoas repose sur une hypothèse osée : Marine Le Pen s’installe à l’Elysée. Ce qui serait possible si, au second tour, elle se trouvait opposée à Jean-Luc Mélenchon ; elle bénéficierait alors du renfort des électeurs de droite du premier tour. En effet, les sympathisants de droite n’aiment pas Mme Le Pen mais ils la considéreront “moins pire“ que Méluche… Alors que, pour elle, la défaite serait assurée si elle était confrontée au second tour à un candidat représentant le “socle commun“ (Modem, Renaissance, Horizons, Les Républicains) – ce qui signifie qu’au premier tour les centristes, les macronistes et les libéraux ont présenté un candidat unique ; le mieux placé pour occuper cette place étant Edouard Philippe puisque situé au point central de cette coalition – mais également « toujours favori dans les sondages pour la présidentielle de 2027 » (Paris Match, 27 février 2025). Autre avantage de cet ancien Premier ministre : être de droite sans être “marqué au fer rouge“ comme l’est, par exemple, Bruneau Retailleau avec la question de l’immigration – au second tour, les électeurs de gauche voteront en faveur du maire du Havre ; ils feront barrage au “populisme“ et ressusciteront le “front républicain“.
Avec sa VIe République, Jean-Luc Mélenchon connaîtrait les mêmes oppositions. A moins de faire la révolution et de créer des “assemblées citoyennes“, il lui faudra régler ce dilemme : l’article 89 ou l’article 11 … On attend ses explications…
Bernard Morvan
Crédit photo : Mbzt / Wikimedia Commons
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