Par un dimanche de mai où le ciel pleure sa Bretagne, le Tro Bro Léon a ressuscité l’âme véritable du cyclisme. Celle qui sent la terre mouillée, le cuir râpé, les boyaux qui crissent sur les cailloux. À Lannilis, ce 11 mai 2025, la pluie n’était pas un décor : elle était l’actrice principale d’une tragédie fantastique, d’une épopée trempée, de ces morceaux de bravoure qu’on croyait disparus dans les limbes des watts standardisés et des datas aseptisées.
C’est dans ce chaos poétique que Bastien Tronchon, 23 ans, est allé chercher sa gloire. Non pas en mutant, non pas en robot, mais en coureur – au sens le plus noble du terme. Le maillot plein de boue, les jambes éclatées, les crevaisons à répétition en guise d’épreuves initiatiques, et une errance dans un parking en plein Tro Bro pour ajouter au mythe : il a traversé les enfers de la Bretagne intérieure pour offrir au cyclisme l’une de ses plus belles pages depuis le début de saison.
Les ribinou, ces chemins d’hommes
Le Tro Bro Léon, c’est le Paris-Roubaix qui aurait lu Xavier Grall. Un enfer pavé de 29 secteurs de chemins de terre, les fameux ribinou, sur plus de 34 kilomètres, balafrés de flaques, de gadoue, de nids-de-poule, de virages sans visibilité, et de pièges pour les pneumatiques et les égos. Ici, il ne suffit pas d’avoir un moteur, il faut un cœur, un instinct, et un peu de folie.
Dans ces conditions dantesques, loin des pelotons stériles des grands tours, ce sont des hommes – et non des machines – qui ont offert au public breton une course romanesque. Une épreuve d’usure, de survie même. Ils étaient 160 au départ. À l’arrivée, seuls les vivants pouvaient en témoigner.
Déjà 2e deux jours plus tôt au Tour du Finistère, Bastien Tronchon aurait pu baisser les bras. Mais le garçon a du feu dans les jambes et une boussole dans la tête. Parti dans un raid fou, il a d’abord failli tout perdre sur une erreur de fléchage, puis sur crevaison. Mais c’est dans la tempête qu’on reconnaît les héros : il est revenu de l’arrière, a rejoint son jeune camarade Pierre Gautherat, et ensemble, ils ont recollé le Norvégien Frederik Dversnes. Celui-ci, victime de la malédiction du virage, a glissé à 5 kilomètres de l’arrivée, laissant la voie libre à un doublé somptueux de la Decathlon AG2R La Mondiale.
Sur la ligne, pas de bras levés en solo. Tronchon a serré la main de son coéquipier : un geste d’élégance, d’humilité, d’héritier des anciens. « La photo est plus belle à deux », a-t-il déclaré. Il a raison. Mais l’histoire retiendra son nom.
Une course qui mérite mieux
Valentin Madouas (3e), Anthony Turgis (4e), Frederik Dversnes (5e)… derrière, les cadors ont explosé un à un. Ici, les feuilles de résultats sont illisibles à la lumière des watts. Car le Tro Bro Léon est un combat, pas une démonstration. C’est une épreuve qui devrait figurer au Panthéon du cyclisme, au même titre que les Strade Bianche ou la Bretagne Classic. Une course enracinée dans un peuple, une terre, une histoire. Une course d’identité. De vérité.
Et si les instances n’y voient qu’un folklore de terroir, c’est qu’elles n’ont pas vu les yeux embués des spectateurs sur les talus détrempés, les visages boueux aux abords de Lannilis, les enfants hurlant sous la pluie pour les héros d’un jour. Les ribinou ne mentent jamais.
À l’heure où l’on parle souvent de reconquête des valeurs, le Tro Bro Léon 2025 en a donné une démonstration vivante. Tronchon n’a pas gagné une course, il a soulevé une Bretagne. Il a rappelé que le cyclisme est un sport où le panache vaut parfois plus qu’un plan de course. Et que l’émotion ne s’écrit pas sur les capteurs de puissance, mais dans la boue des chemins perdus.
Ce 11 mai, sur les terres du Léon, la légende a parlé breton.
YV
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