Il fallait bien une secousse, une vraie, une belle, une qui décoiffe le classement général et bouscule les certitudes, pour faire décoller ce Giro 2025 dont les huit premiers jours nous avaient offert davantage de promesses que de frissons. Elle est venue des chemins blancs de Toscane, ces routes de poussière et d’histoire qui ne pardonnent ni l’erreur, ni l’absence de panache. Et voilà qu’un gamin mexicain de 21 ans, Isaac Del Toro, a mis le feu aux poudres, avant que Wout Van Aert ne vienne cueillir la victoire comme un vieux briscard renaissant, dans les rues de Sienne, théâtre des gladiateurs à pédales.
Un air de Strade Bianche sur les épaules du peloton
Cette neuvième étape entre Gubbio et Sienne, longue de 181 kilomètres, avait tout d’une classique flandrienne transposée dans le décor solaire de la Toscane. Pas besoin de haute montagne pour dynamiter la course : 29,5 kilomètres de chemins de gravier ont suffi pour faire voler en éclats les ambitions des uns, révéler les failles des autres, et consacrer les audacieux. On aura vu Primoz Roglic mordre la poussière — au sens propre comme au figuré —, pris dans une chute, puis trahi par ses boyaux. Et pendant que le Slovène se débattait dans l’arrière-cour du peloton, Del Toro, le jeune prodige de l’équipe UAE, s’offrait une chevauchée dantesque, enchaînant les offensives comme un coureur sans lendemain.
Mais il y en avait un, de lendemain, et il s’appelle Van Aert. Le Belge, que l’on disait rincé, lessivé par les saisons denses et les printemps sans printemps, a retrouvé le feu sacré. La victoire lui échappait depuis huit mois et 22 jours – une éternité dans une époque où même les émotions semblent sponsorisées par des montres connectées. Mais l’homme au souffle court et aux jambes longues a surgi au moment juste, avalant Del Toro dans les derniers mètres comme on efface une dette morale avec panache.
Et pendant ce temps-là, le classement général s’est retourné comme une chemise blanche en fin de banquet. Isaac Del Toro enfile le maillot rose, premier Mexicain à dominer un Grand Tour. À ses trousses, son camarade Juan Ayuso, plus stratège qu’explosif, semble prêt à gérer la suite comme on gère une partie d’échecs sous adrénaline. Mais ce Giro ne veut pas de rois trop vite couronnés. Ils sont une bonne dizaine, tapis dans les 2 minutes, prêts à bondir : Tiberi, Carapaz, Bernal, Yates, Ciccone… et même Roglic, relégué à 2’25 », qui attend son heure comme un loup blessé.
On le disait dès la première semaine : il manquait une étincelle. Cette fois, le feu couve. L’étape de Sienne a réintroduit l’imprévisible dans une course devenue trop souvent clinique, trop souvent dictée par les tableurs. Elle nous rappelle que le Giro, ce n’est pas seulement les grands cols et les blocs d’altitude. Ce sont aussi ces jours de folie en plaine, ces pièges sur des chemins oubliés par le bitume, ces victoires conquises par l’intelligence autant que par les jambes.
L’avenir en rose pâle et poussière
Le contre-la-montre de mardi fera sans doute tomber quelques masques, mais ce Giro-là semble avoir retrouvé son âme. Celle où rien n’est écrit, où tout se joue sur une bordure, une crevaison, une inspiration. Loin des courses verrouillées, ce Tour d’Italie s’ouvre comme un roman de Dino Buzzati, où les héros d’un jour peuvent devenir les légendes d’un soir.
Et si demain, ce n’était ni le Stelvio ni le Mortirolo, mais bien une côte anonyme, un virage mal négocié, ou un coup de poker audacieux qui décidait du vainqueur final ? Le Giro est de ces épopées où l’inattendu est la norme, et où les chemins blancs révèlent les âmes les plus colorées. À Sienne, Van Aert a brisé la malédiction. Del Toro a posé une première pierre. Et nous, pauvres spectateurs émerveillés, nous avons enfin eu droit à cette envolée lyrique qu’on attendait depuis la première banderole. Grazie, Giro.
YV
Crédit photo : Giro d’Italia (DR)
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