Quand la Hongrie s’intéressait à la Bretagne : un épisode oublié de 1488

Un épisode méconnu de l’histoire européenne est mis en lumière par l’historien Attila Bárány, dans une étude universitaire consacrée à la présence de la Hongrie dans la diplomatie autour de la guerre de Bretagne en 1488. Publié sous le titre La Hongrie et la guerre de Bretagne (1488-1493), ce travail rigoureux lève le voile sur un pan ignoré des relations internationales à la fin du XVe siècle, au moment où la Bretagne luttait pour sa survie politique face à l’expansion du royaume de France.

Le contexte de la guerre de Bretagne

À la fin des années 1480, la succession du duché de Bretagne devient un enjeu majeur pour les grandes puissances. Après la mort de François II en 1488, sa fille Anne de Bretagne est au centre des convoitises. Les Valois, sous Charles VIII, cherchent à annexer le duché par un mariage avec Anne, renforçant ainsi leur emprise sur l’Ouest français. Les Habsbourg, menés par Maximilien, roi des Romains, et les Tudor, avec Henri VII d’Angleterre, s’opposent à cette ambition, craignant une hégémonie française. La Bretagne, quasi-indépendante, représente un atout stratégique, notamment pour le commerce maritime anglais et les ambitions territoriales des Habsbourg dans les Pays-Bas.

Le rôle indirect de la Hongrie

La Hongrie, sous le règne de Mathias Corvin jusqu’en 1490, puis de Vladislas II Jagellon, n’intervient pas directement en Bretagne. Cependant, ses relations avec les Habsbourg et son positionnement dans les conflits européens influencent les stratégies des belligérants. Mathias Corvin, adversaire de Maximilien, est perçu comme un allié potentiel par Henri VII, qui cherche à contrer les ambitions des Habsbourg dans les Pays-Bas. En 1488, des contacts diplomatiques sont établis, notamment via Robert de Champlayn, un émissaire ayant combattu les Turcs en Hongrie. Ces échanges visent à créer un front anti-Habsbourg, affaiblissant Maximilien sur plusieurs fronts.

La mort de Mathias en avril 1490 change la donne. Maximilien, libéré du conflit hongrois, se tourne vers la couronne de Hongrie, mais ses ambitions sont freinées par Vladislas II. Ce dernier, après le traité de paix de Presbourg (1491), adopte une posture pragmatique. Une lettre de l’évêque de Sion en 1492 suggère que Vladislas aurait envoyé des fonds et des troupes tchèques pour soutenir Maximilien contre la France. Cependant, Bárány nuance cette hypothèse, estimant qu’il s’agit probablement d’un soutien symbolique, lié à l’indemnité de guerre prévue par le traité. La Hongrie, affaiblie par les attaques turques et les tensions internes, n’avait ni les moyens ni l’intérêt d’intervenir militairement en Bretagne.

Une diplomatie européenne interconnectée

L’étude met en lumière la complexité de la diplomatie européenne à cette époque. La guerre de Bretagne n’est pas un conflit isolé : elle s’inscrit dans un réseau d’alliances et de rivalités impliquant l’Angleterre, la France, les Habsbourg, l’Espagne et, indirectement, la Hongrie. Maximilien, tiraillé entre ses ambitions hongroises et bretonnes, doit jongler avec des ressources limitées. Henri VII, initialement neutre, bascule vers une alliance avec Maximilien pour contrer l’expansion française, mais la « trahison » de ce dernier, qui signe une paix séparée avec la France en 1489, complique les plans anglais.

La Hongrie, bien que géographiquement éloignée, joue un rôle de contrepoids. En occupant Maximilien sur le front oriental, elle limite sa capacité à intervenir en Bretagne. Le traité de Presbourg, en libérant Maximilien du conflit hongrois, lui permet de se concentrer sur l’Ouest, mais ses échecs militaires et financiers l’empêchent de contrer l’annexion de la Bretagne par Charles VIII en 1491, lorsque ce dernier épouse Anne.

Une leçon d’histoire pour la Bretagne

Pour les Bretons, cette période illustre la vulnérabilité du duché face aux grandes puissances européennes. La guerre de Bretagne montre comment des décisions prises à des milliers de kilomètres, comme en Hongrie, pouvaient influencer le destin d’un territoire. L’implication indirecte de la Hongrie, via sa rivalité avec les Habsbourg, a contribué à affaiblir l’alliance anti-française, facilitant l’annexion du duché par la France.

Cette étude rappelle également l’importance de la diplomatie dans l’histoire européenne. La Hongrie, sous Vladislas II, sort de l’isolement post-Mathias Corvin et s’affirme comme un acteur à considérer. Pour la Bretagne, l’échec de l’indépendance face à la France marque un tournant, mais l’héritage de cette période continue de nourrir la mémoire collective bretonne.

L’étude est à retrouver ici

Crédit photo : DR
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