Une décision lourde de conséquences a été prise mardi 17 juin par la Chambre des Communes à Londres : les députés britanniques ont voté, à une large majorité (379 voix contre 137), un amendement visant à dépénaliser totalement l’avortement pour les femmes enceintes en Angleterre et au Pays de Galles. Concrètement, cette réforme ouvrirait la voie à des interruptions volontaires de grossesse jusqu’au terme, sans que les femmes concernées puissent être poursuivies.
Une rupture historique avec la législation héritée du XIXe siècle
Jusqu’à présent, la loi britannique encadrait strictement l’avortement : autorisé depuis 1967, il reste légal jusqu’à 24 semaines de grossesse, sous réserve de l’accord de deux médecins, sauf en cas de danger pour la vie de la mère. Au-delà, l’avortement demeure techniquement un crime, passible de poursuites en vertu d’une loi datant de… 1861.
Cet encadrement judiciaire, certes peu appliqué, a néanmoins connu un regain d’activité ces dernières années, notamment depuis l’autorisation temporaire (post-Covid) de prendre des pilules abortives à domicile. Plusieurs femmes ont alors fait l’objet d’enquêtes policières, certaines ayant même été traduites en justice.
L’amendement, proposé par une députée travailliste, Tonia Antoniazzi, vise à mettre fin à ce qu’elle appelle « une cruauté judiciaire », en citant le cas d’une centaine de femmes poursuivies ces cinq dernières années – parfois pour des fausses couches tardives ou des avortements forcés par un conjoint violent.
Mais cette réforme inquiète fortement une partie des parlementaires et de l’opinion publique. Plusieurs députés conservateurs ont alerté sur le fait qu’une dépénalisation totale ouvrirait la porte à des avortements très tardifs, y compris à quelques jours de l’accouchement, sans aucun contrôle médical. « C’est une dérive inquiétante : des enfants à terme pourraient être supprimés sans qu’aucune conséquence ne soit encourue », a dénoncé la députée Rebecca Paul.
Des bébés viables et sensibles privés de toute protection ?
Des organisations de défense de la vie, comme la Society for the Protection of Unborn Children, s’alarment également. « Cette réforme supprimerait la dernière protection légale pour les bébés viables, capables de ressentir la douleur, voire de vivre hors du ventre maternel », souligne Alithea Williams, responsable des affaires publiques. « C’est une régression morale sans précédent ».
Et de rappeler que seuls 1 % des femmes britanniques soutiennent une légalisation de l’avortement jusqu’à la naissance, selon les sondages. Une minorité radicale semble donc dicter une orientation législative qui déplaît à une large part de la population.
Le paradoxe est d’autant plus criant que dans le même temps, des citoyens britanniques sont poursuivis pour avoir… prié silencieusement devant des cliniques pratiquant l’avortement. C’est le cas d’Adam Smith-Connor, condamné pour avoir exprimé, debout et en silence, sa désapprobation morale à proximité d’un établissement. Pour les défenseurs de la liberté d’expression, c’est une atteinte flagrante aux droits fondamentaux.
« Comment peut-on criminaliser une prière silencieuse et dépénaliser la suppression d’un enfant à naître jusqu’au terme ? », s’interroge l’ONG ADF International, engagée dans la défense juridique de Smith-Connor. « C’est une rupture totale dans la hiérarchie des valeurs. »
Une divergence croissante avec les États-Unis
Cette libéralisation britannique tranche radicalement avec la tendance observée outre-Atlantique. Depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême en 2022, plusieurs États américains ont drastiquement restreint ou interdit l’avortement, au nom de la protection de la vie humaine dès la conception. En réaction, certains observateurs estiment que les votes récents à Westminster sont influencés par une volonté militante de faire contrepoids à ce « climat hostile », selon les termes employés par MSI Reproductive Choices, une association pro-avortement.
L’amendement voté ne constitue qu’une étape. Il devra encore passer devant la Chambre des Lords, et il pourra être modifié ou rejeté dans le cadre de l’examen global du Criminal Justice Bill. Mais le signal envoyé par la majorité des députés est clair : l’avortement pourrait bientôt cesser d’être un crime, quelles que soient les circonstances ou le terme de la grossesse.
Cette évolution législative soulève des questions fondamentales sur l’éthique, la dignité humaine, le rôle de la justice et la responsabilité collective. Si le droit à l’avortement peut faire l’objet de débats légitimes, l’extension sans limite de ce droit, jusqu’au seuil même de la naissance, interroge profondément sur les repères moraux d’une société.
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