Royaume-Uni. Farage ou le retour du réel

Il fut un temps, pas si lointain, où le nom de Nigel Farage faisait sourire les salons. Personnage de second plan, bateleur de foire, boutefeu utile mais inapte au pouvoir, disait-on. Ce ricanement de caste est en train de s’étrangler. Car voici que l’homme au verre de bière et au verbe rugueux est désormais le favori des bookmakers pour devenir premier ministre. L’Angleterre, cette vieille monarchie parlementaire, s’apprête peut-être à offrir les clés du 10 Downing Street à l’homme qui l’a sortie de l’Union européenne. L’ironie de l’histoire est totale. Et la mécanique, implacable.

Fraser Nelson l’écrit dans le Times avec justesse : “It should be impossible…” — cela devrait être impossible. Et pourtant, cela est. C’est là tout le drame des classes dirigeantes : elles ne comprennent plus les peuples qu’elles prétendent représenter. Leur logique est restée figée dans les années 1990, dans l’ordre libéral mondialisé, dans le consensus de Davos. Pendant ce temps, le monde chavire. Les classes populaires, les petits propriétaires, les jeunes désenchantés, les immigrés intégrés… tous ceux qui voient que la promesse d’élévation sociale a été rompue se rangent derrière Farage. Parce qu’il parle un langage clair, parce qu’il ose dire ce que d’autres camouflent sous le velours des euphémismes.

Il faut entendre Asim, fils d’immigré pakistanais, dire que certains comportements venus d’ailleurs n’ont pas leur place en Angleterre. Non pour stigmatiser, mais pour préserver ce qu’il estime être des règles de vie commune. C’est là que réside une nuance fondamentale : Farage n’est pas un identitaire. Il ne parle ni de civilisation, ni de traditions séculaires, ni de l’âme du peuple anglais. Il ne cite pas Burke, il n’a pas lu Jared Taylor, le patron d’American Renaissance, encore moins Spengler. Il ne défend pas l’héritage ethnique de l’Europe, mais une certaine idée de la propreté, de l’ordre, de la responsabilité individuelle, du patriotisme fiscal et du bon sens. C’est un homme de droite classique — pas un Zemmour, pas un Le Pen, encore moins un Faye.

C’est d’ailleurs là que réside sa force : il est rassurant dans sa simplicité bonhomme. Il veut que les frontières servent à quelque chose, que les impôts soient modérés, que la police ait les coudées franches. Il ne promet pas le sursaut civilisationnel mais le retour à la normalité. Ce que les classes moyennes, lassées des folies wokistes et des acrobaties budgétaires, entendent comme une délivrance. Son nationalisme est d’intendance plus que de transcendance.

Farage ne propose pas tant une politique qu’un retour. Retour à l’ordre, à la clarté, au bon sens. Il incarne, comme Meloni en Italie ou Milei en Argentine, cette génération de leaders surgis du refus : refus du déclin, de l’impuissance, de l’insulte permanente faite au peuple par ceux qui prétendent l’éduquer. C’est le symptôme visible d’un divorce désormais consommé : celui entre la nation réelle et les clercs du monde d’avant.

Dans les colonnes du Times, Fraser Nelson évoque la « stratégie du bad boy », ce rôle que Farage assume avec une allégresse provocante. Il joue la transgression, mais elle n’est plus gratuite : elle est investie d’un mandat. Celui de briser le carcan de la bienséance politique, de faire éclater le couloir étroit des opinions autorisées. En Suède, on appelle cela le Meinungskorridor : ce seuil invisible mais strict, au-delà duquel la parole devient suspecte. Farage ne se contente pas de le franchir. Il le fait exploser.

Et comme chez nous, ce ne sont pas ses outrances qui choquent, mais le fait qu’il dise, tout haut, ce que tant pensent tout bas. On le traite de raciste ? Il aligne à ses côtés un lieutenant musulman, Zia Yusuf, qui finit pourtant par démissionner, épuisé par les torrents d’injures. On lui reproche ses formules chocs ? Il gouverne dix conseils municipaux avec des budgets lourds, des responsabilités réelles, et une discipline de fer. Il chante du rap américain dans sa voiture, se met en scène, brouille les genres, mais sur le fond, il avance. Il grignote. Il s’installe.

Et ce que l’on observe outre-Manche ressemble à s’y méprendre à ce qui se joue chez nous. Farage, c’est Bardella avec l’accent du Kent. C’est Marine Le Pen, mais passée par I’m a Celebrity. La stratégie est identique : entrer par la marge, choquer les bien-pensants, puis rassurer, apparaître compétent, respectable, crédible. Comme le disait Janice Turner dans The Times, ce n’est pas la parole franche qui alimente l’extrême droite, c’est le silence complice de ceux qui veulent ignorer les faits. La gauche, dans les deux pays, a érigé l’aveuglement en vertu. Elle a méprisé les inquiétudes du peuple, déguisé ses échecs en principes, travesti sa lâcheté en humanisme. Elle paiera le prix.

La victoire de Farage ne serait pas un accident. Ce serait une punition.

Et le châtiment, en politique, s’annonce toujours par la rupture des digues. Si rien ne vient l’arrêter, Farage franchira le seuil de Westminster, comme un fleuve déborde ses rives, non parce qu’il est irrésistible, mais parce qu’on a laissé son lit se boucher.

Et nul n’ignore désormais que ce qui s’éveille au bord de la Tamise, dans les brumes épaisses où sommeillent les révoltes insulaires, ne tardera guère à franchir le détroit pour rejaillir, transposé mais non altéré, sur les rives lassées de la Seine. Car en France aussi, sous les apparences d’une stabilité étale, fermentent les humeurs lourdes d’un peuple las d’être dépossédé de tout, jusqu’à son propre imaginaire. Le tandem Le Pen–Bardella, projection continentale, sinon caricaturale, de l’expérience Farage, s’inscrit dans cette mécanique du retour : retour à l’État, au contrôle, au sentiment d’appartenance, à une forme de décence politique qu’on croyait désuète. Ils avancent sans fracas, portés non par l’enthousiasme mais par cette torpeur résignée qui saisit les peuples lorsqu’ils ont cessé de croire aux promesses mais tiennent encore à préserver les ruines.

Cependant, à la différence anglaise, et c’est ici que le parallèle trouve sa limite, une figure, dissonante, irréductible, demeure en France comme une écharde dans la chair molle du consensus : Éric Zemmour. Et, derrière lui, l’intelligence froide, méthodique, presque ascétique, de Sarah Knafo. Tandem singulier, à la fois archaïque et prophétique, qui ne cherche pas aujourd’hui à gouverner mais à tenir la ligne. Par leur seule persévérance, par leur refus de renoncer aux mots fondateurs, patrie, civilisation, identité, ils maintiennent, encore, dans l’ombre portée du Rassemblement national, la mémoire d’un feu que d’autres voudraient éteindre.

Car il faut bien nommer les figures de l’effacement : Jean-Philippe Tanguy, ancien technocrate devenu député, est à lui seul la synthèse parfaite de ce que Jean-Marie Le Pen appelait jadis la dédiabolisation par la reptation. Tout, chez cet homme, le ton d’un notaire éméché, le lexique comptable, la grimace souriante, exprime le reniement méthodique du legs qu’il prétend prolonger. Il ne croit plus à la France charnelle, seulement à l’équilibre budgétaire. Il ne parle plus au peuple, mais à Bercy. Il est, littéralement, la trahison incarnée du programme d’origine : celle qui ne se proclame pas, mais s’installe, au fil des amendements techniques, des renoncements glissés dans les marges, des purges mesquines. Face à cela, Zemmour et Knafo font figure de ligne de front : peut-être fragile, mais encore tenue.

Et c’est peut-être à cela, à cette ténacité solitaire, à cette fidélité sans illusion, que l’on devra, dans les années qui viennent, que tout n’ait pas été trahi jusqu’au fond.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

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