L’Allemagne a connu une hausse spectaculaire du nombre de naturalisations en 2024, avec un record de 291 955 personnes devenues citoyennes allemandes, selon les données officielles de Destatis.de, l’Office allemand de la statistique cité par le quotidien turc Hürriyet Daily News le 10 juin dernier. Parmi elles, 22 525 ressortissants turcs ont obtenu un passeport allemand, soit une augmentation de 110 % par rapport à 2023. Un chiffre qui place la Turquie au deuxième rang, derrière la Syrie, en nombre de naturalisations.
Réforme de la loi et double nationalité : un tournant majeur
Cette hausse s’explique en grande partie par la réforme du droit de la nationalité allemande entrée en vigueur le 27 juin 2024. La nouvelle loi facilite l’accès à la citoyenneté : la durée minimale de résidence a été ramenée de huit à cinq ans, et même à trois ans pour les candidats répondant à des critères d’intégration spécifiques, selon le média allemand Deutsche Welle le 22 juin. Surtout, la possibilité de conserver sa nationalité d’origine a levé un frein majeur pour des dizaines de milliers de Turcs installés en Allemagne. Jusqu’alors, la naturalisation impliquait une renonciation au passeport turc, ce que beaucoup refusaient pour des raisons familiales, affectives ou économiques.
Pour Burak Keceli, informaticien formé à l’université de Bogazici, cette évolution a pesé : « La possibilité d’avoir deux passeports est très positive », a-t-il confié à Deutsche Welle. Il souligne aussi « le pouvoir du passeport allemand », qui permet de voyager sans visa dans 131 pays, contre seulement 75 pour le passeport turc.
Un choix autant pratique que politique
Alaz Sumer, avocat installé à Berlin, estime pour sa part que « la citoyenneté est l’objectif de tout immigrant, car sinon on est toujours confronté à la bureaucratie, qui est très lourde ici ». Lui aussi a conservé sa nationalité turque : « Je ne voulais pas renoncer à mon droit de vote », a-t-il précisé, soulignant l’intérêt de maintenir un ancrage en Turquie.
Mais au-delà des considérations pratiques, certains naturalisés turcs invoquent un besoin de participation politique en Allemagne. « Je parle couramment la langue. Après tout ce temps, je voulais pouvoir m’exprimer sur le plan politique », affirme encore Burak Keceli dans le même article.
Inflation, répression : les raisons du départ
La crise politique et économique en Turquie constitue également un facteur décisif. Les arrestations d’opposants, les atteintes répétées à la liberté d’expression et l’effondrement de la monnaie nationale (un euro valant près de 46 lires turques en 2025, contre 2,3 en 2015) ont convaincu nombre de « jeunes actifs » de s’installer durablement en Allemagne.
Pour autant, ces nouveaux citoyens allemands ne se disent pas tous pleinement intégrés. « L’Allemagne n’a jamais été ma patrie. Je ne me décrirais pas comme un Allemand », confie Alaz Sumer. Et d’ajouter : « Même si l’on s’assimile et que l’on vit selon les normes allemandes, on reste toujours un immigré ». Il rapporte également des discriminations : après sa naturalisation, ses demandes de logement restaient lettres mortes jusqu’à ce qu’il envoie des messages avec un nom allemand.
La réforme de 2024, en facilitant l’accès à la citoyenneté et en ouvrant la voie à la double nationalité, a donc provoqué un afflux massif de demandes. Mais elle ne résout pas, à elle seule, la question de l’intégration culturelle et sociale de ces « nouveaux Allemands ».
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