Dans les palais tapissés de velours rouge et de procédures jaunies, il est des sentences qui retentissent comme un coup de tonnerre dans l’ordre feutré des choses établies. Le 27 juin 2025, la Cour suprême des États-Unis, par six voix contre trois, a mis fin à une anomalie juridique : le pouvoir exorbitant des juges fédéraux de bloquer, à l’échelle nationale, les décisions de l’exécutif. À travers cette décision, c’est moins un débat technique qu’un combat de fond qui se dévoile : celui de la guerre judiciaire, ce que les Anglo-Saxons nomment lawfare, livrée contre le pouvoir politique élu.
Le lawfare, entendons-nous bien, n’est pas un simple contrôle des juges sur les élus. C’est bien davantage : une entreprise de harcèlement légal, une guérilla procédurale, où les prétoires se muent en champs de bataille et les robes noires en soldats d’un progressisme sans drapeau mais non sans dogme. Jean-Yves Le Gallou, que nul ne pourra soupçonner de sympathies démocrates-chrétiennes, l’a dénoncé avec vigueur : « L’appareil judiciaire ne défend plus le droit, il impose une idéologie. »
Il ne faut pas s’étonner alors que la presse militante se lamente. Mediapart, toujours prompt à pleurer les larmes de l’État de droit dès que les juges perdent un peu de leur pouvoir thaumaturgique, voit dans cette décision un « pas terrifiant vers l’autoritarisme ». On y cite la juge Sotomayor, Cassandre en robe de cour, évoquant « l’anarchie de l’exécutif » et la « disparition de la République ». On croirait lire un tract du Mouvement contre le fascisme latent, et l’on sent que le journal, en son for intérieur, regrette que l’Amérique ne soit pas gouvernée par un collège de magistrats pédagogues.
Pourtant, ce qu’a rappelé la Cour suprême n’a rien de subversif : le juge n’est pas là pour entraver l’action d’un président élu, mais pour dire le droit à l’égard de ceux qui le saisissent. L’injonction de portée nationale, arme favorite des juges militants, permettait jusqu’ici à un obscur magistrat d’un district quelconque de suspendre, pour l’ensemble du pays, une décision présidentielle. Une situation ubuesque, où un seul homme, souvent choisi à dessein (judge shopping, disent les Américains), devenait le verrou de toute politique publique.
Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’un décret de Donald Trump mettant fin au jus soli automatique, ce droit du sol hérité du XIVe amendement, que le président voulait conditionner au statut des parents. On peut discuter du fond, certes, mais ce n’était pas la question. L’administration Trump ne demandait même pas que la suspension du décret soit levée, mais que sa portée soit limitée aux plaignants. Ce bon sens, la Cour suprême l’a rétabli.
Il y a là un précédent majeur : la reconstitution d’un équilibre entre les pouvoirs. Ce que le juge conservateur Barrett a rappelé en termes simples : lorsqu’un tribunal estime qu’une action de l’exécutif est illégale, il ne peut lui-même outrepasser ses propres pouvoirs. Nul besoin d’avoir lu Carl Schmitt pour comprendre qu’un pouvoir qui ne connaît plus ses limites devient vite un clergé séculier.
En France, hélas, ce débat est encore confiné à quelques cénacles. Le Conseil constitutionnel, faux sénat, vraie machine à produire de l’impuissance, continue d’ériger ses censures au nom de principes qu’aucun suffrage n’a jamais consacrés. L’institution judiciaire, massivement féminisée, fortement ancrée à gauche pour des raisons sociologiques évidentes, fonctionne comme un bastion de la morale universaliste contre toute politique de rupture. Là encore, Le Gallou avait vu juste : les juges sont devenus les censeurs naturels du camp identitaire, les protecteurs du statu quo progressiste.
Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de Donald Trump, dont le style tonitruant et les emportements peuvent légitimement agacer. Il s’agit de dire que dans une démocratie, le vote doit peser davantage que l’interprétation. Ce n’est pas l’exécutif qui menace la République, mais l’enfermement juridico-idéologique qui paralyse tout changement.
Ce que la Cour suprême a entériné, c’est la réhabilitation de la souveraineté élective contre la théocratie du droit. Et si cela fait pleurer quelques éditorialistes de la rive gauche de la Seine, tant mieux : les larmes, comme chacun sait, sont les premiers aveux de la défaite.
Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —
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