La gauche et les larmes de la défaite

Il fut un temps, pas si lointain, où la gauche prétendait incarner la puissance historique du Progrès. Elle déployait ses bannières dans les rues et les facultés, elle dictait le sens de l’histoire, elle désignait les bons et les méchants. Elle ne tolérait pas d’être contredite, mais elle n’avait pas besoin de pleurer. Or voici qu’elle couine. Elle gémit. Elle supplie. Elle réclame, pour elle seule, la protection que naguère elle refusait aux autres.

Dans une tribune publiée le 11 juillet dans Libération, un collectif d’artistes féministes italiennes, dont Francesca Corona, directrice du Festival d’automne, signe un texte au titre évocateur : Ce que le fascisme de Meloni fait à la culture et à nos vies. L’on y découvre une fresque où la déploration se mêle à l’accusation, et où chaque événement politique devient le signe avant-coureur d’une apocalypse morale. Le fascisme y est partout, sous chaque robe, dans chaque subvention supprimée, dans chaque affiche collée.

« Nous voulons parler de l’impuissance », écrivent-elles. Et en effet, elles en parlent, longuement. De la claustrophobie qu’elles ressentent depuis que la droite gouverne l’Italie. De leur difficulté à exister en tant qu’artistes, amies, militantes. D’un décret contre les rave-parties, d’une affiche de Jan Fabre, d’un bateau militaire en Albanie, d’une réforme des subventions culturelles. Tout fait sens. Tout alimente le Grand Récit de l’oppression. La logique y est d’ordre oraculaire : ce qui nous nuit est fasciste, ce qui nous soutient est vital.

Un passage mérite d’être cité, tant il condense l’ethos de cette tribune : « Ce n’est pas simple de savoir à quel moment le compromis pour rester en lien avec la réalité devient compromission ». Autrement dit, tout rapport avec le réel devient suspect s’il ne reconduit pas l’imaginaire victimaire. S’il faut camoufler sa pensée pour obtenir un financement, soit. Ce sera une forme de résistance. Et si l’on se tait, ce ne sera jamais par faiblesse, mais pour ne pas donner prise à l’ennemi.

Ce qui frappe dans ce texte, c’est qu’il ne parle ni d’art ni de beauté, mais de survie symbolique. L’art n’est plus qu’un prétexte. Une arme brandie au nom du Bien, dont les femmes signataires s’estiment les seules détentrices. La moindre réduction de budget devient alors une persécution. La moindre critique de leurs œuvres, une attaque contre leur existence. Ce n’est plus la critique qu’elles redoutent, c’est le monde lui-même.

En vérité, ce que cette tribune donne à lire, c’est le passage de la gauche du camp des vainqueurs à celui des plaintifs. Le discours jadis conquérant s’est mué en chronique du désastre. Comme aurait pu l’évoquer Oswald Spengler, les civilisations ne meurent pas en combattant, mais en se plaignant. Ce texte est un document précieux, non pas sur la condition artistique en Italie, mais sur l’effondrement intérieur d’une pensée qui, à force de se croire morale, en vient à tenir le réel pour illégitime.

Balbino Katz chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR
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