En ces soirées d’été où l’on cherche parfois un divertissement mêlant fond et forme, Canal+ frappe un grand coup avec Plaine Orientale. Cette création originale en huit épisodes, signée Pierre Leccia (Mafiosa) et Aurélie Teisseire, nous plonge dans la complexité de la Corse d’aujourd’hui, entre héritage clanique, criminalité organisée et fractures ethniques.
Un pari osé : raconter, sans fard ni manichéisme, une Corse en pleine mutation, prise entre ses traditions, ses démons, et les bouleversements liés à l’immigration, à la justice et à la mondialisation.
Une intrigue haletante sur fond de guerre des identités
Le pitch est efficace : Reda Campana (interprété avec intensité par Raphaël Acloque), mi-Corse, mi-Arabe, sort de prison après dix ans passés pour un braquage commis en silence. Il espérait retrouver sa place parmi les siens. Mais son clan l’a oublié. Rejeté, marginalisé, il retrouve Inès Amrani (Lina El Arabi), sa demi-sœur, devenue magistrate ambitieuse et figure du nouveau pôle anti-mafia local.
Ensemble, ils pactisent pour faire tomber César Carlotti (Éric Fraticelli, glaçant de justesse), parrain de la Plaine Orientale, qui règne sur un empire mafieux étendu au BTP, aux déchets et aux marchés publics. Ce pacte dangereux mêle justice et banditisme, loyautés brisées et vengeance froide, sur fond de tensions ethniques exacerbées entre Corses et communautés arabes.
Une série chorale, sombre et crédible
À l’image de Mafiosa, Plaine Orientale explore les mécaniques du pouvoir mafieux, mais en insistant davantage sur la dimension humaine : trahisons, héritage familial, quête de reconnaissance. Les figures féminines y sont puissantes et complexes : la juge Eva Maertens (Veerle Baetens), Alexandra Carlotti (Antonia Desplat), ou encore Inès elle-même, naviguent entre détermination et contradictions.
La mise en scène est nerveuse, tendue, ancrée dans les paysages saisissants de la Plaine orientale, entre Bastia et la mer Tyrrhénienne. Caméra à l’épaule, lumière naturelle, dialogues parfois rugueux mais rarement vides : la série s’éloigne des fictions parisianistes aseptisées. Elle choisit de montrer une Corse réelle, conflictuelle, parfois brutale, sans sombrer dans la caricature.
Du côté des spectateurs, l’accueil est très favorable. Bien sûr, quelques voix critiques fustigent une narration parfois maladroite ou un jeu inégal. Mais l’ensemble convainc, et surtout : il intrigue.
Quand la fiction anticipe le réel ?
À travers cette fresque insulaire, Canal+ aborde aussi un sujet brûlant : le racisme réciproque et les tensions identitaires. « Le monde ne se résume pas aux Arabes d’un côté et aux Corses de l’autre », dit Alexandra Carlotti dans la série. « Le mien, si« , lui rétorque son père. La ligne est claire. Plaine Orientale n’a pas peur de montrer les crispations communautaires qui agitent l’île – et plus largement l’hexagone. Ce choix narratif, audacieux, tranche avec le politiquement correct ambiant dans les fictions contemporaines.
Sans être exempte de défauts – certains dialogues manquent de fluidité, quelques clichés traînent – Plaine Orientale s’impose comme une série estivale puissante, originale et profondément enracinée dans une réalité bien européenne. Elle n’a pas la prétention de tout expliquer, mais elle montre, avec talent, ce que beaucoup préfèrent ignorer : une France périphérique en tension, où l’identité, le sang et la violence sont parfois indissociables.
Disponible sur l’application Canal+, Plaine Orientale mérite qu’on s’y attarde. Car au fond, entre polar et chronique sociale, elle pose une vraie question : que reste-t-il d’un peuple quand on lui retire ses repères, sa terre, et son avenir ?
YV
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Plaine Orientale : Canal+ ose une série mafieuse et identitaire au cœur de la Corse contemporaine”
Merci.