J.D. Vance, vice-président réactionnaire ou nouveau restaurateur ?

À lire la chronique fouillée que le journaliste Cyrille Louis consacre à J.D. Vance dans Le Figaro daté du 17 juillet 2025, on pourrait croire au synopsis d’un roman américain à mi-chemin entre Tolkien, Chesterton et un traité de stratégie impériale. Le titre même de l’article — La rébellion de l’elfe noir — dit assez ce que la figure du vice-président américain charrie de fantasmes, de contradictions, et d’inquiétudes. Il est, selon la plume du quotidien conservateur, à la fois catholique augustinien et libertarien technophile, élève de René Girard et disciple tardif de Curtis Yarvin, compagnon de route des populistes et confident des géants de la Silicon Valley.

Ce qui fait frémir les commentateurs européens, et devrait faire réfléchir les conservateurs français, c’est la position désormais stratégique qu’occupe Vance dans le dispositif républicain. Choisi par Trump pour sa capacité à parler « trois langues à la fois », celle de l’Amérique profonde, celle de Yale et celle de la Californie post-nationale, il incarne une synthèse idéologique qui dépasse le simple cadre de la revanche des classes populaires. Vance est l’un de ces hommes que l’on croit sortis d’un autre temps, ou d’une autre histoire : il parle comme un prédicateur, pense comme un théoricien et agit comme un praticien. Il ne se contente pas de réagir, il veut reconstruire.

L’article du Figaro est traversé d’un étonnement poli : comment ce jeune homme issu d’un milieu chaotique, formé à Yale, mais converti au catholicisme chez les Dominicains de l’Ohio, peut-il tenir ensemble le langage de Patrick Deneen et les intuitions provocatrices de Yarvin ? La réponse, à vrai dire, réside dans ce que les modernes appellent encore la « liberté » et que Vance, lui, nomme ordre. Il n’est pas un libertaire, il est un post-libéral. Ce n’est pas la liberté négative, celle de faire ce que l’on veut, qu’il défend, mais la liberté ancienne, enracinée dans des limites et des finalités. Il aurait pu citer Saint-Paul : « Vous êtes appelés à la liberté, non à la licence. »

Ce détour par la philosophie est crucialpour comprendre ce qui se joue aujourd’hui aux États-Unis et, par ricochet, en Europe. L’avènement de Vance au cœur du pouvoir impérial américain pourrait marquer une rupture avec la logique dissolvante de la démocratie libérale, non au nom d’une nostalgie, mais au nom d’un avenir différent. C’est le cœur de sa proposition : remettre au centre la famille, la religion, la souveraineté, et donc l’identité. Repenser l’économie à partir du travail, non du rendement. Repenser le droit à partir de la vérité, non du consensus. En somme, reconfigurer la Cité.

Ce qui frappe également dans la trajectoire de Vance, c’est son rôle de plus en plus central dans la défense des libertés fondamentales, notamment celle de la parole. Pour lui, la liberté d’expression n’est pas une convenance du pluralisme, mais un fondement ontologique de toute société civilisée. Il observe, comme tant d’autres aux États-Unis, la censure européenne avec un mélange de stupeur et de mépris. Ce continent où l’on condamne les écrivains pour des insinuations, où l’on dissout des associations pour des formulations ambiguës, où les magistrats deviennent les gardiens du sens caché, ce continent-là, il ne le reconnaît plus. Vance s’est exprimé à plusieurs reprises, notamment à Munich lors d’une conférence restée confidentielle, sur les dangers de cette dérive. Il y dénonçait la « police des cœurs et des intentions », cette propension française à transformer chaque parole non conforme en délit d’État. À ses yeux, le vieux monde a perdu son souffle, parce qu’il a perdu sa langue.

Il serait sans doute exagéré d’en faire le porte-voix d’une révolution conservatrice mondiale. Il ne cite ni Schmitt ni Spengler, et son style n’a rien du prophète wagnérien. Pourtant, son itinéraire intellectuel, sa manière de conjuguer religion, anthropologie et critique du libéralisme évoque, pour qui sait lire entre les lignes, les intuitions d’un Alain de Benoist dans Les Démons du Bien, ou dans ces textes fondateurs où il démontait la logique nivelante des sociétés modernes, obsédées de droits et oublieuses des devoirs. Vance, à sa manière américaine, réactive cette ligne de fracture entre les « sociétés froides » de l’universel abstrait et les « sociétés chaudes » du sacré, de la mémoire et de l’incarnation.

Dans la confusion actuelle, où même les droites se cherchent, où les modérés trahissent par prudence et où les radicaux s’enferment dans l’outrance, sa figure offre un modèle possible : celle d’un conservatisme intelligent, enraciné, ambitieux et articulé. Un conservatisme qui refuse la soumission au capital sans sombrer dans le socialisme, qui ne confond pas identité et exclusion, et qui voit dans l’histoire non un fardeau, mais une ressource.

Il y a dans son élection une leçon pour la droite française, comme pour la droite européenne : à force de répéter qu’il ne faut pas effrayer le centre, on oublie de parler à la périphérie. À force de pactiser avec les normes dominantes, on oublie qu’il existe encore un peuple, et peut-être même une âme. Le vice-président des États-Unis, fils d’ouvrier, lecteur de Girard, converti chez les Dominicains, n’a pas oublié ce qu’est un père, une frontière ou un mystère. Il sait que l’homme ne se résume pas à ses désirs, ni la nation à ses flux.

En ce sens, J.D. Vance n’est pas simplement un phénomène américain. Il est peut-être l’annonce de ce que pourrait redevenir l’Occident, si celui-ci consentait enfin à redevenir lui-même.

Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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4 réponses à “J.D. Vance, vice-président réactionnaire ou nouveau restaurateur ?”

  1. Pschitt dit :

    Il faudrait toujours rappeler que J.D. Vance a commencé sa carrière comme communicant dans l’armée américaine au temps de la guerre en Irak.

  2. Asinus dit :

    Très bon article. Vance pourrait être effectivement – et il faut l’espérer – une pièce maîtresse de l’après-Trump.

  3. Pierre dit :

    Observons nos habitudes d’apprentissage. Nous commençons par apprendre auprès de maîtres auxquels nous ne pouvons pas ne pas faire confiance, car nous sommes trop jeunes, trop ignorants pour nous défier de ces maîtres. Ils nous enseignent des savoirs incomplets nous apprenant à leur faire confiance pour que le savoir devienne complet à terme et que l’harmonie d’ensemble soit reconstruite. Toutefois, plus nous avançons, plus il nous devient difficile de ne pas avoir manqué ici ou là une marche, et plus ce que nous devrions savoir devient quelque chose que nous croyons parce que nous avons confiance en nos maîtres. D’autre part certains maîtres ne sont pas à la hauteur de la tâche et ne nous donnerons jamais la vision d’ensemble. Enfin, les enseignements officiels eux-mêmes deviennent parcellaires et ne font plus appel à notre intelligence.

    Nous prenons ainsi l’habitude de faire confiance à des autorités non parce que nous sommes, certes à terme, en mesure de vérifier que leurs dires sont rationnels, mais parce qu’il nous est nécessaire dans l’environnement social de leur faire confiance. Ainsi nous nous mettons à la merci d’autorités qui ne sont pas dignes de notre confiance. Enfin nous ne jugeons plus les maîtres en fonction de leur compétence, mais en fonction de nos instincts : la facilité nous pousse à préférer, puis à terme faire confiance aux, les maîtres peu exigeants, la séduction nous pousse à préférer — faire confiance aux — maîtres les plus aimables etc. Nous faussons ainsi nos critères de jugement et nous accordons notre confiance à ceux qui satisfont nos instincts.

    Vance désire, pour les USA, mais aussi pour tout l’Occident, le retour à la maîtrise des instincts par la raison et ainsi nous remet dans la voie par laquelle nous serons en mesure de donner notre confiance à des gens qui la méritent. Peu lui importe que telle ou telle pseudo-philosophie en ait dit ceci ou cela, il se concentre sur la vérité et prend comme maître ceux qui l’ont défendue. Il sait aussi que le personnage historique qui a dit « Qu’est-ce que la vérité? » (Jean XVIII, 38) bien qu’étant détenteur de l’autorité n’en a pas usé avec une grande sagesse. Il ne se préoccupe pas donc de ceux qui ratocinent ou ergotent à tous propos ou à ce sujet en particulier!

    Merci Vance et merci Balbino Katz de nous en faire un portait exact.

  4. Travis dit :

    Quand on a lu et compris René GIRARD , quel intérêt de s’infliger Spengler ou Carl Schmoutt ?

    A part ça, Vance, veux-tu que Kirk ou Donald te prêtent un rasoir ?

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