À force de vouloir ménager le suspense, le peloton féminin a failli laisser les échappées écrire une fable de plus sur les pentes du Tour. Mais voilà : une légende avait coché la Madeleine sur son calendrier comme on encercle une date d’anniversaire. Pauline Ferrand-Prévôt n’est pas venue pour tricoter. Elle est venue pour cueillir une victoire, une vraie, une éclatante, de celles qui forgent les mythes.
La Française de 33 ans, championne du monde tous terrains — route, VTT, cyclo-cross, gravel — a profité de l’étape reine pour rappeler que le cyclisme féminin a, lui aussi, ses gladiatrices. Sur les rampes impitoyables du col de la Madeleine (18,6 km à 8,1 %), elle a fait exploser le scénario écrit par les équipes rivales, balayant tactiques et calculs d’un pédalage fluide, implacable, presque silencieux.
Un peloton en mode sieste, des échappées en mode rêve
La journée avait pourtant commencé comme tant d’autres dans ce Tour 2025 : une échappée généreuse, des favorites en observation passive, et une Maillot Jaune (Kim Le Court) à la fois intrépide et maladroite — trop vite en descente, dans un mur, puis ressuscitée vingt bornes plus loin, comme si de rien n’était.
À l’avant, Maëva Squiban tentait le triplé, Chabbey défendait son maillot à pois, et la jeune Bunel — 20 ans et déjà l’instinct tactique des grandes — servait de fusée d’approche pour sa cheffe de file. On se disait, à mi-pente, que l’échappée avait ses chances. Les favorites semblaient se renvoyer la balle de la poursuite comme un vieux frisbee mou.
Pauline, le feu sous la glace
Et puis… l’attaque de Sarah Gigante. Une accélération chirurgicale à 12 km du sommet. Une seule roue réussit à s’accrocher : celle de Ferrand-Prévôt. Calme. Assise. Comme si le combat ne faisait que commencer. Trois kilomètres plus loin, elle lâchait l’Australienne. Encore trois bornes, elle déposait Niamh Fisher-Black. Puis Muzic. Puis l’histoire elle-même, comme un palier franchi.
À 5 kilomètres de l’arrivée, son père Dany lui tendait un bidon, comme un flambeau. La légende devenait familiale. L’image restera. Comme celle d’un Tour où une vététiste a dompté la route avec la même rigueur et la même grâce qu’en sous-bois.
Un col de légende, une Française au firmament
En haut, l’émotion était celle des grandes heures. Celle qu’on réserve aux Longo, aux Hinault. À celles et ceux qui transforment la montagne en podium. Pauline Ferrand-Prévôt s’est imposée avec 1’45 » d’avance sur Gigante, reléguant Vollering et Niewiadoma à plus de trois minutes. À la veille de l’arrivée à Châtel, elle porte désormais le Maillot Jaune avec 2’37 » d’avance sur sa dauphine.
Si elle parvient à conserver son bien demain, elle deviendra la première Française à remporter le Tour depuis Jeannie Longo en 1989. Un bail. Un exploit. Un retour en majesté pour une championne qui semblait avoir tout gagné — sauf cela.
On retiendra l’attaque. Le panache. La maîtrise. Mais surtout cette posture : Ferrand-Prévôt ne danse pas sur les pédales, elle taille la pente comme une sculptrice, tout en contrôle, tout en silence. Comme si elle gravissait les Alpes pour s’y installer.
Et demain, si le destin ne s’en mêle pas, elle y plantera son drapeau. Bleu, blanc, rouge. Et un peu jaune, aussi.
YV
© A.S.O / Thomas Maheux
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