Le bien commun et le souffle des druides. Réponse à Julien Dir

Dans ma bibliothèque, ce samedi matin de ciel bas et de bruine, je lisais les mots de Julien Dir affichés sur mon écran : «Pour un bien commun enraciné : reconquérir notre peuple, notre terre, notre foi» car hier soir mon amie Claudine, une Quimpéroise alerte, me l’avait conseillé.

Elle avait raison Claudine, ces mots, l’article entier,  résonnaient comme une cloche de bord en plein brouillard. On nous parle sans cesse de vivre ensemble, dit-il, et il fait mouche : ce slogan anesthésiant n’est qu’un cataplasme posé sur la plaie béante de notre civilisation. Derrière, pas de fraternité véritable, pas d’amour réel, seulement la gestion froide d’un enchevêtrement de communautés qui s’ignorent ou se méfient. Le vrai bien commun naît du sol, des pierres, des croix aux carrefours, de la mémoire des morts, des prières et du sang versé pour que la maison tienne debout.

Cette méditation de Julien : « On ne bâtira rien de solide sans renouer avec notre foi, qu’elle soit pleinement catholique ou inscrite dans une spiritualité héritée de nos pères» est frappée au sceau du bon sens. Et je voudrais donner un nom à cette spiritualité héritée de nos pères : le druidisme. Si je m’adressais à un jeune lecteur de Julien, j’ajouterais qu’il ne s’agit pas d’une religion prête à l’emploi, mais comme un souffle ancien, un rappel de ce que nous fûmes et que nous pouvons redevenir.

Et je lui tiendrais les propos suivants.

Tu vis dans une société qui va vite. Très vite. Tu as sans doute l’impression qu’on te pousse à consommer, à remplir ton emploi du temps, à zapper d’une chose à l’autre téléphone en main. Dans ce monde saturé de pub, de réseaux, de chiffres, on parle peu de sens, encore moins de racines. Et quand la question spirituelle arrive, c’est rare, les réponses viennent souvent de traditions importées, avec leurs dogmes et leur morale universelle. Mais est-ce que ces réponses parlent vraiment à notre vie, à notre terre, à notre histoire d’Européens ?

C’est là qu’intervient le druidisme. Pas comme une mode ou une religion de plus, mais comme un appel ancien. Une voix oubliée qui résonne pourtant dans nos paysages, nos légendes, et peut-être dans quelque chose d’encore plus profond : notre manière d’habiter le monde.

Le druidisme, c’est ce qu’on appelle une religion native d’Europe, c’est-à-dire née ici, chez nous. Il a structuré la vie spirituelle, sociale et même politique des peuples celtes durant des siècles. On retrouve sa trace dans les écrits grecs et romains, mais surtout dans les textes irlandais du haut Moyen Âge, comme les lois de Brehon, ou les grands récits épiques. Ces textes ont souvent été recopiés par des moines chrétiens, donc il faut savoir lire entre les lignes. Mais ils nous donnent un aperçu très riche d’un monde où le druide avait une fonction centrale : transmettre le savoir, relier les hommes à la nature, guider sans dominer.

Contrairement à d’autres traditions, les druides n’écrivaient pas leur enseignement religieux. Ils craignaient qu’il soit mal compris ou sorti de son contexte. Leur spiritualité se transmettait par la parole, la mémoire, l’expérience. C’est ce qui rend la reconstitution de leur pensée complexe. Il ne suffit pas d’ouvrir un livre sacré. Il faut lire, comparer, réfléchir. En ce sens, le druidisme n’est pas une spiritualité clef en main. C’est une aventure, un chemin d’exploration.

Mais ce que l’on retrouve dans toutes les sources, c’est l’importance de la nature. La nature n’est pas décor ou ressource. Elle est vivante. Elle est sacrée. Et le druide est aux hommes ce que le vieux chêne est à la forêt : un point d’équilibre, un axe stable. Le savoir druidique n’était pas fait pour dominer, mais pour faire croître.

Les druides n’étaient pas que des sages perdus dans la forêt ou des prêtres célébrant des rituels mystérieux. Ils jouaient un rôle très concret dans la vie des peuples celtes. Conseillers, juges, éducateurs, ambassadeurs, parfois stratèges ou médiateurs, ils formaient une classe à part, respectée de tous, parfois plus que les rois eux-mêmes.

Sur les cérémonies de la vie quotidienne, on ne sait pas tout. Les Romains, souvent malintentionnés, ont mis l’accent sur les sacrifices humains, réels ou exagérés, pour faire passer les druides pour des barbares. C’était aussi une manière de justifier leur conquête. Mais si on gratte un peu les sources, on comprend que leur rôle allait bien au-delà.

Pour les mariages, il est probable que les druides supervisaient les unions, mais sans grande pompe. Les Celtes voyaient le mariage comme un contrat et pas comme un sacrement. Il liait deux familles, deux volontés, parfois de condition égale, parfois non. Ce n’était pas toujours pour la vie, et un homme pouvait aussi avoir plusieurs compagnes, selon les coutumes locales. Il n’empêche : l’union avait une dimension sociale et symbolique, et le regard du druide donnait du poids à l’engagement.

En matière de justice, leur rôle était fondamental. Ils arbitraient les conflits entre nations, entre clans ou entre particuliers. Leurs jugements, transmis oralement et fondés sur des siècles de traditions, faisaient autorité. Leur parole valait loi. Certains druides étaient spécialisés dans les litiges, d’autres dans la diplomatie. Ils voyageaient, formaient un réseau, se retrouvaient lors d’assemblées régulières, ce qui garantissait une certaine unité entre les différents peuples celtes. Sans royaume centralisé, la parole des druides créait une cohésion politique.

Les chefs de guerre ou de tribu les consultaient pour prendre les grandes décisions. Ils étaient des conseillers, parfois des stratèges. Les druides ne combattaient pas, mais ils savaient peser sur la guerre. Leur influence morale, leur réputation d’impartialité, en faisaient des figures d’autorité dans les négociations.

Et surtout, ils formaient la jeunesse. Les futurs rois, les orateurs, les bardes recevaient leur enseignement. Cela durait parfois vingt ans. On apprenait les lois, la poésie, l’histoire, les sciences naturelles, l’art du discours. Pas avec des livres, mais par la mémoire, l’écoute, la répétition. Cette éducation faisait des jeunes formés par les druides une élite prête à guider, à trancher, à transmettre.

À la croisée du sacré et du politique, les druides étaient le cœur vivant de la société celtique. Leur disparition, d’abord sous les coups des Romains, puis face au christianisme, a laissé un vide immense. Sans eux, les Celtes ont perdu leurs repères. Une civilisation sans ses guides spirituels est comme une forêt sans clairière : elle se referme sur elle-même.

Aujourd’hui, alors que beaucoup ne croient plus en rien, ou se perdent dans des croyances sans racines, le druidisme redevient actuel. Pas comme un retour au passé, mais comme une alternative. Il refuse l’individualisme sans âme de notre société de consommation, tout en se tenant à distance des grandes religions universalistes. Il propose une spiritualité enracinée, exigeante, libre. Et c’est bien ce qu’on cherche quand on est jeune, non ? Retrouver le lien avec la nature, le groupe, soi-même, et quelque chose de plus grand que nous.

Mais attention : retrouver le souffle des anciens Celtes, ce n’est pas une promenade digestive. C’est une course de fond. Il faut lire, apprendre, confronter. Cela demande de l’effort, de la patience, un peu de courage. Tu connais sans doute l’Iliade ou l’Odyssée. Mais as-tu entendu parler de La Razzia des vaches de Cooley ? Ou de La Première Bataille de Mag Tured ? Ces récits, pleins de géants, de guerriers et de druides, sont nos trésors oubliés.

Si tu veux commencer, je te conseille Le Vrai Savoir des druides de Bernard Rio. C’est une très bonne porte d’entrée, écrite dans un style simple, avec des sources solides. Et surtout, c’est un livre qui peut faire naître en toi une question importante : et moi, quel lien ai-je avec la terre, avec les anciens, avec le monde vivant ?

Oui, ce sont les termes avec lesquels je parlerais avec un jeune Breton tout en l’invitant à méditer sur l’article de Julien Dir, notamment quand il écrit que le bien commun, c’est le contraire de cette fuite dans le néant. C’est donner envie de vivre, de fonder une famille, de transmettre un nom, une terre, un héritage. C’est rappeler à un jeune Breton que sa patrie n’est pas seulement une frontière sur une carte, mais un enchevêtrement d’églises romanes, de chapelles, de calvaires, de ports et de villages. C’est aussi lui rappeler que, jadis, ses ancêtres avaient une sagesse enracinée, où la nature était sacrée, où l’on apprenait à vivre non pas en consommateurs mais en héritiers.

Julien écrit encore : on ne bâtira rien de solide sans renouer avec notre foi, qu’elle soit pleinement catholique ou inscrite dans une spiritualité héritée de nos pères. C’est exactement le point. Le matérialisme vide nos âmes, il laisse le champ aux politiciens cyniques et aux marchands de rêves artificiels. Le druidisme, dans sa rigueur et son oralité, nous rappelle que la transmission n’est pas qu’affaire de textes mais de mémoire et d’expérience. Il propose une alternative, une spiritualité exigeante, enracinée, libre. Et pour ceux qui accueillent la foi du Christ, celle-ci apporte la lumière de l’espérance et la promesse d’éternité.

Le bien commun ne se quémande pas, il se conquiert, ajoute Julien. C’est juste. Les druides, qui n’écrivaient pas leurs enseignements, savaient que la sagesse ne se consomme pas, qu’elle se mérite par l’effort et la patience. De même, transmettre à nos enfants non pas un pays épuisé mais une patrie fière exige du courage, de la volonté, parfois du sacrifice. Conquérir, protéger, transmettre, telle est la formule.

La Bretagne, comme toute l’Europe, ne retrouvera pas le sourire avec des slogans creux. Elle le retrouvera le jour où ses clochers sonneront non pour annoncer la reddition, mais la renaissance. Et cette renaissance ne se fera pas seulement avec les mots d’ordre d’aujourd’hui, mais en retrouvant la voix profonde des anciens, qu’ils s’appellent prêtres ou druides, poètes ou bardes. Mais aussi avec les prières des prêtres du Christ, faits du même bois que celui avec lequel on tailla la figure de l’abbé Perrot.

Le bien commun, ce n’est pas vivre ensemble avec n’importe qui dans n’importe quelles conditions. C’est vivre debout, ensemble, enracinés dans notre terre et dans notre foi, unis par la culture, le sang et l’espérance.

Trystan Mordrel

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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