Je suivais les nouvelles de Buenos Aires depuis mon ordinateur, bien assis au bar des Brisants à Léchiagat, face au port. Un peu plus loin, la houle battait la jetée et, sur l’écran, les vagues d’une autre tempête m’apparaissaient : celle qui secoue la Casa Rosada. Deux semaines noires, avouent les plus proches collaborateurs de Javier Milei, et peut-être le commencement d’une saison plus sombre encore.
La défaite de Corrientes a pris l’allure d’un désastre symbolique. Là où Milei croyait imposer son candidat, Lisandro Almirón, c’est le frère du gouverneur sortant Valdés qui s’est imposé avec éclat. Une gifle électorale, assortie du ridicule, que même la présence tonitruante de Karina Milei n’a pas su conjurer. Dans les campagnes argentines, jadis peuplées de gauchos fiers et de paysans opiniâtres, on dit qu’un cheval qui s’abat dans la poussière ne se relève pas toujours.
Comme si ce revers ne suffisait pas, des enregistrements surgis des profondeurs viennent salir le cœur du mileísmo. Des voix parlent de pots-de-vin, de trois pour cent prélevés sur les marchés de médicaments destinés aux handicapés, de complicités au plus haut niveau. Et l’on voit la sœur présidentielle, hier figure sacrée du pouvoir, devenir une caricature brandie sur les banderoles des stades. L’Argentine, patrie de l’ironie tragique, transforme la corruption en chant populaire.
L’économie elle-même se défait. Le dollar s’évade des griffes du Trésor, les taux galopent, la récession s’enracine, et l’espérance se retire. Milei croyait conjurer le spectre de l’hyperinflation, mais, comme aurait pu l’écrire Ernst Jünger dans ses Journaux, « ce n’est pas toujours la bataille qu’on livre qui importe, mais celle qu’on croit avoir gagnée et qui revient nous hanter ». L’Argentine se découvre lasse d’un miracle qui n’est jamais advenu.
Le président, fidèle à son tempérament prophétique, promet que « le meilleur commencera en octobre », au lendemain des élections générales du 26 octobre. Il évoque même, comme point de bascule, les comices de Buenos Aires début septembre. Mais cette confiance sonne comme ces paroles que l’on jette au vent marin, pour masquer la peur de chavirer. Car, au sommet, la discorde ronge : Karina Milei d’un côté, Santiago Caputo de l’autre, et, entre les deux, un président qui paraît de plus en plus prisonnier de sa propre famille.
Le danger n’est plus seulement économique ni même politique, il est spirituel. Le pouvoir libertarien, né dans l’exaltation d’une croisade contre « la caste », se découvre déjà corrompu par la mécanique millénaire du soupçon. Moeller van den Bruck disait que les révolutions meurent lorsqu’elles se figent en système. Celle de Milei n’aura peut-être pas eu le temps d’en devenir un.
Au Guilvinec, quand je lève les yeux de l’écran, je vois les chalutiers rentrer, lourds de poissons, fruits d’un labeur qui, lui, ne ment pas. À Buenos Aires, au contraire, les promesses s’effilochent. Chacun le pressent : peut-être les pires semaines de Milei ne sont-elles pas derrière lui, mais devant.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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