Ariège : la colère agricole explose à Bordes-sur-Arize – et pourrait bien devenir un boomerang politique pour l’État et Bruxelles

À Bordes-sur-Arize, petit village ariégeois de 500 habitants niché au pied des Pyrénées, la détection d’un foyer de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) a déclenché en quelques heures une mobilisation agricole d’une intensité rarement vue depuis les grands mouvements paysans des années récentes. Le 9 décembre, la préfecture a ordonné l’abattage total des 207 bovins du GAEC de Mouriscou, une exploitation familiale connue dans la région pour la qualité de son cheptel. Cette décision, appliquée au nom du protocole sanitaire européen, a immédiatement suscité une onde de choc chez les éleveurs, d’autant que la vache malade était décédée la veille, laissant espérer une prise en charge différente.

Dès le soir même, des centaines d’agriculteurs venus de toute l’Occitanie ont convergé vers l’exploitation pour empêcher l’intervention des services vétérinaires. En quelques heures, les accès ont été bloqués par une quarantaine de tracteurs, des troncs d’arbres et des barrières improvisées, transformant la ferme en véritable camp retranché. Malgré le froid de décembre, des feux de camp ont été allumés et des rotations organisées afin d’assurer une présence continue autour de l’exploitation. Si aucune charge policière n’a eu lieu dans la nuit, la présence d’un hélicoptère de gendarmerie et de véhicules blindés stationnés aux abords a contribué à alimenter un climat de tension palpable.

La colère qui s’exprime ici dépasse largement le cadre d’un protocole sanitaire. Les éleveurs dénoncent une approche qu’ils jugent brutale, disproportionnée et surtout déconnectée de la réalité de leur métier. Beaucoup rappellent que la DNC, bien qu’elle puisse être grave, n’est pas transmissible à l’homme et qu’elle peut être contenue grâce à l’isolement des bêtes malades et à la vaccination ciblée. Ils ne comprennent pas pourquoi la France, sous pression réglementaire européenne, s’interdit encore de recourir à la vaccination préventive, alors que d’autres pays la pratiquent depuis des années. « On n’élève pas des bêtes pour l’argent, mais parce qu’on les aime et qu’on vit avec elles », résume un éleveur local, bouleversé par ce qu’il considère comme un massacre inutile.

https://x.com/jon_delorraine/status/1999055536915169713?s=20

La situation s’est encore tendue lorsque la Coordination rurale a annoncé, le 10 décembre, qu’un deuxième foyer venait d’être confirmé dans les Hautes-Pyrénées, sur une exploitation liée par un transport d’animaux à la ferme des Vergé. Ce nouveau cas a entraîné l’élargissement immédiat de la zone de protection à 100 kilomètres, plongeant des dizaines d’autres éleveurs dans l’inquiétude et la perspective de nouvelles euthanasies massives. Pour certains, l’annonce a agi comme un électrochoc, ravivant de douloureux souvenirs, notamment chez ceux qui ont déjà vécu le traumatisme de la tuberculose bovine et des abattages systématiques.

Au fil des heures, la mobilisation s’est élargie bien au-delà des syndicats traditionnels. Des élèves du lycée agricole de Pamiers ont bloqué leur établissement pour soutenir le fils de l’éleveur concerné, dénonçant la violence de la décision administrative. Plusieurs organisations syndicales, pourtant souvent divisées, ont signé des communiqués communs pour dénoncer un protocole qu’elles estiment inhumain et inadapté. Toutes pointent du doigt la même responsabilité : celle d’un État qui applique des normes européennes jugées absurdes, sans écouter les premiers concernés.

La ministre de l’Agriculture, dont la venue avait été annoncée puis démentie, est la grande absente de cette séquence. Beaucoup d’éleveurs y voient le symptôme d’un pouvoir sourd à leurs angoisses. Leur proposition d’un protocole expérimental — abattage de la seule vache malade, isolement du troupeau et surveillance renforcée — aurait été balayée d’un revers de main, ce qui a renforcé l’impression que les décisions sont prises ailleurs, par des autorités lointaines et imperméables à la détresse humaine.

À mesure que la situation se tend, les conséquences politiques se dessinent. Plusieurs tracteurs ont commencé à bloquer des routes autour de Toulouse, à l’appel des syndicats agricoles, qui promettent une amplification du mouvement tant que l’État refusera de revoir son protocole. Beaucoup voient dans cette crise un possible point de bascule, comparable à ce qu’a été le “siège” de l’A64 en 2023. L’abattage de tout le troupeau pourrait devenir, pour les campagnes françaises, le symbole d’un pouvoir central considéré comme froid, technocratique et déconnecté de la réalité.

La crise de Bordes-sur-Arize s’inscrit dans un contexte déjà explosif : effondrement du nombre d’exploitations, concurrence des importations, multiplication des normes européennes, hausse des charges, et sentiment croissant de perdre la maîtrise de son métier et de sa terre. En s’en tenant strictement au protocole européen de la DNC, le gouvernement joue aujourd’hui bien plus que la gestion d’un foyer sanitaire : il joue sa relation avec tout un monde paysan qui n’en peut plus de subir ce qu’il perçoit comme une série de décisions venues d’en haut et appliquées sans discernement.

Si l’intervention des forces de l’ordre a lieu et que les 207 vaches sont euthanasiées sous la contrainte, le choc pourrait durablement marquer les campagnes françaises. Et le boomerang politique, déjà lancé, pourrait revenir bien plus vite que prévu.

Crédit photo : Twitter Didier Maïsto

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