Représentation proportionnelle : François Bayrou relance la machine

Pour rebattre les cartes, il existe un moyen efficace : changer le mode de scrutin appliqué aux élections législatives. Abandonner le scrutin uninominal et passer à la représentation proportionnelle. Voilà ce que François Bayrou réclame depuis longtemps.

Les centristes n’oublient pas leur vieille revendication : la représentation proportionnelle. En effet, avec le scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans le cadre de la circonscription, ils sont contraints de  jouer les alliances afin de sauver ce qui peut l’être. Hier avec la droite (LR), aujourd’hui avec les macronistes (Renaissance). Donc, lors des élections législatives, non seulement ils n’ont pas les mains libres,  mais encore ils en retirent un nombre de députés inférieur à ce qu’ils pourraient obtenir avec la proportionnelle. On peut ajouter que, dans une période électoralement défavorable, non seulement les centristes seraient assurés de conserver un minimum de députés, mais encore de sauver leurs leaders.

Avant l’élection présidentielle de 2017, lorsque François Bayrou apporte son soutien à Emmanuel Macron, il était convenu que la proportionnelle serait adoptée : « C’était notre accord. C’était aussi l’engagement de François Hollande en 2012, Souvenez-vous : « Moi président, je mettrai en place la proportionnelle pour les élections législatives », rappelle le président du MoDem (Le Monde, dimanche 1er-lundi 2 septembre 2024). Pour lui, ce serait un bon moyen pour éviter le blocage politique actuel : « La loi électorale proportionnelle est juste, et de surcroît elle crée un paysage politique nouveau. Chacun se présente sous ses propres couleurs, c’est une démarche plus authentique et qui oblige à creuser ses propres idées. Dès l’instant qu’on franchit la barre la barre mettons des 5%, on est assuré d’un groupe parlementaire représentatif. Mais chacun sait bien qu’il n’obtiendra pas la majorité à lui tout seul. On est donc obligé de regarder ses concurrents pas seulement comme des adversaires, mais comme de potentiels partenaires. On sait avant même le résultat qu’il faudra composer ; ça change tout. » (Le Monde, dimanche 1er-lundi 2 septembre 2024)

Devenu Premier ministre, François Bayrou persiste et signe. Dès sa déclaration de politique générale,  il annonce la couleur : « Il faut que chacun puisse trouver sa place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus » (mardi 14 janvier 2025). Quatre mois plus tard, il explique qu’il croit beaucoup à la logique de compromis : « Nous sommes, je le rappelle,  le seul pays de l’Union européenne à ne pas appliquer la proportionnelle. Posez-vous cette question : les autres pays ont-ils mieux réussi leurs réformes ? La réponse est oui. Leur vie civique et-elle plus apaisée ? Oui. Leur démocratie fonctionne-t-elle plus mal que la nôtre ? Non. La proportionnelle permet d’abord une chose fondamentale : que chaque courant soit justement représenté, à la mesure de ce qu’il pèse. C’est un acquis démocratique essentiel. Je vous rappelle qu’en 2007, j’ai obtenu 19 % des voix à l’élection présidentielle. Et à l’Assemblée nationale, cela s’est traduit par… deux députés. Deux sur 577. Deuxièmement, le scrutin majoritaire pousse à la polarisation. Face à chaque décision, il vous force à être totalement pour ou totalement contre. Il fabrique des clivages artificiels, pousse à la caricature, empêche la nuance, rend les compromis difficiles, voire impossibles. C’est l’une des causes profondes de notre blocage institutionnel. Troisièmement, et cela mérite d’être dit clairement : la proportionnelle est aussi une digue. Elle protège contre les vagues de colère ou de peur qui, dans un scrutin majoritaire, peuvent  donner le pouvoir total à une force extrémiste. Elle disperse, elle oblige à composer, et c’est cela qui sauve les démocraties. » (Le Journal du dimanche, dimanche 4 mai 2025)

Tous les démocrates-chrétiens ne pensent pas la même chose

Mais tout le monde n’est pas d’accord avec les arguments du Béarnais. C’est le cas du journaliste Michel Urvoy qui voit les choses autrement. La proportionnelle « donne au citoyen le sentiment d’être mieux représenté et écouté ? » Réponse d’Urvoy : « Pas sûr, quand on observe le discrédit général des politiques, même ceux élus à la proportionnelle, comme le sont les députés européens et certains sénateurs. » La proportionnelle « vivifie la vie parlementaire ? » Réponse d’Urvoy : « Sauf si les uns s’accrochent à leur intransigeance – « Mon programme, rien que mon programme » – tandis que les autres ne jurent que par l’hyper-présidentialisation. » La proportionnelle « renforce la légitimité des élus ? » Réponse d’Urvoy : « Il suffit de faire le tour de la planète pour constater que les pouvoirs qui pèsent sur la marche du monde ne sont pas issus de la proportionnelle. »  Argument choc d’Urvoy : « Il importe de mesurer tout ce qu’implique la proportionnelle. Il s’agit d’abord de savoir de quelle proportionnelle on parle : nationale, au risque d’avoir des élus hors-sol et inconnus, ou régionalisée ? Totale ou partielle ? Avec ou sans prime au vainqueur ? Avec ou sans seuil d’éligibilité ? Etc. Selon les options, le résultat peut être assez différent. »  (Ouest-France, mercredi 23 avril 2025)

L’avis de Jean-Jacques Urvoas, ancien député, ancien ministre de la justice, aujourd’hui professeur des universités en droit public à l’université  de Brest, compte. Pour lui, « la représentation proportionnelle clarifie le jeu électoral et encourage à la recomposition des alliances, ce qui sied à une période de réalignement électoral come la nôtre.  Elle émancipe les partis centraux de la nécessité de s’appuyer sur les extrêmes pour accéder au pouvoir, tout en permettant à ces derniers d’être représentés à l’Assemblée. Matériellement, comme il est peu probable en l’état qu’un seul parti obtienne la moitié des sièges, celui-ci sera contraint de bâtir une coalition, garantissant ainsi que la future majorité soit l’expression d’un pluralisme de bon aloi, sans que l’opposition ne soit muselée. » Le professeur Urvoas plaide donc en faveur du retour à une représentation proportionnelle intégrale appliquée en 1986. « Elle apparaît de nature à restaurer la souplesse nécessaire au système politique en garantissant aux partis politiques une pleine liberté d’action stratégique. Grâce à elle, les formations pourront présenter leur programme aux électeurs et, après le verdict des urnes, engager des négociations pour trouver des compromis. Une telle transparence redonnera de la cohérence au Parlement, contribuant à revitaliser la démocratie représentative. Et, accessoirement, cela renforcera aussi les partis politiques dont l’affaiblissement et la désorganisation expliquent pour beaucoup les dérèglements que chacun peut constater (…) En se déroulant à la représentation proportionnelle, les élections législatives s’éloigneront nécessairement de leur vocation actuelle de confirmation du choix présidentiel. Et, par voie de conséquence, le Président perdra sa fonction de chef de la majorité, ce qui contribuera à le recentrer sur sa dimension arbitrale. » (Antimanuel de droit constitutionnel, Odile Jacob, décembre 2024). Beaucoup estimeront qu’on s’éloigne ainsi de l’esprit de la Ve République et rappelleront la fameuse sortie du général de Gaulle : « Une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique. Pour ce qui est de la nôtre, son esprit procède de la nécessité d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité qui manquaient organiquement sous la Troisième et sous la Quatrième République. » (conférence de presse du 31 janvier 1964). Mais on pourra objecter que les lois électorales ne figurent pas dans la Constitution  – sauf l’article 7 qui concerne l’élection du président de la République ; on peut donc les modifier comme toutes les lois ordinaires.

On a déjà essayé la représentation proportionnelle

Si, sous la IVe  République, la représentation proportionnelle fut la règle, scrutin majoritaire et Ve République ont partie liée. Sauf aux élections législatives de 1986. En effet l’Elysée (François Mitterrand) et Matignon (Laurent Fabius) savent que leur camp – la gauche- va perdre ces élections. D’où l’idée de changer le mode de scrutin afin de limiter la casse pour le PS et ses alliés, donc de limiter le plus possible la victoire annoncée de la droite (RPR-UDF). D’où la loi du 10 juillet 1985 qui introduit la proportionnelle intégrale ; elle est  appliquée par département, à la plus forte moyenne, chaque parti – ou groupement de partis – présentant une liste avec autant de candidats qu’il y a de sièges à pourvoir. Si on applique cette méthode aux résultats du premier tour des élections législatives de 2024, le Nouveau Front populaire obtient 189 sièges, Ensemble 123, les Républicains 52, le Rassemblement national et UDR 204, et les divers 9 (Le Monde, dimanche 1er-lundi 2 septembre 2024). Ce bon résultat que le RN obtient sur le papier s’explique par le fait que « le scrutin proportionnel, qui plus est à un tour, mettrait d’une certaine manière fin au “front républicain“ lors du scrutin, en évitant une mobilisation anti-RN au second tour » (Le Monde, dimanche 1er-lundi 2 septembre 2024). N’oublions pas qu’au second tour des législatives de 2024, de nombreux candidats appartenant soit au NFP, soit au camp macroniste ont réussi leur élection – ou leur réélection – grâce au “front républicain“.

Si, actuellement, le Rassemblement national ne dispose d’aucun député en Bretagne, tout changerait si la représentation proportionnelle dans le cadre départemental remplaçait le scrutin uninominal majoritaire. En se basant sur les résultats des élections de 2024 – européennes et législatives -, il apparaît que chaque département breton aurait « son » député du RN, voire deux dans le cas de la Loire-Atlantique. On imagine les réactions scandalisées de la gauche et du “socle commun“ (Renaissance, Horizons, MoDem, LR)…

Bernard Morvan

Photo d’illustration : DR
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Une réponse à “Représentation proportionnelle : François Bayrou relance la machine”

  1. anonyme dit :

    Qui est-il ?
    Le pape Léon XIV revendique être un des fils de Saint Augustin. Voilà qui est clair. Et notre Président de qui revendique-t-il être un des fils ?
    Après sa première élection, il s’est présenté comme « Président jupitérien » donc fils de lui-même. Manifestement il y a du Machiavel, du baron de Charlus, du … chez cet homme.
    L’auditeur devine à l’écouter parler son désir d’être un grand homme de guerre. Mais c’est impossible parce que le nerf de la guerre c’est l’argent et que sans lui aucune victoire n’est possible. Le meilleur exemple nous est donné par le Président ukrainien qui consacre sa vie à quémander des milliards auprès de ses alliés-créanciers pour sa guerre.
    La France est endettée ; les guerres ruinent les pays qui les perdent. Si la France devait entrer en guerre elle deviendrait un pays qui ajouterait la ruine à la dette et qui ferait de ses habitants, puisqu’elle ne dispose pas de ressources naturelles, des esclaves à la botte de ses alliés-créanciers ou de ses adversaires.
    Il est l’inventeur du trésor Ursula qu’il courtise assidûment.Qu’il se méfie. La belle, adepte du coup du père François, ne semble pas du tout insensible aux avances, compliments et arguments sonnants et trébuchants de Donald. S’il n’y prend garde il risque fort de se voir éconduit comme un miséreux aux poches vides.
    Il a nommé premier ministre un grand amateur de la gente équine. Les Français s’attendaient à un concours complet de classe internationale. Ils ont eu le droit à une parodie. Après avoir franchi l’obstacle du budget avec aisance, son parcours n’a été que refus et contournements d’obstacles comme s’il n’avait pas le Galop 7.
    L’adversité révèle les grands hommes. Un destin s’offrait à ce premier ministre, il n’a pas voulu saisir sa chance. Qu’il retourne à l’anonymat et à ses chevaux.
    Un excès d’intelligence nuirait-il à l’exercice de la fonction présidentielle ?
    Puisque le pays est en paix pourquoi cette intelligence n’est-elle pas employée à faire de la France un pays riche, prospère où les gens vivent heureux ?

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