C’est une histoire aussi sulfureuse que méconnue qui refait aujourd’hui surface grâce à un ouvrage de 700 pages signé Björn Fischer : Rock-O-Rama Records. The Outrageous Story Of The Bizarrest Music Label Emerging From The Punk Movement (Tredition, 2025). Un récit haletant, consacré à l’un des labels les plus controversés de l’histoire musicale européenne. Né dans le tumulte du punk allemand des années 1980, Rock-O-Rama finira par incarner, à lui seul, toute l’ambiguïté et la radicalité de la scène underground, oscillant entre provocations libertaires, récupération commerciale, et glissements idéologiques.
Cologne, 1980 : des bootlegs au punk
Tout commence à Cologne à la fin des années 1970. Herbert Egoldt, ancien peintre en bâtiment passionné de rockabilly américain, lance un commerce de disques pirates par correspondance, puis ouvre une petite boutique dédiée au punk naissant. Rapidement, il se laisse convaincre par un groupe local, Vomit Visions, de produire leur premier 45 tours. La qualité sonore est désastreuse, l’esthétique bricolée… mais le ton est donné. Rock-O-Rama est né, et les sorties s’enchaînent : Razors, OHL, Cotzbrocken… tous participent à poser les bases du Deutschpunk, cette version allemande, souvent chaotique, du punk britannique.
Mais Egoldt n’est pas un militant : c’est un commerçant. Très vite, son flair le pousse à explorer de nouveaux segments. En 1983, il entame une collaboration avec Skrewdriver, groupe anglais passé de la scène punk à la Oi! et au RAC (Rock Against Communism). Le succès est immédiat. Le virage est pris.
Une entreprise de rupture : du punk aux hymnes radicaux
Dès 1984, Rock-O-Rama devient un acteur central du « Rock Against Communism » (RAC), un courant musical mêlant revendications identitaires, nationalisme européen et opposition frontale au marxisme culturel. Le label accueille alors des groupes comme Brutal Attack, Bound for Glory, ou encore Evil Skins. Le ton est durci, les pochettes souvent militaires ou provocantes, les titres sans ambiguïté. La scène skinhead d’extrême droite allemande, jusque-là éparpillée, trouve une bande-son, un canal de diffusion, et une plateforme.
Paradoxalement, Egoldt, surnommé Herbie dans les cercles proches de Skrewdriver, ne partage pas forcément les idées de ses artistes. Mais il comprend le potentiel commercial d’un marché ignoré par les majors. Résultat : des centaines de milliers de disques vendus à travers l’Europe, un réseau de distribution international, et une surveillance accrue des autorités allemandes.
Répression, scandales, fin de règne
En 1993, le coup de filet tombe : perquisition, saisie de 30 000 disques, enquête pour incitation à la haine. Egoldt, vieillissant, ferme boutique en 1994, préférant éviter la prison. Il meurt d’une crise cardiaque en 2005, laissant un catalogue orphelin. Depuis, Rock-O-Rama a changé de mains, mais continue d’exister à travers des rééditions et des fans toujours fidèles.
Le livre de Björn Fischer ne cherche ni l’apologie ni la diabolisation. Il documente minutieusement cette trajectoire improbable d’un label qui a traversé toutes les zones grises de la contre-culture européenne. De ses débuts bricolés aux disques les plus sulfureux, chaque étape est analysée, illustrée, replacée dans son contexte.
Plus qu’une simple biographie de label, Rock-O-Rama Records interroge les frontières entre provocation artistique, engagement politique et opportunisme mercantile. Il dévoile aussi, en creux, la violence symbolique d’une époque marquée par l’effondrement du mur, les tensions identitaires, la montée de l’extrême gauche et la réaction de certains milieux ouvriers européens.
Rock-O-Rama Records. The Outrageous Story Of The Bizarrest Music Label Emerging From The Punk Movement, par Björn Fischer, est disponible depuis mai 2025 (en allemand et en anglais).
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