À lire Mediapart, on croirait entendre un dramaturge de province se lamenter dans un théâtre vide : « Tous les rôles sont distribués, mais aucun acteur ne veut monter sur scène. » Le papier que l’organe de plénitude morale vient de consacrer à la « primaire de la gauche » est un pur chef-d’œuvre de shadenfreude inversée, tant la plainte y prend le pas sur le constat, et tant l’amertume s’y mêle à l’aveuglement.
À Bagneux, ce mercredi 2 juillet, l’événement devait être « historique ». Ce fut un enterrement sans cercueil. L’espace Léo-Ferré, ô ironie, a accueilli une procession de chefs de groupuscules à la dérive, chacun bardé de certitudes, tous assis dans l’attente d’une union qui ne vient jamais. Pas de LFI. Pas de communistes. Pas même les lyriques centristes de Place publique. Sans journalistes, écrit le propre plumitif de Mediapart, « la salle aurait été bien vide ». Le propos est cruellement juste, et le journaliste n’a même pas la lucidité de le remarquer.
Lucie Castets, telle une prêtresse de pacotille, ressuscite les formules vides d’un Nouveau Front Populaire déjà exsangue, en posant pour la photo comme on enterre une illusion. Tout est là : la mise en scène à défaut de pouvoir, la convocation de la société civile comme substitut à la souveraineté populaire, et ce goût maladif de la gauche contemporaine pour les cercles, les collectifs, les tables rondes, c’est-à-dire les labyrinthes sans centre.
Car derrière les grands mots, « dynamique », « citoyenneté », « explosion de progressisme », il n’y a rien. Ou plutôt, il y a Sandrine Rousseau, en gilet de jogging mental, nous promettant une primaire « cérémonie d’ouverture des JO ». On ne sait si l’on doit rire ou pleurer. On se souvient du ridicule des comités antilibéraux de 2006, et l’on voit les mêmes, vingt ans plus tard, reproduire les mêmes figures, avec la même impuissance, les mêmes « alertes », les mêmes formules d’auto-encouragement. « Il faut faire mieux la prochaine fois », souffle un vieux militant. C’est un aveu : ils savent qu’ils vont échouer, mais préfèrent le faire ensemble.
Mediapart, dans tout cela, gémit comme une nourrice délaissée, assistant, impuissante, à la désunion de ses enfants. Il n’y a plus de programme, plus d’incarnation, plus d’élan. Il ne reste que la convocation de l’exemple new-yorkais d’un Zohran Mamdani, qui n’a strictement aucun équivalent en France, mais qui sert de caution exotique à une gauche qui ne sait plus regarder son propre peuple. Car telle est la vérité nue : la gauche actuelle hait le pays réel. Elle hait ses prudences, ses traditions, son ancrage. Elle hait les provinces, les terroirs, les classes moyennes. Elle rêve de minorités agissantes, de transidentités mobilisables, de citoyennetés sans frontières. Et pendant ce temps, la France gronde.
Dans ce désert politique, les figures de proue, Mélenchon et Glucksmann, rivalisent de morgue. L’un décrète la rupture, l’autre la dépasse. Ni l’un ni l’autre ne veut de cette union dont ils savent qu’elle signifierait leur propre dilution. L’un, prophète en robe de bure, fuit tout compromis. L’autre, cravaté comme un premier de la classe, rêve d’un PS moral, pro-européen, sans fureur ni saveur. Entre les deux, un espace se réduit comme peau de chagrin. Il n’y a plus d’utopie, seulement une petite combinazione, une tambouille à l’ancienne, servie avec les trémolos d’antan.
Alors que faire ? Médire, à défaut de pouvoir unir. Reprocher au PCF de ne pas s’asseoir à la table. Reprocher à LFI de ne pas signer la charte. Reprocher à Glucksmann de s’être cru capable d’exister seul. On voit défiler les noms comme autant de héros fatigués d’un théâtre sans public : Tondelier, Ruffin, Autain, Faure. Tous veulent incarner, mais aucun ne porte. Tous veulent parler « au pays », mais aucun ne vit dans ses entrailles.
Et Mediapart, fidèle à sa vocation de greffier de la vertu, continue de chroniquer cette décomposition comme on consigne les symptômes d’un corps malade, sans jamais nommer le mal. Le réel leur échappe, et c’est tant mieux. Car c’est précisément cette gauche-là, moraliste, stérile, narcissique, qui nourrit depuis trente ans la montée de l’autre camp. Ils croient à une dynamique, ils inventent une clarté, ils composent des alliances imaginaires. Pendant ce temps, le peuple vote, et il ne les regarde plus.
Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —
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