Le murmure des cloîtres. Lettre à ceux qui parlent une langue que le peuple n’entend plus

Il faut savoir écouter les signes faibles. Certains événements ne font pas de bruit mais laissent, dans les replis de la parole politique, une résonance crépusculaire. Ainsi en va-t-il du dernier Festival des idées tenu à la Charité-sur-Loire, que ses organisateurs eux-mêmes présentent comme une quête d’« antidote à la division de la gauche ». Les mots ne mentent pas. Un antidote ne se cherche qu’en présence d’un poison, ou d’une agonie.

Le lieu, choisi pour son cloître, en dit plus long que les tribunes. Il s’agit d’un espace clos, abrité du tumulte, propice au recueillement entre initiés. On y parle bas, entre soi, avec gravité et constance, mais dans une langue devenue étrangère à ceux qui vivent hors les murs. À la Charité, la gauche française s’est donc retrouvée, non pour fonder un programme, mais pour se rappeler à elle-même qu’elle fut un jour vivante. Et ce fut tout.

La sociologie de cette rencontre aurait fait les délices d’un Gustave Le Bon : militants de toujours, universitaires d’État, anciens députés et quelques figures en déshérence, formant une élite orpheline de peuple, mais riche en certitudes. Sur les bancs du chœur, on pleure l’absence de Jean-Luc Mélenchon avec la même intensité qu’on l’excommunie. On cite Raphaël Glucksmann, on rêve de primaire sans vouloir le dire. On partage le même événement, mais chacun dans son couloir, comme des moines de différentes congrégations.

La scène décrit moins une stratégie qu’une survivance. Comme le note Benoît Hamon, invité de la clôture, « le problème, c’est que le RN ne débat pas de comment empêcher la gauche d’arriver au pouvoir ». Autrement dit, l’ennemi n’a plus besoin de ferrailler : il assiste, amusé, à la lente évaporation de son adversaire. La gauche discute d’elle-même, dans un entrelacs de regrets et de professions de foi, tandis que ses adversaires bâtissent.

Car pendant que les cloîtres de la gauche ruminent l’échec et la mélancolie, d’autres forces se projettent. La droite identitaire ouvre des librairies, fonde des écoles, rénove des lieux de culte, organise des universités parallèles et pense à long terme. Sa jeunesse lit, entreprend, s’organise. En face, la jeunesse de la gauche, quand elle n’a pas rejoint l’abstention ou les ONG climatiques, elle se drogue à la moraline au point d’entrer en catalepsie et renoncer à vivre. Ou bien elle s’agrège aux Black Blocs, ces spectres encagoulés dont le seul horizon est la destruction. Il y a là un symptôme : quand la droite construit, la gauche déconstruit au sens propre. Elle ne croit plus à rien d’autre qu’à la violence.

Un militant confie : « Parfois je me demande si on parle la même langue que tout le monde ». Non, ce n’est pas la même langue. C’est un idiome doctrinaire, saturé de signifiants et d’allusions, qui n’atteint plus l’oreille des vivants. Une gauche qui parle au peuple en français administratif, en novlangue intersectionnelle, engoncée dans une posture de vertu rigide, n’a plus que le silence en retour. Le tragique, c’est qu’elle ne l’entend pas.

Mathilde Panot, elle, entend autre chose. Boudant la Charité, elle affirme sur une chaîne d’information que les maires insoumis désarmeront la police municipale et démonteront les dispositifs de vidéosurveillance. Que la sécurité est une prérogative d’État. Ces propos, à peine croyables, ne relèvent pas seulement de l’aveuglement idéologique, mais d’une posture volontairement opposée au réel. C’est un refus d’entendre les cris, les peurs, les colères.

La gauche française est enfermée dans un double piège : idéologique d’une part, car elle fait de chaque minorité une citadelle morale, au point de perdre la majorité ; démographique d’autre part, car son socle électoral repose de plus en plus sur des communautés particulières, notamment les populations musulmanes, dont elle craint la défection plus que tout. En clair, elle ne peut plus parler à la France sans déplaire à ses clientèles. Elle est déjà ligotée par ses alliances futures.

Fabien Roussel, seul survivant d’une gauche populaire, le dit avec des mots simples : « Le plaisir, c’est de gauche. Le droit au bon, au beau, au propre, à la tranquillité, au voyage et aux vacances. » Ce vocabulaire, que la bourgeoisie de gauche juge trivial, est celui qui résonne encore à Denain ou à Vierzon. Roussel, avec son ton de café-tabac et sa verve de sous-préfecture, fait plus pour la dignité ouvrière que mille colloques au cloître.

Alain de Benoist, dont les analyses infusent bien au-delà de la droite, l’avait pressenti : « Le ralliement de la gauche à la mystique de la croissance et à la logique du marché l’a conduite à croire qu’une société plus juste exigeait l’éradication des appartenances, des racines, des limites. » En sacrifiant les enracinements au nom de l’abstraction, la gauche moderne s’est faite complice d’un capitalisme déracinant qu’elle feint de combattre.

« Le problème de la gauche, c’est qu’elle a tendance à ne s’adresser qu’à ceux qui sont déjà d’accord avec elle », notait récemment un observateur lucide. C’est une communauté de certitude, non de conquête. Elle parle pour confirmer, jamais pour convaincre. Elle répète, elle n’invente plus.

Pendant que la gauche se regarde dans l’eau morte des cloîtres, d’autres forces avancent. La droite se réorganise, la jeunesse cherche ailleurs, les classes populaires n’attendent plus rien. Elles n’espèrent même plus. Elles s’équipent, se protègent, parfois se taisent. Le silence, ici, n’est pas une méditation. C’est une rupture.

— Balbino Katz. Chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR

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