En apprenant par la presse que le pape Léon XIV venait d’approuver la proclamation du cardinal John Henry Newman comme Docteur de l’Église, cela m’a fait faire un bond en arrière de plus de trente ans. J’habitais alors le Pays de Rennes, dans la paroisse de Sainte-Colombe, et j’avais lié amitié avec un jeune vicaire d’un abord fort sympathique. Ce qui nous rapprochait, au-delà des différences de tempérament, c’était une passion commune pour un de ces cardinaux anglais de la fin du XIXe siècle, qu’on appelait outre-Manche The Converted Cardinals, les cardinaux convertis. John Henry Newman n’était que l’un d’entre eux, mais il en était la figure de proue, l’éclat le plus pur. Par lui, je découvrais tout un pan de l’histoire religieuse britannique, celui du retour à Rome d’hommes que l’acte d’Henri VIII avait arrachés à la foi catholique de leurs pères.

Je l’avais rencontré par hasard, en tombant sur son autobiographie spirituelle, Apologia Pro Vita Sua, un texte où l’âme se livre avec une honnêteté rare. A une époque sans Amazon, sans internet et ses bibliothèques en ligne, où pour comander des livres en anglais il fallait passer par une librairie à Rennes et attendre des semaines. Mon intérêt pour le catholicisme anglais m’avait d’abord conduit à la biographie en deux volumes du cardinal Wiseman, due au chanoine Ward, œuvre foisonnante d’anecdotes sur la renaissance catholique au début du XIXe siècle, quand il n’était plus criminel, en Angleterre, de se dire simplement catholique. Mais la lecture de Newman allait plus loin, plus profond : elle donnait à voir l’itinéraire intérieur d’un homme pour qui la foi n’était pas un héritage mais une conquête.

Né à Londres en 1801, Newman avait reçu une formation anglicane et s’était rapidement distingué par la clarté de sa pensée. Prêtre de l’Église d’Angleterre, il officiait à Oxford, au cœur du Oxford Movement, qui interrogeait les déviations de l’anglicanisme et cherchait à retrouver la tradition catholique. C’est en Italie, comme tant d’autres avant lui, qu’il mûrit sa réflexion, découvrant dans le rite romain hérité de saint Pie V la vérité de l’Église du Christ. Après une longue recherche, il demanda à entrer dans l’Église catholique le 8 octobre 1845. Il dira plus tard que ce fut comme “entrer au port après la tempête”.

Ordonné prêtre catholique en 1847, il revint en Angleterre armé d’une certitude apaisée. Ses compatriotes ne lui firent aucun cadeau. Il écrivit sans relâche pour défendre la foi retrouvée, cherchant toujours l’équilibre entre foi et raison, conscience et obéissance, tradition et modernité. En mai 1879, Léon XIII le créa cardinal, alors même qu’il était resté simple prêtre.

Sa nomination comme Docteur de l’Église, ainsi qu’Hélène de Lauzun l’a finement analysé dans The European Conservative, réaffirme l’actualité de son enseignement. Car Newman, tout en connaissant les séductions de la modernité intellectuelle, en avait discerné les périls. Dans son discours de création cardinalice, il définissait le “libéralisme en religion” comme la négation de toute vérité positive, doctrine qui tolère tout parce qu’elle réduit toute croyance à une opinion.

Comment ne pas y voir un contrepoint à certaines paroles de François, comme ce jour de 2024 à Singapour où il affirma que toutes les religions sont des chemins vers Dieu, simples “langages différents” conduisant au même but ? Newman, lui, rappelait que la foi catholique n’est pas une langue parmi d’autres mais la réception, dans l’Église, de la vérité révélée en Jésus-Christ.

Sa pensée sur le développement de la doctrine reste une boussole pour les chrétiens, y compris pour qui veut rester fidèle à une tradition politique ou culturelle. Dans son Essay on the Development of Christian Doctrine, il fixe des critères précis : conserver le modèle initial, rester fidèle aux principes, intégrer du neuf sans altérer l’identité, confirmer l’héritage sans rupture, et porter toujours du fruit. Une telle discipline de l’esprit protège aussi bien la théologie que tout héritage humain de valeur.

En proclamant Newman Docteur de l’Église, Léon XIV offre au monde catholique une figure capable de parler aux intellectuels comme aux simples fidèles, de rappeler que la conscience ne se réduit pas à la subjectivité, et que la tradition, pour vivre, doit croître sans jamais se renier. C’est une leçon que l’Angleterre du XIXe siècle apprit de Newman. Ce pourrait être, pour les catholiques de notre temps, une leçon de survie.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Une réponse à “Le cardinal Newman ou la boussole de l’âme”

  1. Mortimer dit :

    Un personnage profond et un article de grande qualité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité

LES DERNIERS ARTICLES

méduses

Environnement, Sociétal

Centrale nucléaire à l’arrêt à Gravelines : 2025, l’été des méduses sur les côtes françaises ?

Orban

International

Viktor Orbán face au chaos mondial : « Je n’ai qu’un seul ami, le peuple hongrois »

Santé

Une étude suisse observe plus d’infections respiratoires chez les vaccinés contre le Covid-19

A La Une, International

Professeur James Orr : « Aucune civilisation n’a jamais invité des envahisseurs et les a logés dans des hôtels quatre étoiles »

druides

Culture, Culture & Patrimoine

Le bien commun et le souffle des druides. Réponse à Julien Dir

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Religion

Léon XIV et le nombrilisme hexagonal

Découvrir l'article

A La Une, Religion

Léon XIV : un pape venu des périphéries, entre tradition augustinienne et défis du XXIe siècle

Découvrir l'article

Religion, Sociétal

Après l’élection du pape Léon XIV. Et si on causait de la papolâtrie ?

Découvrir l'article

Religion, Sociétal

Catholiques. Le retour des enfants prodigues d’Occident

Découvrir l'article

Religion

Papabili. L’art délicat d’ignorer l’essentiel

Découvrir l'article

Religion

Conclave : Progressistes vs Conservateurs, qui sera le prochain pape ? – I-Média

Découvrir l'article

Religion

Le pape est mort : rien que des paroles

Découvrir l'article

Culture, Culture & Patrimoine, Religion

Écrits de Rome : la revue d’idées pour une reconquête civilisationnelle européenne et chrétienne

Découvrir l'article

Religion

Pourquoi un sanctuaire à Sainte-Anne-d’Auray ?

Découvrir l'article

A La Une, Religion, Sociétal

Le Carême 2025 : un temps de conversion et de préparation à Pâques

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky