À l’heure où l’Europe doute d’elle-même et où ses élites semblent parfois honteuses de son histoire, il est utile de rappeler ce qui a fait sa force : une capacité unique au monde à s’auto-critiquer et à s’ouvrir aux autres civilisations, non pas pour s’y soumettre, mais pour apprendre et transformer ce savoir en innovations durables. Un excellent article signé Steven Farron, dans American Renaissance, datant de 2009, revenait sur cette domination du monde et ses raisons essentielles. Nous vous en proposons une synthèse en français ci-dessous.
L’expérience de Matteo Ricci : la rencontre de deux mondes
À la fin du XVIᵉ siècle, le missionnaire jésuite italien Matteo Ricci fut l’un des premiers Européens à vivre durablement en Chine. Ses récits, rédigés entre 1583 et 1610, décrivent un empire replié sur lui-même, convaincu de détenir seul le monopole du savoir. Les Chinois, écrit Ricci, considéraient les étrangers comme des « bêtes », incapables d’apporter une quelconque connaissance.
Pourtant, lorsqu’il présenta ses cartes du monde, ses globes et ses instruments scientifiques, il fut reçu avec les plus grands honneurs jusqu’à la Cité interdite. L’empereur fit même reproduire ses cartes en soie pour les distribuer à sa famille. Car la Chine, alors grande puissance démographique et culturelle, ignorait encore que la terre était ronde, que le soleil était plus grand que notre planète, ou encore que la logique mathématique pouvait démontrer les vérités les plus simples.
Ricci, formé par l’un des plus brillants mathématiciens européens, introduisit en Chine la géométrie d’Euclide, la logique aristotélicienne, et des innovations techniques comme l’horloge mécanique ou le quadrant. Le contraste était saisissant : la Chine avait inventé le papier, la poudre et la boussole, mais elle n’avait jamais su transformer ces inventions en outils de puissance mondiale. L’Europe, elle, s’en était emparée pour remodeler la planète.
L’Europe, seule civilisation tournée vers l’extérieur
Cette curiosité insatiable n’était pas nouvelle. Depuis l’Antiquité, les Grecs et les Romains avaient cultivé une fascination pour les peuples étrangers. Hérodote, souvent considéré comme le « père de l’histoire », écrivait déjà sur les coutumes des Égyptiens, des Perses ou des Scythes, avec un regard à la fois critique et empathique. Tacite, à Rome, décrivait les vertus supposées des Germains pour mieux souligner les vices des Romains.
Ce goût pour l’ethnographie et pour la remise en question de soi est une singularité occidentale. Les civilisations non-européennes, qu’elles soient arabe, turque ou chinoise, se contentaient de mépriser les « barbares » et refusaient d’apprendre leurs langues ou leurs savoirs. Les Ottomans, qui régnaient sur une partie de l’Europe, utilisèrent des convertis pour traduire les textes occidentaux, mais n’ouvrirent jamais de chaires de latin ou de grec.
À l’inverse, l’Europe créa très tôt des chaires d’arabe à Oxford, Cambridge ou au Collège de France, traduisit le Coran et des textes persans, et chercha à comprendre ses rivaux. Cette volonté d’apprendre, même de ses ennemis, explique pourquoi les Européens finirent par les dépasser.
Innovation, imprimerie et révolution scientifique
Les exemples abondent. La Chine avait inventé le papier, mais l’Europe inventa l’imprimerie moderne. En moins d’un siècle, près de 200 millions de livres circulaient sur le continent, favorisant une diffusion des savoirs sans équivalent. Le monde musulman, pourtant si proche, ne s’équipa d’imprimeries que tardivement, et encore sous l’impulsion d’étrangers.
De la même manière, les Européens perfectionnèrent la boussole pour explorer les océans, transformèrent la poudre en artillerie moderne, et appliquèrent la logique mathématique pour révolutionner l’astronomie, de Copernic à Newton. Cette soif de comprendre l’ordre du monde – ce que Stephen Hawking qualifiait de « désir universel » – fut en réalité un trait distinctif de la culture européenne.
Mais cette force a un revers. L’autocritique permanente, utile tant qu’elle restait une incitation à progresser, est devenue au XXIᵉ siècle une pathologie de la haine de soi. Les Grecs avaient déjà dénoncé leurs propres excès dans les tragédies ; les Romains accusaient leur empire d’être corrompu et cruel. Les Européens modernes, eux, vont jusqu’à célébrer les « vertus » supposées des sociétés primitives – quitte à idéaliser les sacrifices humains des Aztèques ou à inventer de toutes pièces des discours écologiques attribués à des chefs amérindiens.
Aujourd’hui, cette inclination à se flageller est exploitée par des élites mondialisées qui enseignent aux jeunes Européens que leur histoire n’est que colonisation, esclavage et crimes. L’ouverture et la curiosité, jadis sources de progrès, se transforment en armes de déconstruction et de culpabilisation.
L’Occident a dominé le monde parce qu’il a su critiquer ses propres travers et s’inspirer des autres civilisations pour bâtir mieux. Mais ces qualités, portées à l’excès, deviennent suicidaires si elles conduisent à nier toute légitimité à nos peuples et à nos cultures.
L’Europe doit retrouver l’équilibre : apprendre, oui ; s’améliorer, toujours ; mais sans oublier ce qui la distingue et ce qui l’a rendue grande. À défaut, les inventions nées en Occident pourraient, demain, être utilisées par d’autres civilisations plus sûres d’elles-mêmes, tandis que nous resterons paralysés par la honte et l’oubli.
Crédit photo : Institut Iliade
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