Milei ou la politique devenue concert

Au bar des Brisants, à Léchiagat, le vent battait les vitres, le patron polissait ses verres en silence, et sur mon ordinateur, à quelques milliers de kilomètres, s’ouvrait une autre tempête : celle du Movistar Arena de Buenos Aires de la veille, saturée de lumière violette, de fumée et de cris. Javier Milei venait d’y donner un meeting qui ressemblait moins à un rassemblement politique qu’à un concert de rock déchaîné.

C’est un spectacle qu’aucune démocratie occidentale n’aurait osé produire : le chef de l’État en tenue de rockeur, descendant dans la fosse au son du shofar, ce cor rituel de la Bible qu’il affectionne, se frayant un passage parmi les militants en extase, puis surgissant sur scène dans un éclair de stroboscopes. Les premières notes de Panic Show du groupe La Renga déclenchèrent l’hystérie. Dix mille voix reprenaient le refrain comme une profession de foi. Les caméras tremblaient sous la clameur, et l’on distinguait à peine, dans cette marée violette, la silhouette du président, bras levés, acclamé comme un prophète revenu parmi les siens.

Rien, dans cette mise en scène, n’était improvisé. Karina Milei, sa sœur au pied de la scène, en était la grande prêtresse. Deux compagnons de route, non des ministres, mais des fidèles de toujours, complétaient le spectacle : la députée Lilia Lemoine, en choriste, et Alberto “Bertie” Benegas Lynch, vieil ami et batteur d’un soir. L’orchestre jouait, les slogans sifflaient, et sur les écrans géants défilaient des images où se mêlaient la chute du Mur de Berlin, le visage de Nino Bravo et les drapeaux argentins. Ce n’était plus de la politique : c’était une liturgie, un mélange de ferveur et de kitsch, un exorcisme collectif contre le spectre kirchnériste.

Le président, après ce bain de foule, revint sur scène vêtu d’un costume noir. Les projecteurs s’apaisèrent. Sa voix, cette fois, se fit grave, presque pastorale. « Nous devons passer de l’autre côté du fleuve », déclara-t-il, promettant des réformes fiscales et sociales après le 10 décembre. Il parlait de libération comme d’un combat mystique, et dans la salle, les jeunes brandissaient leurs téléphones comme des cierges numériques.

La Nación titra le lendemain : « Un show surréaliste en pleine urgence gouvernementale ». Et pourtant, la formule lui échappa : elle ne vit pas qu’elle était, elle aussi, devenue personnage du drame. Car la veille, une vidéo officielle avait circulé pendant le spectacle. Inspirée de Star Wars, elle montrait les « forces du mal kirchnéristes » pilotant des destroyers intergalactiques ornés des logos des médias hostiles, y compris celui de La Nación. Le président s’y posait en Jedi libéral combattant la galaxie corrompue du vieux système. C’était grotesque, bien sûr, mais dans la guerre des images, le ridicule tue moins sûrement que l’absence de panache. Les journaux se sont indignés ; Milei, lui, a rallié la foule.

Et pendant que le ministre Luis Caputo négociait à Washington, le ciel économique s’éclaircissait : pour la première fois depuis des semaines, le dollar blue s’échangeait au même taux que le dollar officiel, autour de 1460 pesos. Les réserves de change se reforment, la dette nette recule, la confiance, cet oiseau rare de la vie argentine, revient se poser un instant. Ces chiffres, en apparence modestes, ont suffi à inverser le courant : l’opposition kirchnériste, furieuse, vit s’effriter l’effet de ses attaques personnelles, ses « campagnes d’opérations » reprises en boucle par les chaînes de télévision.

Ce qui frappe, dans cet épisode, n’est pas tant la théâtralité de Milei que son sens du moment. Là où les politiciens occidentaux dissertent, il dramatise. Là où ils négocient, il chante. Il a compris que la politique du XXIᵉ siècle ne repose plus sur la persuasion, mais sur l’émotion ; qu’elle ne s’adresse plus à l’intelligence, mais au système nerveux. Le peuple ne veut plus comprendre, il veut vibrer. Il n’exige pas des idées, mais des symboles. Et c’est là que Milei excelle : il donne à ses partisans une transcendance de substitution, un mythe électrique, un récit où la liberté devient foi, et la foi, communion.

Cette transformation du politique en spectacle n’est pas sans danger. Elle consacre l’avènement d’une démocratie hypnotique, où le chef s’impose moins par ses décisions que par sa capacité à occuper l’écran. Pourtant, l’Argentine, ce vieux laboratoire de passions collectives, n’en est pas à son premier délire. Le péronisme avait déjà mêlé ferveur, mythe et plébiscite. Milei, lui, y ajoute la technologie et la musique. Là où Evita chantait au balcon, il fait vibrer un stade.

Je regardais ces images en sirotant mon café, songeant à Clausewitz : « La guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. » Deux siècles plus tard, il faudrait inverser la formule : la politique est devenue la continuation de la guerre, mais par d’autres instruments — non plus les canons, mais les amplificateurs ; non plus les uniformes, mais les blousons de cuir. Sous les projecteurs du Movistar Arena, Javier Milei n’a pas seulement chanté. Il a livré bataille — et, pour un soir, il l’a gagnée.

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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