Alors que Londres s’apprête à confier à une équipe d’universitaires la rédaction de l’histoire “officielle” de la politique britannique pendant les Troubles, un document récemment déclassifié vient remettre en question la sincérité des promesses gouvernementales.
Le gouvernement avait assuré que ces chercheurs auraient un accès complet, sans restriction, aux archives classées les plus sensibles de l’État. Mais des preuves exhumées des archives nationales montrent qu’une ingérence politique dans des travaux similaires a déjà eu lieu par le passé.
Une ambition monumentale : raconter 30 ans de guerre dans la transparence totale
Le projet, annoncé en 2024, prévoit qu’un groupe de cinq historiens travaille pendant cinq ans sur les archives britanniques liées aux Troubles — ces trente années de conflit sanglant qui ont opposé l’État britannique, l’IRA et les forces loyalistes en Irlande du Nord.
En théorie, tout serait accessible : documents du MI5, notes du MI6, rapports de l’armée et correspondances diplomatiques. L’objectif affiché : produire un récit officiel, indépendant et exhaustif des politiques menées entre 1969 et 1998.
Le comité de supervision réunit plusieurs universitaires reconnus : Ian McBride (Oxford), Henry Patterson (Ulster University) ou encore Caoimhe Nic Dháibhéid (Université de Sheffield). Ces chercheurs ont tous souligné la responsabilité éthique d’un tel travail, reconnaissant que la transparence complète serait difficile, mais essentielle à la vérité historique.
Le spectre du contrôle politique
C’est pourtant cette indépendance qui semble déjà compromise. En fouillant les archives nationales, un journaliste britannique a découvert un dossier daté de 2004 prouvant que le gouvernement avait exercé des pressions directes sur un autre projet d’“histoire officielle” — celle de la guerre des Malouines, écrite par le professeur Sir Lawrence Freedman.
Les documents montrent que des négociations eurent lieu entre Londres et Washington pour déterminer quelles informations pouvaient être publiées dans l’ouvrage. Les autorités américaines avaient exigé certaines suppressions ; le gouvernement britannique avait accepté d’y procéder avant publication.
Au fil des échanges, des fonctionnaires allèrent jusqu’à demander la modification de termes jugés trop “dévoilants” et à proposer une liste de journalistes “recommandés” pour recevoir les exemplaires de presse. Rien, dans ces discussions, n’avait trait à la sécurité nationale : il s’agissait simplement de préserver les sensibilités diplomatiques et de garder le contrôle du récit.
Le professeur Freedman, exaspéré, avait alors menacé de démissionner si son travail n’était pas publié sans censure. Son cas montre que les “histoires officielles” ne sont pas toujours libres — même lorsqu’elles sont censées l’être.
Aujourd’hui, Londres affirme que l’histoire officielle des Troubles ne connaîtra aucune ingérence politique et que les historiens seront libres d’écrire “sans restriction”. Mais ce précédent rend la promesse difficile à croire.
D’autant que, selon les documents disponibles, le processus de sélection des chercheurs avance lentement. Les auditions prévues en 2024 ont été reportées, et le ministère nord-irlandais (NIO) reconnaît avoir soumis les candidats à une procédure de sécurité dite “Developed Vetting” — la plus stricte du Royaume-Uni, utilisée pour les personnes manipulant des informations classifiées.
Cette étape pourrait retarder le projet de plusieurs mois, voire plus, et pose une question cruciale : comment garantir l’indépendance scientifique de chercheurs qui dépendent d’un agrément gouvernemental pour consulter les archives ?
L’histoire de la guerre civile, un champ miné
Pour les universitaires impliqués, la tâche est titanesque. Ils devront naviguer entre les zones d’ombre des services secrets, les silences des dossiers militaires et les sensibilités politiques toujours vives de l’Irlande du Nord.
Même avec un accès complet, le risque de sélection arbitraire ou de retouche administrative reste élevé.
Car derrière le mot “officiel”, il y a toujours la tentation d’un récit contrôlé. Et dans un contexte où la méfiance envers les institutions britanniques demeure forte — notamment après la loi controversée de 2023 sur l’amnistie des crimes des Troubles — toute apparence de manipulation pourrait raviver les blessures d’un conflit jamais vraiment refermé.
La publication de cette “histoire officielle” est présentée par Londres comme un geste de réconciliation. Mais pour beaucoup, elle risque au contraire d’apparaître comme une tentative d’écrire la mémoire du conflit à la place de ceux qui l’ont vécu.
Les familles des victimes, les anciens combattants et les associations de mémoire craignent qu’une version édulcorée de l’action de l’État britannique ne vienne occulter les abus commis durant trois décennies. Si, comme le craignent certains, des pressions similaires à celles exercées sur le professeur Freedman devaient se reproduire, la crédibilité du projet serait immédiatement détruite — et avec elle, l’espoir d’un récit honnête des Troubles.
Illustration : wikipedia (cc)
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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