À chaque épisode d »europicide », ces homicides d’Européens qui se produisent à date fixe sur le continent depuis des années – une agression, un coup de couteau, un « drame » qui disparaît après deux jours d’indignation – il y a toujours une constante : le courage oublié. Chaque fois qu’un fou ou qu’un immigré armé sème la terreur dans un parc, une gare, un train, le récit se répète avec une similitude inquiétante. Il y a le bourreau, il y a les victimes, il y a les complices – médias, parlements, bureaucraties de police – qui font semblant de ne pas comprendre. Mais au milieu de tout cela, il y a toujours les héros : des citoyens ordinaires qui réagissent, qui s’interposent, qui prennent des risques. Et ce sont eux qui disparaissent les premiers de la narration.
Les héros du train de Huntingdon
Le 1er samedi novembre 2025, un homme armé agresse plusieurs passagers d’un train LNER allant de Doncaster à Londres. Le convoi est arrêté d’urgence à Huntingdon, dans le Cambridgeshire. Au moins onze blessés, dont deux graves sont à déplorés. Parmi eux, Stephen Crean, un membre du personnel qui, avec un mécanicien, avait affronté l’assaillant pour sauver les passagers. La police évoque alors un « acte de courage extraordinaire ». Mais en vingt-quatre heures l’affaire est réabsorbée dans la formule habituelle : « aucune piste terroriste, geste isolé ». Et c’est ainsi que les « héros » ont disparu des premières pages avant même que leur photo ne soit publiée.
Le scénario se répète deux ans plus tard, le 8 juin 2023, quand à Annecy, un Syrien poignarde des enfants et des passants dans un parc. Un jeune homme de 24 ans, Henri d’Anselme, armé seulement d’un petit sac à dos réagit. S’interposant entre l’agresseur et les victimes, il permet à la police d’intervenir. Mais là aussi, la mémoire collective ne lui rend pas la justice qu’il mérite. La presse mainstream lui réserve quelques interviews… puis un oubli rapide et silencieux.
En Italie, en mars 2023, près de la gare de Milan, Abrahman Rhasi, d’origine marocaine, agresse plusieurs personnes. Un homme de soixante-huit ans, Francesco Micciantuono, ancien parachutiste et aujourd’hui boucher, intervient pour défendre une jeune fille de 23 ans. Il est blessé au bras et termine aux urgence. L’agresseur est condamné à 12 ans de prison, mais le geste du citoyen est resté confiné dans la chronique locale. Pas d’honneurs rendus, pas de reconnaissances officielles pour ceux qui ont risqué leur vie.
Trois épisodes, trois figures exemplaires. Aucun d’entre eux n’a demandé quoi que ce soit. Aucun d’entre eux n’est devenu le symbole de rien. Mais la somme de ces cas – et de beaucoup d’autres passés sous silence – révèle une vérité inconfortable : l’Europe ne supporte plus l’idée du héros.
La culture victimaire
Le mécanisme est toujours le même. Quand un citoyen intervient et sauve des vies, on le célèbre pour une journée, on l’affiche comme « citoyen modèle » ou « garçon au grand cœur ». Puis, dès que l’on entrevoit un contenu politique derrière son geste – la volonté de défendre, de réagir, de ne pas se résigner – le ton change. Le héros devient un « agressif », un « réactionnaire », un « fanatique ». Ses mots, s’il en prononce, sont censurés ou vidés de leur contenu. C’est un reflet conditionné du système médiatique : reconnaître l’existence du courage signifierait admettre qu’il y a quelque chose qui demande du courage, à savoir que le modèle social européen n’est pas aussi sécurisé, juste ou harmonieux comme on voudrait le faire croire. Mieux vaut alors réduire tout au cas individuel, à la fatalité, au trouble mental.
Mais l’omission n’est pas seulement médiatique. Elle est aussi culturelle, et se cache aussi bien dans le camp progressiste que dans celui prétendument « anti-système ». Le geste héroïque est incompatible avec la morale désarmée des rédactions gauchisantes d’un côté ; mais il l’est tout autant avec la pornographie du déclin chère aux « boomers du désenchantement » qui réduisent leurs compatriotes à leurs seuls aspects les plus risibles. Deux faces de la même renonciation : parce que s’abandonner à la décadence est un plaisir. C’est une drogue. Elle parle à la partie la plus exécrable de notre être, celle s’excite du désastre… tant qu’on ne lui demande pas d’engagement. Il y a ceux qui monétisent depuis longtemps ce plaisir – dans les talk-shows, dans les blogs du catastrophisme, dans les pages sociales qui vivent de cynisme. Tous unis par une certitude : l’Européen doit être lâche. Il doit être spectateur, pas acteur. Un individu atomisé, craintif, déraciné, incapable de sacrifice. Le récit du héros, pour eux, est un danger politique. Parce que le héros brise le récit de la victime.
Le geste héroïque fonde les civilisations
Souvent, en effet, même dans l’activité louable de quelques journalistes disposés à dénoncer avec rigueur les violences des allogènes, prévaut un registre marqué par le victimisme : la « violence subie » prime sur la « violence nécessaire ». À l’inverse, mettre en valeur ces gestes héroïques signifie restituer une idée d’Europe vivante, de communauté éthique qui résiste même dans les métropoles multiethniques. L’héroïsme authentique ne devrait certes pas être un spectacle, mais un geste d’ordre : l’irruption du devoir dans une société qui a perdu le sens de la limite. Et c’est justement pour cela que le geste du héros civil devrait être institutionnalisé, raconté, transformé en un patrimoine accessible par la langue universelle de l’émulation positive. Il devrait aussi être reconnu : par un fonds public pour les dépenses médicales et juridiques de ceux qui défendent autrui, par un livre d’or européen conservant la mémoire de ces actes, par des programmes de formation civique et d’intervention d’urgence dans les écoles et sur les lieux de travail. Pourquoi ne pas donner le nom de cette initiative à Tommie Lindh, le jeune suédois de 19 ans tué en 2020 dans la ville de Härnösand alors qu’il tentait de défendre une jeune fille d’un viol perpétré par un immigré soudanais ? Lindh n’est jamais entré dans le panthéon de l’héroïsme civil européen. Son nom est resté confiné dans les blogs, sur des sites marginaux et n’a jamais été reconnu pour ce qu’il représente : un jeune européen qui a réagi, qui a payé de sa vie un acte de protection envers un autre membre de sa communauté.
Incarner pour un instant la verticalité
Une Europe capable de se souvenir de ses héros civils serait déjà une Europe digne d’elle-même. Il ne s’agit pas d’ériger des statues ou d’inventer de nouveaux saints laïcs, mais de reconnaître que la civilisation naît et se renouvelle par le sacrifice, non par la neutralité ou les chantres de la décadence. Les hommes et les femmes qui, comme Lindh, Micciantuono, Crean ou d’Anselme, se interposés entre le mal et l’impuissance, incarnant pour un instant cette verticalité qu’un continent désœuvré ne comprend plus. Les rappeler à la mémoire est un acte politique, car cela signifie réaffirmer qu’il existe une communauté européenne du courage, faite de citoyens qui ne se résignent ni à la peur ni à la reddition. Tant qu’il y aura quelqu’un prêt à risquer et à s’engager, l’Europe ne sera pas un musée de culpabilités, mais un corps vivant qui, parmi mille blessures, essaie encore d’exister.
Sergio Filacchioni
Traduction Audrey D’Aguanno
Illustration : Tommie Lindh, capture Il primato nazionale
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