Témoignages de Bratislava, Slovaquie. « La France, on ne la reconnaît plus »

Le vent froid descend du Danube et balaie la place Hodžovo, devant le palais présidentiel. Les trams grincent, les bus s’engouffrent dans le rond-point, et la façade blanche du Grasalkovičov palác reflète une lumière grise d’hiver. Quelques passants pressent le pas ; d’autres s’arrêtent pour regarder la garde changer, cérémonie quotidienne sous la bannière bleue à double croix blanche. Ici, on est à peine à dix minutes à pied du château, mais déjà dans une autre Bratislava : plus moderne, plus nerveuse, le carrefour d’une Europe centrale qui regarde l’Ouest… avec un mélange de fatigue et d’incrédulité.

Voici quelques témoignages, recueillis lors d’un reportage récent, sur place, en marge du Conservative Summit.

“On ne comprend plus votre pays”

Devant la station de bus, Peter, la cinquantaine, gilet fluorescent sur les épaules, fume sa cigarette avant de reprendre le service pour la société municipale de transports. “Moi, j’ai travaillé deux ans à Lyon, raconte-t-il en français correct. J’habitais en Suisse alors. En 2008, c’était encore un beau pays. Aujourd’hui, quand je vois les infos, j’ai l’impression que c’est devenu une jungle. Des voitures brûlées, des agressions, des migrants partout. Comment les Français ont-ils pu laisser faire ça ?”

Il secoue la tête, tire sur sa cigarette, puis ajoute : “Chez nous, il y a des problèmes aussi, mais on garde le contrôle. Nous voulons rester Slovaques. Et les jeunes, eux, ne veulent plus partir en France : ils préfèrent l’Autriche, la Suisse, le Canada.”

Hviezdoslavovo námestie, miroir des conversations

En descendant vers le centre historique, la grande artère Štefánikova mène à la place Hviezdoslavovo námestie, large allée piétonne bordée d’arbres et de cafés. C’est ici que les touristes s’arrêtent, face au Théâtre national slovaque et aux terrasses du café Mayer, fondé en 1873, vestige d’un Bratislava encore viennois.

À l’intérieur, nappes blanches, pâtisseries à la crème et serveurs en gilet noir. Katarína, la serveuse, pose deux kremes sur la table : “Des Français, j’en vois tous les jours. Ils sont polis, mais tristes, souvent. Et ils me disent que chez eux, on ne peut plus parler de rien. Ici, on peut discuter politique sans se faire insulter. On a nos divergences, bien sûr, mais pas cette haine entre gens d’un même pays.”

À la table voisine, un couple de retraités allemands, en voyage organisé, suit la conversation.

Paul, ancien ingénieur de Hambourg, intervient : “Nous aussi, nous avons les mêmes problèmes. Trop de migrants, trop de violence, et personne n’ose le dire. C’est pour cela que beaucoup d’Allemands viennent visiter l’Europe de l’Est. Ici, on se sent encore en sécurité.”

Son épouse approuve d’un signe de tête : “Regardez : on peut se promener le soir sans peur.  A Hambourg , je n’oserais plus après 22 heures.”

“Nous ne voulons pas devenir comme l’Ouest”

Au pied du château, sur la rue Zámocká, un petit café moderne accueille les étudiants de l’université Comenius, toute proche.

Tomas, 22 ans, y prépare un exposé d’histoire: “Je n’ai rien contre la France. J’aime sa culture, sa littérature. Mais votre société donne le sentiment d’être fatiguée, divisée, sans repères. Ici, les gens veulent éviter ça. On veut être modernes, mais pas déracinés.” Sa camarade Lucia, étudiante comme lui, ajoute : “Je suis allée à Paris l’an dernier pour un stage. C’était magnifique… mais j’ai aussi vu la misère, la peur dans le métro, les regards, les tensions. Mes parents m’ont dit : plus jamais seule là-bas.”

Tous deux insistent : leur génération regarde davantage vers Vienne, à une heure de train, que vers Paris ou Berlin. “L’Autriche est un modèle de stabilité, dit Tomas. En France, on a l’impression d’un pays qui se bat contre lui-même.”

Dans une ruelle de la vieille ville, à deux pas de la cathédrale Saint-Martin, Miroslav, un chauffeur de taxi Bolt, nous déposé. “Je regarde parfois les informations sur la France : grèves, violences, attentats. C’est triste. Vous aviez tout : la beauté, la liberté, la culture. Et maintenant, vous laissez des politiciens détruire tout cela.”

Il hausse les épaules : “Ici aussi, il y a des pauvres, mais on travaille. On se lève tôt, on respecte les règles. Les gens ont peur de perdre ça si on ouvre trop les frontières.”

Des touristes français… gênés

Sur l’esplanade du château de Bratislava, les pavés brillent après une averse. La vue embrasse le Danube, le pont SNP et, au loin, les tours de Petržalka.

Un groupe de touristes français, venus de Rodez, prend des photos devant la forteresse. Jean-Louis, retraité, avoue à demi-mot : “On comprend que les gens d’ici nous jugent sévèrement. On a laissé filer notre pays. En France, on a peur de tout : dire un mot de travers, sortir le soir, même afficher un drapeau. Ici, ils ont encore de la fierté.” Sa femme Sylvie nuance : “Mais il ne faut pas idéaliser non plus. Tout n’est pas parfait. Les salaires sont bas, les jeunes partent à l’étranger.”

Un autre touriste, qui visite la ville, avec eux, intervient : “C’est vrai, mais au moins ils savent ce qu’ils sont. En Europe de l’Ouest, on ne sait plus si on est européen, africain ou américain.”

Devant le Parlement, la méfiance vis-à-vis de l’Ouest

Un peu plus loin, au pied du Parlement slovaque, le seul agent de sécurité regarde la foule de touristes monter vers le château.

Il ne veut pas donner son nom, mais accepte de parler quelques minutes : “Je ne comprends pas ce qui arrive à vos pays. En France, vous tolérez des violences contre la police, contre vos professeurs, contre vos églises. Ici, ce serait impensable. Nous respectons nos institutions, même si nous critiquons les politiciens (…) Je suis allée à Marseille cet été. J’ai aimé la mer, la lumière. Mais j’ai eu peur avec ma femme le soir. Et puis, on sent une tension… C’est comme si tout le monde se méfiait de tout le monde. Ce n’est pas normal pour un pays qui se dit libre. Et une autre chose m’a choqué : je me croyais plus en Afrique qu’en France en marchant dans la rue”

Une fracture culturelle européenne

En soirée, sur Hviezdoslavovo námestie, les lampadaires s’allument. Les familles flânent, les musiciens de rue jouent du violon, et les touristes s’attardent devant le théâtre illuminé.

Dans un bar à vin, Andrej, 40 ans, consultant, résume la situation à sa manière : “Nous, en Europe centrale, nous avons appris ce qu’était l’oppression : le communisme, la censure, la peur. L’Ouest, lui, n’a pas connu cela depuis longtemps. Et aujourd’hui, c’est vous qui vous autocensurez, qui avez peur de vos propres mots. C’est étrange : vous avez oublié ce que nous avons appris dans la douleur. En France, quand une femme se fait insulter dans la rue, on dit que c’est culturel. Ici, c’est puni, ou alors on corrige celui qui le fait. Mais attention, Bratislava change vite aussi. Il y a plus de vols, plus d’agressions qu’avant. On n’est pas à l’abri du même destin.”

Le lendemain matin, dans la lumière pâle de novembre, la cloche de la cathédrale Saint-Martin sonne neuf heures. Devant la boulangerie Konditorei Kormuth, fréquentée par les touristes pour son décor d’époque, une file s’étire.
Mária, une retraitée, achète son pain et résume en une phrase le sentiment de nombreux Slovaques rencontrés au fil des rues : “Avant, on regardait l’Ouest avec envie. Aujourd’hui, avec peur.”

Elle se tourne vers le château, qui domine la ville. “L’Europe de l’Ouest a perdu la raison. Trop de slogans, trop d’idéologie, pas assez de cœur. Chez nous, on veut rester simples, chrétiens, européens. Pas modernes au point d’oublier qui on est.”

Sur les rives du Danube, les bateaux-hôtels se balancent doucement. Des touristes tchèques discutent, des joggeurs passent, les tramways traversent le pont vers Petržalka.

Un couple d’Espagnols, Laura et Sergio, venus de Valence, observe la ville. “Ici, on respire mieux. En Espagne aussi, on sent la colère monter. L’Europe entière doute. Mais en Europe centrale, ils ont encore le sens du réel. Peut-être qu’ils nous montreront la voie.”

Le Danube reflète les tours modernes et les vieilles pierres. Entre deux mondes, Bratislava semble contenir le secret que l’Ouest a perdu : celui du bon sens.

YV

Illustration : breizh-info.com et DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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