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[Vu ailleurs] Jour de colère à Quimper, par Dominique Jamet

Qui attise la colère bretonne ? » Telle était l’étrange question que posait hier matin, en première page, Le Parisien. Et le quotidien de pointer du doigt, quelques heures avant le début de la grande manifestation de Quimper, les groupuscules d’extrême droite, d’extrême gauche ou indépendantistes qui ne manqueraient pas, selon lui, d’exploiter la situation et de faire basculer un rassemblement pacifique dans l’émeute et, pourquoi pas, dans l’insurrection. Le journal ne sortait-il pas là du domaine de l’information pour entrer, et avec quelles arrière-pensées, dans celui de la voyance ? Sa manchette, en tout cas, n’était pas à la hauteur de l’événement. Que tel ou tel excité, que tel ou tel mouvement soient tentés de récupérer et de faire dégénérer la grande colère des Bretons, on veut bien le croire, mais sans aller chercher midi à quatorze heures pour mieux noyer le poisson avec de l’eau de boudin, les faits suffisent largement à expliquer et à justifier une colère qu’attise la simple réalité.
La fameuse écotaxe n’a été que la goutte de nitroglycérine qui a fait exploser cette colère latente. Voilà une région, et peut-être même pourrait-on dire une province, et peut-être même pourrait-on dire un peuple, laborieuse, dure au travail et dure au mal, que l’on a invitée à s’engager, et qui s’est lancée en effet dans la grande aventure de la modernité, de la compétitivité, de l’Europe, et qui a cru aux belles promesses des beaux messieurs de la classe politique. Voilà une région qui, rompant avec son histoire et sortant de son ornière, est passée d’un catholicisme traditionaliste à la démocratie chrétienne, puis de celle-ci au socialisme. Voilà une région qui a envoyé à l’Assemblée des députés socialistes, au gouvernement des ministres socialistes, et qui a fortement contribué à l’élection d’un président socialiste.
Et quand la conjoncture se retourne, quand l’agroalimentaire français est victorieusement concurrencé par les éleveurs de cochons polonais, par l’industrie laitière allemande, par les conserveries danoises ou norvégiennes ; quand la politique agricole de la France fait faillite en même temps que nos industries déposent le bilan, quand l’Europe – cette chance – devient un carcan, quand on ouvre le Vieux Continent à l’afflux des viandes nord-américaines, quand, en l’espace de quelques mois, les tempêtes économiques et sociales (sans parler de la tempête météorologique) balaient son territoire et emportent comme des fétus des milliers d’emplois qu’elle croyait assurés et installés dans la durée, comment les Bretons n’auraient-ils pas le sentiment de s’être fourvoyés, d’avoir été poussés dans la mauvaise direction et d’être abandonnés en rase campagne par un « pouvoir » central lointain, inerte, impuissant et indifférent ?
Voilà pourquoi, sans qu’il soit nécessaire d’attiser une colère et un écoeurement qui viennent des tripes, ils étaient des dizaines de milliers, derrière leurs drapeaux noir et blanc, à crier dans les rues et sur les quais de Quimper leur déception et leur désespoir, ouvriers et patrons, petit commerce et grande distribution, paysans et pêcheurs, tous ensemble, tous ensemble oui, classes populaires, classes moyennes, professions libérales mêlées, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, en dépit de la misérable tentative de la CGT pour faire diversion, affaiblir le mouvement et affirmer que les intérêts des uns et des autres sont séparés et contradictoires. Voilà pourquoi hier les Bretons avaient troqué le chapeau rond pour le bonnet rouge et juraient, un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus.

Dominique Jamet

Source : Boulevard Voltaire

Photo : BC/Breizh-info.com (tous droits réservés)

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