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Berezina de Sylvain Tesson

Le genre de livre qui n’a rien, de prime abord, pour retenir mon attention. Un « fondu » de Napoléon entreprend de rouler en side-car sur les traces de la Grande armée, en retraite, à l’hiver 1812. De Moscou à Vilnius en prenant par Smolensk. Les passionnés de l’Empire français se transforment vite en monomaniaques. Un célèbre et bon historien russe (Oleg Sokolov) aime à travailler en uniforme de maréchal, façon Ney. Beaucoup d’autres revêtent les uniformes impériaux pour reconstituer, à quelques dizaines mais aussi à quelques milliers des batailles mythiques, Austerlitz, Wagram, Borodino/La Moskowa… Tout cela est souvent très amusant, un brin puéril et ne conduit pas à la littérature.

Tout le risque couru par Sylvain Tesson. Sauf que celui-là n’est pas un « napoléonâtre », plutôt un électron libre qui porte un regard perçant, personnel sur cette incroyable tragédie qui fut, pour les Russes comme pour les Français (et les Européens enrôlés par Napoléon) la campagne de Russie. Cette odyssée ou plutôt cette anabase (le retour à la mer de Xénophon et des 10 000), il l’a faite sur une moto de l’âge soviétique, une Oural fabriquée depuis 1930, à l’identique. Là où passe une Oural, l’Harley Davidson trépasse…

Ce n’est justement pas un « road movie », un « Easy rider » made in Russia mais une chevauchée mécanique dans la Russie d’aujourd’hui. Une aventure voulue pour fuir la médiocrité ambiante : « La France, petit paradis peuplé de gens qui se pensent en enfer, administré par des pères-la-vertu occupés à brider les habitants du parc humain, ne convenait plus à son besoin de liberté. »

Tout le récit est construit en allers et retours, en tête-à-queue entre la retraite de 1812 et les péripéties du voyage. Et tout cela sonne juste, écrit dans un français cursif et inspiré. Simple historien de l’époque napoléonienne, purement livresque, je n’aurai pas dit mieux et même moins juste. Tesson vit dans sa chair l’agonie lente et glacée des grognards. Et il ne comprend pas. Lui, le baroudeur qui s’est aventuré dans les pires fonds de l’Asie, il découvre qu’il n’aurait pas enduré ce qu’ils ont vécu : « Nous fîmes une courte halte sur le bas-côté, il neigeait, la nuit semblait en larmes dans le faisceau des phares. Dieux, me disais-je, en pissant dans le noir, nous autres, pauvres garçons du XXIème siècle, ne sommes-nous pas des nains ? Alanguis dans la mangrove du confort, pouvions-nous comprendre ces spectres de 1812 ? Pouvions-nous vibrer des mêmes élans, accepter les mêmes sacrifices ? Les comprendre seulement ? Les Trente Glorieuses avaient servi à cela : nous aménager des paradis familiers, des bonheurs domestiques, des jouissances privées. Nous permettre d’avoir beaucoup à perdre. Aurions-nous été prêts à abandonner nos Capoue pour forcer le Moujik sous les bulbes ou conquérir les pyramides ? »

Tout est de cette eau. L’alliance, très forte, d’une réflexion sur le temps historique et des incidents, même les plus triviaux, du voyage. Tesson s’inscrit dans la veine picaresque qu’il associe au tragique. Cette chevauchée haletante est parcourue de moments magnifiques. Enthousiasmant !

Jean-Joël Brégeon

Sylvain Tesson, Berezina, éditions Guérin, 19,50 euros.

Crédit photo : DR
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