Jean-Luc Mélenchon n’est pas réputé pour sa langue de bois, c’est tout à son honneur. Son interview donnée à Médiapart le 2 juillet est d’ailleurs sans équivoque, et devrait sans aucun doute achever de détourner ceux qui, pendant un moment, ont cru en lui en tant que nouveau « Georges Marchais ».
Ainsi, ce dernier qualifie d’abord de « vermines », les « populistes » (et donc leurs électeurs de facto) qui montent en Europe (« En Europe, aujourd’hui, la vermine est partout. En France même, madame Le Pen a fait 10 millions de voix à la présidentielle, et elle a encore progressé entre les deux tours… »). Les classes populaires apprécieront.
Mais dans une interview dans laquelle le journaliste lui fait faire le tour de l’actualité, ce dernier, sans doute encore obsédé par son enfance marocaine, explique — et ses propos n’engagent que lui et ceux qui l’écoutent — que l’avenir de la France « est en Méditerranée ». « Il faut sortir du cadre imposé par l’extrême droite, pour que vienne l’heure de construire des ponts avec les pays de la Méditerranée. La vérité, c’est que nous sommes, nous Français, plus proches des Tunisiens, des Marocains ou des Algériens que des Lettons ou des Estoniens. Notre avenir est en Méditerranée et en francophonie. L’Europe allemande n’est pas notre destin. ».
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Quand nostalgie coloniale et ressentiment anti allemand fusionnent chez Jean-Luc Mélenchon, qui reste toutefois lucide sur l’échec de l’Union européenne sous sa forme actuelle : « la construction européenne est entrée dans une impasse irréversible : d’abord, parce que tout reposait jusqu’ici sur le fait que la France et l’Allemagne étaient interdépendantes. Aujourd’hui, la moitié du commerce extérieur de l’Allemagne se fait avec la Chine. Quant à Emmanuel Macron, il a échoué à apporter la moindre réponse à la crise européenne. Dix pays d’Europe du Nord et de l’Est se sont ligués contre ses propositions. Il n’a aucune autorité vis-à-vis de l’Europe de l’Est. Sa reprise des idées du PS sur le budget et le Parlement de la zone euro sont mortes dans les mains d’Angela Merkel. Glyphosates, travailleurs détachés, pacte social européen… il a tout raté ! »
Tout en accusant néanmoins les Européens d’avoir provoqué l’immigration que nous connaissons actuellement alors que les guerres et les crises économiques en Afrique sont surtout le fruit du maintien au pouvoir de dirigeants irresponsables, d’une incapacité des peuples d’Afrique à se libérer d’eux, et du règne de quelques multinationales qui sont sans rapport avec les volontés de l’ouvrier de chez Peugeot à Rennes ou avec le plombier de Pologne.
Sans être un amateur d’Orban, Jean-Luc Mélenchon semble toutefois très partagé (très contradictoire ?) sur la question de l’immigration et des déferlantes de migrants que nous connaissons actuellement : « Il y a beaucoup de personnes à régulariser. Notamment les salariés sans papiers. Et ceux qui relèvent du droit d’asile. Et les réfugiés économiques des guerres et des politiques commerciales de l’Union européenne. Mais je veux dire tout aussi clairement que je n’ai jamais été pour la liberté d’installation, une idée qui ne vient pas de nos rangs dans l’Histoire. Ma position personnelle est assez traditionnelle dans notre famille idéologique. Jaurès a bien montré comment on utilisait la main-d’œuvre importée à bas prix contre les conquêtes sociales, et pourquoi il fallait garantir à tous les travailleurs les mêmes droits. De plus, on ne peut imaginer de “protectionnisme solidaire”, comme le prévoit notre programme, sans frontières. Les frontières sont, dans mon esprit, des points d’appui pour notre projet. Je suis internationaliste et altermondialiste. Pas libre-échangiste et mondialiste. »
Alors que dans toute l’Europe, des citoyens de chaque pays se réveillent pour tenter de former un « bloc anti immigration » (les récentes déclarations de Salvini visant à créer une « Ligue d’Europe des ligues » vont parfaitement dans ce sens), la France Insoumise de Mélenchon elle, lance une autre coalition avec le Bloco portugais et les Espagnols de Podemos, mais aussi l’Alliance rouge-verte au Danemark, le Parti de gauche suédois et l’Alliance de gauche en Finlande, tout en se rapprochant du Sinn-Fein irlandais et du PS hollandais.
Les élections européennes de 2019 devraient apporter un éclairage sur la volonté des peuples, et notamment en France, ou bien à se rapprocher toujours plus de l’Afrique via la Méditerranée, ou bien à se recentrer sur une civilisation multi millénaire nommée l’Europe, dans laquelle Lettons, Finnois et Bretons sont cousins, et se sentent sans doute plus chez eux quand ils vont à Helsinki ou à Rennes que lorsqu’ils voyagent à Tanger ou à Dakar.
Yann Vallerie
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