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Le changement d’heure en Europe: la France tombera-t-elle de Charybde en Scylla ?

On est en droit de trouver quelque peu farfelue la manière dont Jean-Claude Juncker a annoncé l’intention de la Commission européenne de mettre fin au changement d’heure annuel. Venant de lui, la justification par le « devoir de respecter » un vote exprimé par « référendum » pourrait prêter particulièrement à rire. Cependant, le mode burlesque sur lequel la question de l’heure légale est traitée à Bruxelles ne fait pas pour autant de celle-ci un sujet mineur ou frivole. Il pourrait en résulter de graves conséquences pour les Français.

heure

Pas de référendum sur la question

De quoi s’agit-il en réalité ? Cette déclaration d’intention fait suite à une motion du Parlement européen, adoptée à une forte majorité, recommandant l’abrogation du changement d’heure (8 février 2018). Les raisons invoquées en faveur de cette décision sont celles que de multiples organismes, associations et personnalités s’échinaient à faire valoir (dans le désintérêt général des médias et des responsables) depuis que cette disposition a été adoptée en France, en 1973, à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing ; à savoir – en résumé lapidaire – que cette manipulation des pendules a de nombreuses conséquences néfastes pour la santé (particulièrement des enfants), est génératrice d’accidents, nuisible à la productivité du travail ; et enfin (last but not least), qu’elle ne répond plus à l’objectif en vue duquel elle avait été prise : réaliser des économies d’énergie (lesquelles ont, en tout état de cause, toujours été infinitésimales).

Autrement dit, la recommandation du Parlement européen ne fait qu’entériner le constat que la mesure – progressivement généralisée à tous les pays européens – présente plus d’inconvénients que d’avantages, et que le bon sens commande donc de l’abandonner. Il n’est pas indifférent de noter que, il y a quelques années, une très sérieuse commission du Sénat français, se fondant sur un grand nombre d’études et d’expertises nationales et internationales, était parvenue aux mêmes conclusions et avait émis la même recommandation (non reprise par le pouvoir exécutif).

Contrairement à ce que dit M. Juncker, il n’y a jamais eu de « référendum » sur la question. Il s’agit d’une consultation, organisée par internet et par courrier, suite au vote du Parlement. Procédure tout à fait informelle : pas de convocation des électeurs, y participe qui veut, l’information n’est pas envoyée aux intéressés… Dans ces conditions, il est remarquable que plus de 4 millions de citoyens des pays de l’UE aient donné leur avis (ce qui a sans doute impressionné M. Juncker, au point de lui faire abuser du terme de « référendum » !). Une majorité écrasante de « votants » s’est prononcée en faveur du retour à une heure unique toute l’année, ce qui est significatif du désamour des citoyens pour le changement d’heure et ne peut que réjouir tous ceux qui, depuis près d’un demi-siècle, souffrent de cette absurdité pour eux-mêmes et pour leurs concitoyens. Cependant, le tour pris par le processus ne manque pas d’ambiguïtés et de dangers potentiels.

Il est important de souligner que les plus nombreux à avoir participé à la consultation sont les Allemands. Le taux de participation des Français est, en comparaison, très faible. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, personne, dans les médias ou le monde politique, n’ayant jugé bon de les informer de sa tenue. La France a pourtant, beaucoup plus que les autres pays, intérêt à l’abrogation de « l’heure d’été ». Elle se trouve en effet, à cet égard, dans une situation totalement extravagante : alors que les voisins allemands, britanniques, italiens etc. vivent en hiver à l’heure réelle de leur méridien et ne connaissent donc en été qu’une heure de décalage par rapport à cette heure réelle, les Français, quant à eux, subissent un décalage de deux heures. La raison en est que, lorsque Giscard a instauré « l’heure d’été » en 1973 la France était déjà à l’heure d’été … toute l’année (hiver compris) ! La place manque ici pour faire l’historique de cette aberration, héritage de l’occupation allemande des années 1940. On soulignera seulement que les brillants esprits inventeurs de ce deuxième avancement de l’heure légale ne semblent pas s’en être avisés, et d’autre part que les effets néfastes du passage à l’heure d’été sont, en conséquence, nettement plus accentués pour les Français que pour les autres Européens.

Devant l’évidence des faits et la pression de l’opinion, Alain Juppé, lors de son passage à Matignon, s’était engagé sur la voie de l’abrogation de l’heure d’été. Mais il fit machine arrière, arguant que, l’affaire étant devenue européenne, la France ne pouvait décider seule d’abroger son heure d’été. Faux, comme Juncker l’a récemment rappelé en personne : la Commission européenne demande seulement à ses membres adoptant un changement d’heure de le faire le même jour (ce qui ne manque pas de rationalité !). Les pays membres ont toujours été libres de fixer à leur gré leur heure légale d’été…et d’hiver. (L’Espagne et le Portugal, qui avaient un temps suivi la France dans son extravagante avancée de 2 heures n’ont pas manqué de se servir de cette liberté pour revenir en arrière.) On a ici un cas typique de gouvernements se défaussant sur « l’Europe » de décisions que – pour des raisons obscures – ils ne veulent pas prendre eux-mêmes. Ce qui était vrai sous Juppé l’est encore aujourd’hui : le gouvernement français pourrait abolir le changement d’heure dès mars prochain sans être aucunement en infraction. La France se trouverait d’ailleurs en parfaite harmonie avec ce que le reste de l’Europe va adopter puisque son heure dite « d’hiver » est déjà – et ce, depuis la dernière guerre – une heure d’été (heure réelle +1), ce que la plupart des Français ignorent!

A la question du prétendu « référendum » demandant si les citoyens préféraient garder toute l’année l’heure d’hiver ou l’heure d’été, une majorité a, paraît-il, marqué sa préférence pour l’heure d’été. C’est donc cette « heure d’été éternelle » (Juncker dixit) que la Commission veut nous octroyer. Cette solution, disons-le d’emblée, serait un désastre pour la France. Mais avant de développer pourquoi, arrêtons-nous à quelques observations : d’abord, notons que les gens sont beaucoup plus sensibles aux effets nocifs du changement lui-même qu’aux nuisances que l’heure d’été prodigue tout au long des 7 mois pendant lesquels elle s’applique (et plus particulièrement au printemps et à l’automne). C’est qu’ils en ressentent directement les conséquences sur leur sommeil, la température matinale, etc. Or le prochain changement en perspective a lieu dans un mois. C’est donc dans l’appréhension de ce prochain changement qu’ils se sont exprimés. Gageons que si la consultation avait eu lieu en mars, le résultat eût été inverse ! Ensuite, derrière ce désir de prolongement de l’heure « d’été » se cache inconsciemment celui de prolonger la saison dont ladite heure porte le nom.

D’autre part, il faut se souvenir que la majorité des votants sont allemands. Ils ne connaissent donc pas les effets de l’avancement de 2 heures de l’heure officielle que subissent les Français. Pour eux, le maintien de l’heure d’été toute l’année correspondrait à la situation que les Français ont connue avant 1973. Situation qui – même si elle n’a aucune justification rationnelle – est parfaitement tenable.

Etant donnés le « suivisme » auquel la France nous a accoutumés depuis des décennies, les jugements subjectifs évoqués ci-dessus, et surtout le manque total de prise en compte des informations objectives, on peut craindre que se dessine chez nous un courant d’opinion favorable au maintien toute l’année de l’heure d’été actuelle (heure réelle +2h) et que nos dirigeants se croient obligés d’imiter nos voisins allemands si ceux-ci décident dans ce sens. Or cette solution serait dix fois pire que le mal présent. L’avancement de 2h, déjà nuisible en été, ferait connaître en hiver toute l’étendue de sa malfaisance. Peu de gens sont conscients de ce que notre heure officielle d’été est décalée de 2h par rapport à la réalité et sont donc en mesure d’en imaginer les effets en hiver. Ils voient seulement que la nuit tomberait une heure plus tard, sans se représenter les conséquences de ce que cette heure leur serait volée le matin. Cela signifierait qu’ils se lèveraient (en moyenne) à 5h réelles, dans la nuit noire, et que jusqu’à 10h du matin (soit 8 heures réelles) au moins, il faudrait affronter l’obscurité et le froid : éclairages allumés, circulation aux phares ; les écoliers entreraient à l’école à 6h30 (6h en Bretagne) et passeraient la matinée à y attendre le lever du jour, les travaux d’extérieur seraient quasiment impossibles avant 10h, etc. ; et quand ils quitteraient leur travail, il ferait nuit de toute façon… Et, comme mentionné plus haut, seule la France serait à ce régime, les autres pays de notre fuseau horaire ayant opté pour heure réelle + 1.

Au début de ce texte nous avons qualifié de burlesque le traitement de cette question au niveau européen. Pour ce qui concerne son traitement au sein de l’Hexagone il serait plus adéquatement qualifié d’ubuesque. En effet, si nous résumons : la marche vers l’abrogation du changement d’heure va bon train, suite à un prétendu « référendum » des citoyens européens (à qui on n’a jamais demandé leur avis pour l’instaurer). Nos gouvernants attendent l’autorisation des instances de l’UE pour supprimer l’heure d’été, alors que ces dernières n’ont jamais rien édicté en la matière sauf de changer le même jour (ce qui sous-entend le droit de ne pas changer).

Enfin, une décision aberrante risque d’être adoptée sous la pression subjective d’une opinion publique autre que l’opinion française. Cerise sur le gâteau, le président de la Commission ne vient-il pas de faire une deuxième déclaration, dans laquelle il décrète que « l’Europe » va abolir le changement d’heure et adopter l’heure d’été toute l’année… alors qu’une semaine auparavant il rappelait que ce choix relevait des États et non de l’instance bruxelloise. Qui dit mieux ?

Maurice Pergnier

Universitaire, écrivain

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