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Joël SCHUERMANS (Secourir en Zone Hostile) : « Enseigner les gestes qui sauvent ne relève pas de la responsabilité exclusive de l’État » [Interview]

Les Français sont très mal formés au secourisme. Encore plus au secourisme en milieu hostile, dans nos sociétés où le quotidien se fait parfois entre agressions, attaques, attentats, menaces permanentes. C’est notamment pour permettre à chacun se se former chez soi – même si rien ne remplace la formation pratique, en groupe – que Joël Schuermans vient de publier un livre intitulé « Secourir en zone hostile » aux éditions Régi’arms Memorabilia (à commander ici).

Joël Schuermans n’est pas un nouveau venu dans le monde du secourisme, mais bel et bien une personne d’expérience, réelle, concrète, pratique.

Joël SCHUERMANS a en effet passé 12 ans à l’armée. Après des études à l’École d’Infanterie, il a été sous-officier dans les commandos parachutistes et a participé à plusieurs opérations, essentiellement en Afrique. Durant ce temps et les années qui ont suivi, il a pris part à des expéditions en haute montagne tout d’abord, en milieu désertique ensuite. Après plusieurs voyages au long cours en Asie et expériences prolongées en forêt, il a repris des études à l’étranger pour boucler un diplôme en sciences paramédicales, ainsi que divers modules complémentaires traitant de médecine préhospitalière en contexte tactique, ainsi que pour les régions isolées et austères. Il exerce aujourd’hui en tant que medic et travaille pour des missions et expéditions en Afrique.

Son livre est un guide est destiné à toute personne qui possède peu ou pas de connaissances sur les premiers soins, mais également aux professionnels qui souhaitent une source complémentaire, aux formateurs de premiers secours qui souhaitent intégrer ces notions dans leurs programmes. Au final, à toute personne qui souhaite se préparer à devancer les difficultés le jour où rien ne se passe comme prévu et qu’il faille ne compter que sur soi-même.

Nous l’avons interrogé, sur son ouvrage, sur le secourisme, sur la formation en France à ce sujet, sur les dangers dans nos sociétés. Passionnant.

Breizh-info.com : Tout d’abord, comment définissez-vous un milieu hostile ? Nos sociétés contiennent-elles aujourd’hui des milieux hostiles ?

Joël SCHUERMANS (Secourir en Zone Hostile) : D’une manière générale et adaptée au contexte du livre, je définirais une situation hostile par une situation où l’intégrité physique des personnes est menacée par d’autres. L’évolution des sociétés – l’actualité, les tendances et analyses de spécialistes – suggère qu’il serait impératif, en tant que citoyen averti et/ou professionnel actif dans les lieux publics, de se préparer à devoir, un jour, porter secours dans un contexte moins permissif que lors d’un accident du quotidien. Certains événements violents, en nombre croissant ces dernières années, surviennent en contexte civil et transforment des lieux publics civils en zone hostile. En effet, les attentats, explosions kamikazes, attaques au couteau, au véhicule-bélier, fusillades ou un mélange de tout ça transforment l’espace d’un plus ou moins long instant nos villes en champ de bataille. Il s’agit dès lors d’être capable d’adapter nos procédures et de basculer provisoirement, mais rapidement en mode « tactique », puisque durant quelques minutes ou heures, c’est de cela qu’il s’agit alors.

Breizh-info.com : Qu’avez-vous voulu transmettre avec ce guide ?

Joël SCHUERMANS (Secourir en Zone Hostile) : Il existe de nombreux livres qui traitent de premiers soins dans les contextes traditionnels – domestique, sportif ou au travail. Cependant, peu ou pas d’ouvrage traite de ce qu’il y aurait lieu de faire pour sauver une vie dans les contextes dégradés, c’est-à-dire quand votre sécurité est menacée, quand les ressources manquent, quand les délais d’intervention des secours professionnels sont allongés, quand la nature des blessures ou le nombre de blessés diffèrent des cas classiques. Les premiers soins en zone hostile ne sont pas une nouvelle manière d’apporter les premiers soins à une ou plusieurs victimes, c’est plutôt un complément d’information, des considérations spécifiques, des outils appropriés et une chronologie d’actions adaptée. L’idée restant cependant toujours la même : sauver des vies en évitant d’autres victimes, dont soi-même.

J’ai conçu un livre que j’aurais voulu trouver quand j’ai commencé à m’intéresser à cette thématique. Un langage simple, mais pas simpliste, un contenu pragmatique, mais complet. Un livre qui soit à la fois une contextualisation de la zone hostile, comment y survivre, puis comment s’y traiter ou traiter les autres. Comment s’y retrouver dans le matériel, que faut-il vraiment ? Puis, je voulais y consacrer une large partie (21 pages) à l’improvisation des équipements, car les retours d’expériences sur les évènements passés sont clairs sur ce point : le jour où tout bascule, les équipements seront soit indisponibles, soit insuffisants. Improviser ne signifie pas ne pas savoir et agir en inventant une pseudo action salvatrice, mais plutôt maîtriser le savoir à tel point que si la ressource idéale n’existe pas, on peut atteindre un bon résultat avec une alternative.

Breizh-info.com : On se rend compte, sur le terrain, que les citoyens ne sont pas formés du tout aux premiers secours (j’ai encore en tête l’exemple d’un homme qui tenait sa femme debout pendant 10 minutes alors qu’elle était en train de gasper…). N’est-ce pas finalement du devoir de l’Éducation nationale de faire le travail que vous décrivez dans votre livre ?

Joël SCHUERMANS (Secourir en Zone Hostile) : Je ne pense pas que la responsabilité d’enseigner les gestes qui sauvent soit une responsabilité exclusive de l’État. Et ce sera toujours moins vrai à l’avenir avec la fin de l’État-providence. On le voit par exemple dans les manifestations des gilets jaunes où les premiers soins sont apportés par des citoyens organisés et non pas par les services de l’État. Il est temps selon moi de se réapproprier certaines compétences et celles liées à la capacité de pouvoir se secourir ou secourir les siens, voire autrui en font partie. Porter assistance est un devoir légal, secourir est un acte citoyen ! Le service minimum exigé par la loi étant de faire appel aux secours professionnels au moyen des numéros d’urgence nationaux ou régionaux. Avouons qu’il y a moyen de faire mieux, d’être davantage solidaire et de souhaiter que le jour où un accident sérieux nous arrive ou à l’un des nôtres, que les témoins éventuels fassent un peu plus que passer un appel. Sur certaines blessures traumatiques sérieuses, les premières minutes seront décisives et si rien n’est fait par le blessé ou un témoin direct, il y a de très fortes probabilités que ce blessé ne voit jamais arriver les secours professionnels. Au su de ce fait de base, chaque citoyen devrait se mettre à acquérir ces savoirs dès aujourd’hui !

Breizh-info.com : Quels sont les gestes de secours que tout un chacun devrait maîtriser ? Quels sont ceux qu’il faut apprendre prioritairement à nos enfants, dès le plus jeune âge ?

Joël SCHUERMANS (Secourir en Zone Hostile) : Statistiquement, on sait qu’un nombre important de blessés graves (+/- 20%) meurt avant même d’avoir rejoint l’hôpital, augmenter le nombre de personnes compétentes dans les premiers secours peut faire changer ces chiffres.

Avec des gestes simples, quelques connaissances et idéalement un peu d’équipement, le témoin – voire la victime elle-même – d’un accident, d’une attaque, d’une explosion, peut se sauver la vie ou celle de son conjoint, de ses enfants, d’amis ou d’inconnus en faisant le pont entre l’instant X – l’accident, la blessure – et la relève par des professionnels de la santé. Une intervention judicieuse et rapide peut changer la donne d’une circonstance. Imaginons une hémorragie massive à la cuisse suite à un coup de feu, le contrôle complet de ce saignement massif endéans les quelques minutes par un garrot efficace fera la différence entre la vie et la mort pour cette victime.

Pour les jeunes enfants, être capable de reconnaître que quelque chose de grave est en train d’arriver à un adulte et comment appeler les secours professionnels, où trouver le kit de premiers secours de ses parents et être sensibilisé à la question de l’urgence de réaction devrait être un minimum. Ensuite, idéalement, pouvoir placer un autre enfant ou un adulte en PLS et reconnaître un garrot pour pouvoir le sortir du kit et le tendre à son parent pour que celui-ci se le place ou le place sur un tiers serait un plus.

Pour les adolescents et adultes, le minimum à acquérir, selon moi, est le contenu d’un PSC ou d’un BLS (Basic Life Support) — comment secourir les personnes inconscientes (avec ou sans respiration), ainsi que celles dont les voies respiratoires sont obstruées. Ensuite, une seconde couche de connaissances indispensables serait la maîtrise des premiers soins « tactiques » ou « en zone hostile » qui consistent à gérer les plaies pénétrantes tout en tenant compte de la situation sécuritaire/tactique. Ces gestes sont peu nombreux et faciles à acquérir. Ce qui l’est moins, c’est la faculté de les appliquer dans des situations chaotiques d’effondrement momentané de la normalité.

L’auteur en signature lors du récent Salon Survival&Outdoor

Breizh-info.com : Il y’a énormément de matériel (et de boutiques spécialisées et dédiées au secourisme). Comment faire le tri ? Sélectionner uniquement ce qui est utile et nécessaire pour soi, pour s’équiper ?

Joël SCHUERMANS (Secourir en Zone Hostile) : Posséder les connaissances, mais aussi l’entraînement, pour réagir en cas d’événement hostile sont indispensables. Mais, il est vrai que posséder à portée de main un minimum d’équipement le jour où c’est nécessaire est un net plus et permettra certainement aussi de faire la différence. Du matériel manufacturé sera toujours plus rapide à mettre en œuvre que du matériel improvisé et souvent plus efficace.

L’offre de matériel médical pour les premiers soins est pléthorique et en perpétuelle évolution. Devant cette abondance, il est important de se fier à du matériel éprouvé et validé par des organismes crédibles (type Co-TCCC), des professionnels reconnus et des retours d’expériences réelles. Emporter une quantité démesurée de matériel afin de pouvoir faire face à tous les problèmes médicaux possibles est irréaliste. Emporter du matériel dont on ne possède pas les compétences pour les mettre en œuvre est inutile. L’idée est d’emporter un kit de premiers soins bien pensé et éprouvé, mais également pratique et réaliste. Une trousse médicale destinée aux combattants sera certainement très complète, mais jamais emportée, car trop volumineuse et lourde. Un bon kit pour un citoyen peu ou pas formé et permettant de traiter 1 à 2 personnes en contexte hostile coûte entre 50 et 120 euros. Même s’il s’agit d’un investissement conséquent, le matériel qui le compose est peu concerné par la péremption, mais surtout peut sauver une ou des vies, dont la vôtre. Le kit proposé par la société Celops (www.celops.org) me semble un très bon kit pour citoyen averti, car il a été pensé pour être le bon compromis entre ce qui fonctionne sur les champs de bataille et qui est transposable/transportable en contexte civil pour des citoyens dans leur quotidien. Il est conditionné de manière très compacte, ce qui permet un encombrement minimum avec un maximum d’efficacité et de pragmatisme.

Dans tous les cas, votre kit devrait contenir à minima un bon garrot, un pansement occlusif pour le thorax, une gaze tissée de plus de 2,5m et une couverture isotherme, ainsi que des gants en nitrile et surtout il devrait être toujours emporté partout (à la ceinture, à la cheville, dans un sac à main, à dos…). Le jour où on aura besoin de son contenu ce sera tout de suite et probablement dans une situation chaotique.

Propos recueillis par YV.

Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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