Grandeur et décadence de l’ordre des Templiers. Tel est le nom du livre rédigé par Dominique Labarrière et publié chez Pygmalion.
Qui n’a jamais entendu parler des Templiers, cet ordre militaire et religieux, tellement novateur dans la société médiévale ? Nous pourrions considérer que tout a déjà été dit, et pourtant… Malgré la qualité des recherches effectuées par les historiens, beaucoup de zones d’ombre demeurent autour de sa création et de son histoire. Une chose est certaine, la dimension politique est bel et bien présente d’emblée, facilitant grandement la reconnaissance officielle de l’ordre. Officialisation assortie de privilèges considérables qui devaient rapidement provoquer les plus vives jalousies et les plus violentes critiques. En peu de temps, l’ordre est devenu puissant. Très puissant. Riche. Très riche.
Mais tant de puissance et de richesses devaient à terme se retourner contre l’ordre même. Au terme d’une procédure de plusieurs années, chef-d’œuvre de rouerie et de cynisme, en 1312, lors du concile de Vienne, le pape décrète la suppression de l’ordre. Deux années plus tard, en 1314, son dernier grand maître, Jacques de Molay, périt sur le bûcher à Paris sur ordre du roi de France. De cela, Maurice Druon a tiré une fresque passionnante, incroyablement romanesque, une fiction pleine d’invention (Les Rois maudits). Mais qu’en est-il de la réalité ?
Pour le savoir, il faut lire l’ouvrage de Dominique Labarrière, qui a répondu à nos questions.
Grandeur et décadence de l’ordre des Templiers – Dominique Labarrière – Pygmalion – 20,90 €
Breizh-info.com : Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Dominique Labarrière : J’étais professeur de philosophie, passionné d’histoire. J’ai quitté l’enseignement pour devenir journaliste. Je m’intéresse aux analyses historiques. Je ne suis pas historien, mais je m’intéresse à savoir pourquoi les choses se sont passées comme cela, et pas autrement.
Les Templiers, c’est un sujet qui m’intéresse de longue date. Un de mes oncles maternels avait écrit des livres sur les Templiers, me bassinait avec ces histoires (rires), et c’est resté.
Breizh-info.com : Vous publiez le livre Grandeur et décadence de l’ordre des Templiers. Succinctement, pourriez-vous rappeler ce qu’était l’ordre des Templiers, sa genèse, ses missions, ses fondements ?
Dominique Labarrière : C’est un ordre qui a duré deux siècles. Il commence à Jérusalem aux alentours de 1010-1020, au moment où la chrétienté veut retrouver le chemin du tombeau du Christ, et pouvoir aller librement en pèlerinage dessus. Il y a besoin d’une milice pour protéger les pèlerins, et on invente cet ordre, totalement nouveau, à la fois religieux et militaire. Ce sera le premier (suivi ensuite par les Hospitaliers, les Chevalier teutoniques…)
C’est une révolution. Car être armé, cela signifie tuer. Et pourtant le cinquième commandement indique « tu ne tueras point ». C’est donc vraiment une révolution. Il y a la protection des lieux saints, mais aussi une volonté pontificale de se donner les moyens armés, de tenir, ici, chez nous, l’Occident, sous une autorité de plus en plus grande.
Cela coïncide avec la réforme grégorienne, reprise en main de l’Église, mais permet aussi d’exercer de plus en plus de pouvoir dans les affaires civiles. Cela durera jusqu’au renversement des Templiers par Philippe Le Bel.
Les Templiers furent une véritable révolution, car ordre religieux, militaire, avec une destination d’emblée politique afin de constituer le bras armé de la papauté.
Breizh-info.com : Parlez-nous des 72 règles primitives de l’ordre du Temple, que vous évoquez en annexe ? C’était en effet très cadré… on pense notamment à l’interdiction d’avoir une femme.
Dominique Labarrière : Aujourd’hui, certaines font sourire. Pour nous, les Templiers ce sont les chevaliers avec une grande croix, un manteau blanc… alors qu’il y a une interdiction pour certains du port de ce manteau blanc. Ils n’ont pas le droit d’avoir de pièce de monnaie sur eux, de recevoir du courrier, d’avoir des cadeaux. Le grand maître a tous les pouvoirs sur les chevaliers de l’ordre du Temple. Ils se confessent entre eux.
Ils n’ont de compte à rendre qu’au pape ; ni aux évêques, ni aux princes, ni aux rois. Ce qu’ils ne font d’ailleurs jamais, comme on le verra au moment de leur procès, puisque le pape en sera à demander la règle dont nous parlons, qu’il n’avait pas.
Tout est régi : les saintes Écritures, les vêtements qu’il faut porter, ou pas, ceux à porter en hiver, en été. On n’a pas le droit de faire galoper son cheval en dehors de certaines circonstances, le port de la fourrure est codifié. Que faire des vêtements usagers ? On les donner aux écuyers, parfois aux pauvres. Tout est codifié.
Au sujet des femmes, il ne faut pas les embrasser, même si ce sont des parentes. Il est écrit que « La chevalerie de Christ fuit le baiser des femmes par qui les hommes sont souvent mis en péril ».
Est-ce que tout cela a été respecté ? C’est autre chose…
Breizh-info.com : Comment est-ce qu’on devient templier ?
Dominique Labarrière : Au départ ce sont tous des nobles. Souvent, d’assez bonne noblesse. Quand ils deviennent templiers, ils abandonnent tous leurs biens, toutes leurs possessions, parfois immenses, à l’ordre. On le devient un peu par cooptation. On est intronisé templier en quelque sorte. Cela va faire beaucoup de bruit d’ailleurs, car beaucoup de rumeurs au sujet de cette intronisation ont été écrites ou dites.
On a parlé de baisers sur la bouche, sur l’anus, crachats sur la représentation du Christ (ou reniement par trois fois), ce que l’on retrouvera d’ailleurs dans l’acte d’accusation.
Il y a les chevaliers templiers, mais il y a aussi leurs valets, leurs domestiques, les turcopoles (combattants auxiliaires, archers)… il y a tout un monde dans l’ordre du Temple.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui, finalement, a provoqué leur chute ?
Dominique Labarrière : Toute une série de raisons. Il y a une dimension politique dans l’ordre du Temple. Ils étaient présents en Orient, à Jérusalem. Mais au XIIIe siècle, on perd tous les lieux saints. Les gens se posent alors la question de savoir pourquoi entretenir une milice armée, pour défendre des lieux dont nous ne sommes plus propriétaires…
Entre-temps, ce bras armé du pape est devenu une extraordinaire puissance financière. Les Templiers, l’ordre s’est enrichi prodigieusement. Ils ont pratiqué toutes les affaires de banque à très haut niveau (avec rois, princes…). Mais aussi une forte puissance diplomatique. Mais bien qu’ils soient tout cela, ils ne doivent de compte qu’au pape. Ils échappent à toute autre autorité.
Leur légitimité militaire est devenue faiblarde quand on a perdu les lieux saints. Et en même temps, il y a un personnage, Philippe le Bel, qui veut absolument exercer le pouvoir temporel dans son royaume, et qui en a marre de l’influence des papes, notamment celle de Boniface VIII.
Donc Philippe le Bel, pour des raisons politiques (pas forcément financières, l’ordre étant en déclin), va mettre fin à cela. S’il avait voulu simplement leur voler l’argent, il aurait fait comme il l’avait fait avec les Juifs, avec les banquiers lombards… Là il n’a pas fait cela, il a voulu une procédure longue, pour justifier cela politiquement.
Tout, dans l’histoire des Templiers, relève de l’analyse politique du moment. Ce qui a précipité leur chute, c’est qu’ils ne sont plus en phase, du tout, avec l’évolution de l’histoire à ce moment-là. Ils sont devenus obsolètes.
Breizh-info.com : Pourquoi les Templiers fascinent-ils toujours autant aujourd’hui ?
Dominique Labarrière : C’est extraordinaire. Les Templiers, c’est commode pour tout le monde. Si vous êtes très chrétien, vous direz qu’ils ont été victimes de leur foi, que Philippe le Bel a voulu leur prendre leur trésor. Pour d’autres raisons, vous pouvez trouver en eux des victimes de l’absolutisme monarchique.
Ils sont entrés dans l’histoire, avec les bûchers des templiers (même si tous n’ont pas été torturés ou tués), comme des victimes. Puis il y a eu un romantisme à une certaine époque autour de l’ordre des Templiers, avec toutes les élucubrations sur le trésor (l’or caché, le spirituel en tant que détenteurs du secret du Graal…). Une tradition ésotérique, qui ne repose pas sur grand-chose, s’est dressée après eux.
Il y a l’aspect victime, mais il y a aussi l’épopée (ils ont été magnifiques dans certains combats en Orient), et le prestige dont ils jouissaient avant les 20 ou 30 dernières années, durant lesquelles ils étaient détestés.
Le romantisme templier continue aujourd’hui…
Breizh-info.com : Pourquoi dit-on que les francs-maçons auraient prolongé l’ordre des Templiers, alors même que la religion les sépare ?
Dominique Labarrière : À l’origine la franc-maçonnerie, à sa fondation, a le culte du grand architecte de l’Univers — j’en parle dans mon livre. Mais ce n’est pas une filiation directe. Ils se sont juste servis, dans leurs rites, de quelques éléments dans l’intronisation des templiers. Il y a des emprunts, des inspirations et une mythologie.
Breizh-info.com : Y a-t-il, au cinéma notamment, des films ou séries que vous conseilleriez sur les Templiers ?
Dominique Labarrière : Il y a Arn, chevalier du Temple. C’est celui qui me semble être le plus intéressant. Il y a tellement de foutaises sur les Templiers… Il y a aussi Les Rois maudits, mais là nous sommes à la fin des Templiers. Mais il faut absolument le voir. La série des années 60 comme celle de Josée Dayan.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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