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Georges Ayache (Les douze piliers d’Israël) : « Il faudrait redonner un second souffle au sionisme »

Malgré la distance qui nous sépare du Proche-Orient, notre actualité est très souvent marquée par des informations à propos du conflit israélo-palestinien, notamment du fait d’une importante communauté arabe en France, qui s’identifie parfois aux Palestiniens (sans toutefois pousser l’identification et le soutien jusqu’à partir en masse là-bas, comme le font parfois à l’inverse les soutiens d’Israël qui effectuent leur service militaire dans l’armée de Tsahal).

Il nous est toutefois difficile, pour nous Européens, de comprendre ce conflit et tous ces enjeux, notamment par détachement, mais aussi par méconnaissance (ou par surplus d’information difficiles à trier). Le livre de Georges Ayache, intitulé Les douze piliers d’Israël , et qui vient de sortir aux éditions Perrin, fait partie de ces pièces historiques importantes pour essayer de comprendre, en l’occurrence ici, ce qui a poussé à la création de l’État d’Israël et surtout à son combat acharné, féroce, pour sa survie.

Voici comment le livre — qui est une biographie de 12 personnages clés de l’histoire d’Israël — est présenté par son éditeur :

Peut-être parce que sa vocation est d’être le refuge ultime d’un peuple persécuté durant des siècles, parce qu’il est aussi le premier État moderne dont la naissance procède non de la force militaire ou de l’arbitraire politique, mais d’une volonté clairement exprimée par la communauté internationale, Israël n’est pas un État comme les autres. 
Sa naissance et son développement, son épanouissement — sa survie, aussi — reposent sur la condition et la volonté d’hommes et de femmes dont Georges Ayache brosse ici le portrait avec talent. Douze personnalités, de Theodore Herzl le « visionnaire » à Shimon Peres le « survivant » en passant par Ben Gourion et Golda Meir, et autant de piliers d’Israël qui parvinrent à s’imposer avec la foi parfois utopique des précurseurs, mais toujours aussi la détermination implacable des pionniers bâtisseurs. 

Pour en parler, nous nous sommes entretenus avec Georges Ayache, avocat possédant une formation d’historien et un doctorat de sciences politiques. Il a été magistrat, puis diplomate (au cabinet de Dominique de Villepin), a travaillé dans le privé puis au Conseil d’État. Il a déjà écrit plusieurs ouvrages remarqués dont, chez Perrin, Kennedy, Nixon : les meilleurs ennemisLes Présidents des États-Unis et Joe Kennedy.

Un entretien pour comprendre et décrypter, au sujet d’une question particulièrement sensible dans notre monde moderne.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire Les douze piliers d’Israël ? Doit-on y voir une référence avec les douze apôtres de Jésus ?

Georges Ayache : Sur le projet en lui-même, j’avais écrit un livre sur la naissance d’Israël, aux éditions du Rocher. Cela retraçait l’épopée d’Herzl jusqu’au plan de partage de la Palestine puis à la création d’Israël en 1948. Mon éditeur, Perrin, m’a proposé de prolonger cela à travers une série de personnages.

Les 12 n’ont aucun rapport avec les apôtres, mais avec le livre de T.E. Lawrence (Les Sept Piliers de la sagesse). Douze, c’est mon éditeur qui en a fixé le nombre, j’en avais plus au départ.

Breizh-info.com : Vous écrivez qu’en réalité, l’État d’Israël n’est pas né d’une volonté collective, mais de volontés individuelles et de personnalités exceptionnelles. Expliquez-nous.

Georges Ayache : Je me détache complètement du matérialisme historique cher aux marxistes, que j’ai bien connu comme universitaire, en ce que ce seraient les masses qui feraient l’histoire. S’agissant du sionisme, ce n’est pas le cas. La masse des Juifs de la diaspora et en Europe ne pensait pas du tout au retour sur la terre des ancêtres. On évoquait bien rituellement « l’an prochain à Jérusalem », mais c’était de l’incantation spirituelle. Rien de concret sur le plan politique.

Il a fallu que ce soit des personnalités, parfois isolées, parfois marginalisées, qui mettent sur le devant de la scène cette idée qui est devenue, petit à petit, majoritaire. Il aura fallu du temps. Les Juifs religieux ne voulaient pas de la création d’un État (ils attendaient le Messie), et les juifs intégrés d’Europe occidentale voulaient rester intégrés et écartaient toute idée d’État juif où que ce soit.

Breizh-info.com : Dans votre introduction, vous vilipendez ces juifs qui auraient la haine d’eux-mêmes. Qui et où sont-ils ? 

Georges Ayache : Je ne vilipende pas. Je constate simplement qu’il s’agit de juifs qui renient leur identité. Cette haine de soi provient de là. La logique de l’intégration fait qu’ils se sentent obligés de renier cette part en eux qui à leurs yeux serait un obstacle à leur intégration.

Cette haine de soi, ils n’en sont pas les seuls responsables. Dans certains pays d’accueil, on les y incite aussi. Ce genre de chose à la vie longue, et pas seulement en France. Aux États-Unis, il y a la fameuse phrase de Kissinger à Golda Meir : « Je suis d’abord Américain, ensuite secrétaire d’État, et enfin Juif ». Ce qui voulait bien signifier l’ordre de priorité. Alors qu’il n’y avait aucun problème entre le fait de se sentir Juif et Américain. Juif ne voulait pas dire sioniste ni suppôt de l’État d’Israël.

Breizh-info.com : Qu’est-ce que le sionisme ? Est-il indissociable du fait d’être juif ? Qu’est-ce que l’antisionisme ? Le différenciez-vous de l’antisémitisme ?

Georges Ayache : Le sionisme est la théorie du retour des Juifs sur la terre ancestrale. Elle est née dans les années 1880, puis reprise par Herzl. C’est le retour sur le mont Sion, à Jérusalem. C’est tout. 

L’antisionisme, c’est la théorie qui s’oppose à ce retour, donc à l’existence de l’État d’Israël.

L’antisémitisme, qu’il faudrait mieux qualifier comme l’ont déjà fait certains de judéophobie (les Arabes aussi sont des Sémites), c’est différent. Là, c’est la haine des Juifs.

Le problème actuel, c’est qu’un mélange subtil des deux se fait. Il est difficile d’attaquer frontalement et légalement (puisque c’est condamnable) les Juifs en tant que tels, on part de l’antisionisme. C’est le cheval de Troie qui permet d’aller au fond des choses. Il y a bien sûr des antisionistes qui ne sont pas anti-juifs, ça, c’est vrai. Ils contestent certains aspects de la politique d’Israël.

Mais je le répète, l’antisionisme, c’est le refus de laisser les Juifs s’installer sur leur terre. Maintenant on peut très bien critiquer la politique d’Israël, sans remettre en cause sa légitimité.

Breizh-info.com : Mais n’y a-t-il pas une forme de schizophrénie alors, notamment chez des Juifs qui se proclament antisionistes ?

Georges Ayache : Il y en a toujours eu. À l’origine, les religieux, qui ne voulaient pas entendre parler d’un État politique concret (et qui ont maintenant pignon sur rue en Israël). Puis vous avez les gens de gauche et d’extrême gauche (certains) qui étaient contre la création d’un État à dominante juive (ils voulaient bien d’un état binational, ce qui signifie qu’à terme ils acceptaient la disparition d’Israël puisque la pression démographique aurait fait le travail).

Breizh-info.com : Vous avez parlé de l’illégalité de l’antisémitisme en France. Vous qui êtes avocat, quelle est votre position justement sur les lois mémorielles, les condamnations pénales, de révisionnistes, de négationnistes, y compris à de la prison ?

Georges Ayache : Les lois mémorielles ont fait beaucoup de mal. On ne trafique pas l’histoire à coup de lois et de législations. Il faut la laisser aux historiens. Il y en a des plus ou moins sérieux, des plus ou moins engagés, mais il faut laisser faire. La raison l’emporte au bout d’un certain temps. Ce n’est pas à force d’imposer un carcan juridique à des écrits qu’on arrivera à les vaincre.

Je suis fondamentalement contre ces lois.

Breizh-info.com : Vous dites qu’Herzl fût un Moïse des temps modernes. N’y allez-vous pas un peu fort ?

Georges Ayache : La comparaison, au-delà de la différence d’époque, s’impose. Car Moïse était un prophète qui a amené son peuple à la porte de la terre promise, mourant avant cette réalisation. Herzl s’est battu pour imposer l’idée sioniste ; qui n’était qu’un rêve auparavant. Avec son talent de journaliste, il a imposé cela à coup de communication, de formules, de gesticulation, qui ont fait que le sionisme est devenu une réalité tangible. Il est mort avant la création d’Israël, mais son côté prophétique apparaîtra dès le premier congrès sioniste de 1897 quand il disait que l’histoire lui donnerait raison, dans 5 ans peut-être, dans 50 ans sûrement. Et bien 50 ans après, en 1948, création de l’État d’Israël. Presque à l’année près.

Breizh-info.com : Quelles furent les relations de Ben Gourion, avec les nazis, notamment avant la guerre ? Pourriez-vous nous expliquer ce qu’il en est de l’Accord Haavara qui fait tant parler sur la toile ?

Georges Ayache : Sur Ben Gourion, c’est le père fondateur d’Israël. Il n’y aurait jamais eu d’État sans lui. Il a imposé cette idée en 1942. Il a fait en sorte de proclamer l’indépendance en 1948, mais aussi de faire que l’État survive. Il crée l’armée, les services de sécurité. Parfois seul contre tous. Quand il impose l’idée d’une armée moderne, tout le monde se moque de lui au départ.

Sur la Haavara, ce sont des accords qui avaient commencé à être négociés avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir (1932). La situation des Juifs n’était pas encore menacée, mais précaire, déjà, et l’idée était de négocier le départ des Juifs vers la Palestine. Le mandat britannique datait de 1922, et ils avaient une politique restrictive d’implantation des Juifs en Palestine. Ils ne l’acceptaient que s’ils pouvaient se prévaloir d’un capital bancaire consistant.

D’où l’idée de Ben Gourion de faire partir des Juifs d’Allemagne avec une partie de leur capital, sous forme de bons, après avoir acquitté l’impôt à l’État allemand.

Quand Hitler arrive au pouvoir, cela change les perspectives. La politique de Haavara ne faiblit pas, elle s’intensifie. Il faut en effet commencer à sauver des Juifs. Cela n’a pas été une politique de connivence, de complot comme certains détracteurs en font aujourd’hui l’utilisation politique, mais un moyen de sauver des Juifs. Un moyen discuté jusqu’en Palestine. Il y a eu de grands débats à l’époque à ce sujet.

L’homme qui a été chargé de ces négociations a été assassiné en juin 1933 à Tel-Aviv sur une plage, et on n’a jamais retrouvé le meurtrier (en relation avec cette politique de Haavara ?).

Breizh-info.com : Quel héritage ont laissé ces douze piliers à Israël ? Comment sont-ils enseignés dans les écoles là bas ? 

Georges Ayache : C’est ambigu. Il n’y a pas d’insistance des autorités pédagogiques locales pour faire apprendre qui étaient ces gens-là. Ils les connaissent bien sûr. Ben Gourion est connu, Herzl aussi. Mais certains personnages sont inconnus (Isser Harel, Abba Ebban…). On connaît les chefs militaires comme Sharon, Dayan. Mais c’est indirect. Il n’y a pas de cours d’instruction civique sur ceux qui ont fondé l’État. On sait que ça s’est passé, c’est tout.

On observe en Israël, comme ailleurs en Occident, un certain détachement des jeunes vis-à-vis de l’histoire.

On enseigne l’histoire du peuple juif, l’histoire d’Israël, mais dans une optique très pro-gouvernementale (les travaillistes ont façonné l’histoire durant leurs années au pouvoir jusqu’en 1977). Des personnes qui n’étaient pas politiquement correctes ont été mises à l’écart. L’histoire a été édulcorée. La jeune génération respecte, mais s’en fiche un peu.

Même la Shoah, elle n’a jamais été enseignée avant les années 60. Il a fallu le procès Eichmann pour replacer la Shoah au centre de l’histoire du peuple juif.

Breizh-info.com : Pensez-vous que deux États, palestinien d’un côté, israélien de l’autre, puissent vivre dans la paix, à l’avenir ? N’est-ce pas d’un treizième pilier, actuel, dont Israël a besoin pour assurer sa survie, alors même que démographiquement, les peuples qui l’entourent sont nettement plus nombreux ?

Georges Ayache : La solution de deux États était la plus viable. Elle aurait dû s’imposer dès 1947 comme le prévoyait le plan de partage. C’était équitable, mais les Arabes ont refusé. Comme disait Abba Eban, « les Arabes n’ont jamais manqué l’occasion de manquer l’occasion ». Ils auraient eu à l’époque un État incommensurablement plus grand qu’ils n’auront jamais maintenant.

Leur calcul stratégique a été erroné, pour ne pas dire autre chose.

Mais pour Israël, deux États, c’est obligatoire. Il n’est pas question de cohabiter. Déjà, on a une population arabe israélienne très importante, qui grandit démographiquement et qui va poser problème. Donc les Palestiniens qui sont autour, pas question qu’ils puissent rentrer dans un État unique, car cela voudrait dire l’extinction total d’Israël, ce que recherchent les Palestiniens manifestement.

Depuis quelques années, la politique d’Israël complique le jeu, notamment sous Netanyahu. Un jeu déjà compliqué avec la géographie (Gaza d’un côté, Cisjordanie de l’autre). Même au sein de la Cisjordanie, on a un puzzle inextricable. Même s’il est possible de virer 10 000 colons, en virer un million ce sera autre chose… On s’achemine vers un seul État. Ou un État avec des discriminations de statut, mais ce n’est pas viable sur la longue durée.

Dans la logique de ce que j’ai écrit, il faudrait effectivement un treizième pilier pour redonner un second souffle au sionisme. Tous ces gens dont j’ai décrit l’itinéraire, la personnalité, avaient en commun d’avoir une vision, cohérente. Actuellement, plus personne n’en a. Des politiques gèrent, ont une stratégie internationale, mais pas de vision de long terme.

Deux occasions ont été ratées, avec Rabin d’abord (à cause de son assassinat) et avec Sharon ensuite, qui aurait imposé quelque chose avec sa légitimité militaire. Il avait une vision, c’était comme De Gaulle ici, mais la maladie l’a emporté.

Breizh-info.com : Vous êtes du coup pessimiste sur l’avenir d’Israël ?

Non, je ne le suis pas. Le pire n’est jamais sûr en histoire. Il y a toujours des accommodements ici ou là. Ce qui paraît impossible aujourd’hui peut devenir réaliste demain. Mais la situation est compliquée, de plus en plus. Israël n’a pas non plus su convaincre les Palestiniens de saisir l’occasion. Arafat a complètement, de son temps, manœuvré, s’est engagé sans s’engager, a louvoyé. Il a compris qu’il en irait de sa vie s’il s’engageait trop….

Propos recueillis par YV

Crédit photos : DR
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