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D’une peste l’autre. Londres, 1665

La Grande Peste frappa Londres en 1665. En fait, comme toutes les grandes villes, Londres avait l’habitude de ces poussées pesteuses. Avec pour vecteur, les rats et leurs puces. Elle avait sévi en 1592, 1609, 1625, 1636. Avec ses faubourgs, Londres comptait 750 000 habitants, bien entassés. La peste de 1665 tua autour de 20 % des Londoniens.

Daniel de Foe en tira un Journal de l’année de la peste (1722) qui parlait autant de la peste de Marseille (1720). Une description clinique remarquable.

Samuel Pepys (1633-1703). Un témoin exceptionnel de la Grande peste qui ravagea Londres

Le véritable témoin est Samuel Pepys. Un journal tenu de 1660 à 1669. Pepys (1633-1703) est un immense diariste. Son mode d’écriture, tachygraphique (l’ancêtre de la sténographie) lui valut l’oubli. En 1976 seulement parut l’édition intégrale non expurgée (traduction française chez Bouquins, 1994).

Qui est Pepys ? Un pur londonien, issu du monde de la boutique. Son père, tailleur réputé, en fit le lettré de la famille. Ses jeunes années, il les passe durant la guerre civile (l’exécution de Charles Ier), la dictature puritaine de Cromwell. Au retour du prétendant Charles II Stuart, Pepys entame une longue carrière de très haut fonctionnaire attaché au Council of the Marine (l’Amirauté). D’une santé précaire, il passe outre. Partout, il est reconnu d’une qualité humaine, de compétences exceptionnelles.

La peste le surprend alors que l’Angleterre livre combat sur mer aux Hollandais. Pepys gère l’intendance et les saisies dont il met une part de côté, pour lui. Alors que le roi, la cour, le parlement, les riches particuliers s’enfuient de Londres, il est un des rares à rester en poste le plus longtemps possible. Il a mis son épouse à l’abri. Il va travailler comme un forçat mais vivre aussi, en vrai épicurien, aventures galantes, soupers fins, beuveries… Il écrira, la peste s’éloignant :

– J’achève ce mois dans le plus grand contentement et puis dire qu’en ces trois derniers mois, pour ce qui est du plaisir, de la santé et des gains, furent les plus bénéfiques de toute ma vie.

Petit florilège du Journal de Pepys :

– 30 avril. On redoute beaucoup une épidémie de peste, ici, dans la Cité. On raconte que deux ou trois maisons sont fermées.

– 7 juin. Ce fut la journée la plus chaude de ma vie… Aujourd’hui, bien malgré moi, j’ai vu dans Drury Lane deux ou trois maisons avec une croix rouge sur la porte et l’inscription : « Dieu ait pitié de nous. »

– 10 juin. Ce soir, en rentrant pour souper, j’apprends que la peste vient de faire son apparition dans la Cité, et cela justement dans Fenchurch street, chez le docteur Burnett, mon bon ami et voisin.

– 11 juin. Dans la soirée, M. Andrews et sa femme sont venus. Nous avons joué de la musique, chanté et soupé ensemble.

– 3 juillet. J’ai résolu de mettre toutes mes affaires en ordre.

– 5 juillet. Par la rivière à Woolwich où ma femme va être agréablement installée avec deux servantes. Je les quittai à l’heure du souper, le cœur serré…

– 13 juillet. Plus de 700 personnes sont mortes de la peste cette semaine.

– 26 juillet. L’épidémie a fait son apparition dans notre paroisse cette semaine et pénètre a vrai dire partout.

– 27 juillet. Je vis le bulletin hebdomadaire, on arrive à 1 700 décès… Je ne sais à quoi me résoudre.

– 31 juillet. (Invité à un grand mariage, après le souper on met les mariés au lit). Nous fumes très gais. Nous avons tous eu de bons lits. J’ai partagé le mien avec M. Brisband, homme plein de science et de dignité, il m’a fait une description de Rome et c’est la plus délicieuse conversation qu’on puisse avoir avec un voyageur.

– 10 août. Plus de 3 000 décès cette semaine. Rentré chez moi, je me suis mis à rédiger mon testament… La ville devient si malsaine qu’on ne peut compter sur deux jours de vie.

– 16 août. … j’ai été à la Bourse où je n’ai pas été depuis longtemps… presque déserte.

– 31 août. Je me prépare à déménager de Woolwich. Je suis allé à Greenwich à notre bureau, où j’ai travaillé, puis dîné, avec mes collègues, d’un bon pâté de venaison.

– 6 septembre. A Londres pour faire des paquets de mes affaires. Dans les rues, de grands feux brûlent par ordre du Lord-Maire.

– 7 septembre. Le bulletin hebdomadaire, 6978 décès…

– 20 septembre. Il y a 600 décès de plus que la semaine dernière, contrairement à toute attente, étant donné la fraîcheur de l’arrière-saison.

– 16 octobre. A la Bourse qui est bien vide. De là, à la Tour. Mais, seigneur que les rues sont donc vides et tristes.

– 22 novembre. J’ai appris que l’épidémie a beaucoup diminué, 600 morts seulement cette semaine.

– 30 novembre. Il n’y a plus que 333 morts de la peste.

– 31 décembre… la ville se remplit rapidement et les boutiques commencent à rouvrir. Dieu veuille que la peste continue à décroître. Car elle tient le Roi et la Cour éloignés du lieu de travail et les affaires publiques vont à vau-l’eau ; à distance, ils n’y songent plus.

Du 2 au 5 septembre 1666, une grande partie de la City brûla mais les pertes humaines furent infimes.

L’histoire est cyclique. Elle tourne en boucle. Elle se mord la queue.

Jean HEURTIN

Crédit photos : DR
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