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Comment dire à mon père que tous les cafés et restaurants sont fermés ? (Petite chronique du confinement)

Premier réveil, en sursaut, sur cette interrogation : « Comment dire à mon père que son café attitré, dans le bourg, sur la place du village à côté de l’église, est fermé et ce jusqu’à nouvel ordre ? »

Confusion entre hier et aujourd’hui, ma première inquiétude s’efface alors que je renoue avec la réalité. J’éprouve un réel soulagement en réalisant qu’aujourd’hui, je n’aurai pas cette information à lui donner.

Les temps sont si troublés, nos inquiétudes mêlent passé et présent pour entretenir confusion et angoisse. Comme si, en ce moment, les journées n’étaient pas assez longues avec leur lot de soucis, d’interrogations, de frustrations. Mais, voilà, la nuit, nous ne contrôlons pas tout. Et les questionnements qui nous taraudent le jour franchissent à la faveur d’un sommeil agité, les barrières que notre volonté érige.

Retrouver ses copains au café

Je mesure alors qu’elle aurait été la détresse de cet homme s’il avait été de ce monde. Veuf, habitant un hameau du village, ses seules raisons de vivre les derniers temps étaient le repas dominical à la maison et ses deux sorties hebdomadaires pour retrouver ses copains au café. Un lien social comme on dit aujourd’hui, en tout cas une véritable humanité. Impossible de nier que l’élément fédérateur de ces matinées était la « chopine de muscadet » mais pas que, car il y avait aussi la partie de cartes, les conversations, bref la vie qui après permettait  de supporter la solitude.

De son vivant, les dernières années, j’ai bien pris en compte ce besoin de rencontres et je n’ai jamais regretté de les avoir partagées  avec lui. Tous les dimanches, j’allais le chercher dans son hameau des coteaux et je l’amenais déjeuner dans notre contrée des marais. Il y avait une halte instituée. Elle lui faisait tellement plaisir, une étape rituelle au café du quartier St-Jacques, presque à côté de la boulangerie et en face de l’hôpital. J’ai alors appris à observer, à comprendre cette clientèle un peu décalée, très particulière.  Je n’ai jamais eu de préjugés sur les codes de vie pourvu qu’ils privilégient l’humanité. A la fin, j’étais la brave jeune femme qui s’occupait de son père et cela m’a valu, une fois,  une belle portion de civelles fraîchement pêchées en Loire. Sur le vif, je n’ai pas posé de questions. Je me suis régalée.

Un repas au bord de la Loire, chez Bénureau…

Tous les ans, en juin, mois de son anniversaire, une tradition incontournable : un repas au bord de la Loire, chez Bénureau : cuisses de grenouilles sautées, brochet beurre blanc, côtes d’agneau rôties et profiteroles, un régal pour lui, une certaine lassitude pour nous. Mais le but était de faire plaisir…

La vie, sa qualité, se résument parfois à peu de choses. Quand il s’agit de tromper la solitude, nous n’avons  rien trouvé de mieux que de nous rencontrer, dans un périmètre qui, au fil du temps, se réduit parfois au quartier, au bourg, quelque part à côté de chez nous. Et là, par tradition, culture oserai-je dire, le café, le restaurant d’habitués, ouvrier ou pas, joue parfaitement son rôle. C’est un endroit où on vient pour parler, pour se confier, bref se retrouver. D’où la mauvaise humeur des provinciaux dans bien des cafés parisiens qui ne jouent pas le jeu : service expéditif,  prix prohibitifs….

En sollicitant notre mémoire, facile de faire surgir les souvenirs, les bons bien sûr, ce sont eux qui nous importent en ce moment. J’en veux pour preuve mon premier  repas au restaurant, à Nantes, chez Boucli, rue du Château. Au fond d’une cour, un vieil immeuble du 18°siècle, et dans un renfoncement, la salle à manger. En 1968, j’avais juste dix-huit ans, c’était mon premier restaurant, ma première invitation. Je revois cette salle voûtée, le feu de cheminée, les tables avec les nappes à carreaux rouges et blancs. Le menu, je m’en souviens comme si c’était hier : la terrine de campagne maison avec son énorme bocal de cornichons et la longue pince en bois accrochée au pot en grès. Les grillades sur sarments et la crème au chocolat. Un sans-faute auquel je dois sûrement mon attachement aux endroits qui privilégient la cuisine traditionnelle mais de grande qualité.

Une vie qui défile, avec cette habitude chevillée au corps d’apprécier faire étape dans un café, en France, à l’étranger, Il n’y a pas de meilleure façon de se fondre, de faire corps avec le lieu, les habitants.

Un lieu de vie rare

Quand nous pourrons à nouveau prendre la route pour Bellac, comment faire l’impasse du « Cheval blanc » ? Le plus vieux restaurant de la ville, tenu de main de maître par un patron « carré » mais attentif. Une cuisine simple, efficace. Un lieu de vie rare, au cœur d’une de ces petites villes qui composent la trame organique de la France et qui déjà, avant le coronavirus, se mourrait.

Impossible aussi de passer sous silence ces belles tables partagées avec nos amis. Au fil des années, des tables étoilées, des souvenirs gourmands, tout ce qui ancre dans la mémoire ce que l’on a l’habitude de désigner comme : le bon vieux temps.

On nous l’a dit, répété, et nous l’avons bien compris demain ne ressemblera pas à hier. Il faut et il faudra encore être prudents, vigilants, c’est certain. Mais il n’y a rien de plus important que l’identité. Et notre identité nationale c’est aussi ce qui nous aide à tenir le coup, à faire face. Sans aucun doute, cela inclus les cafés petits et grands, les restaurants ouvriers ou pas, étoilés ou pas. A nous de savoir l’affirmer haut et fort.

Anne MESDON  

Illustration : Marius Borgeaud, peinture sur toile, 1921
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