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Algues vertes, un scandale d’Etat, par Yves Marie Le Lay

Algues vertes, un scandale d’Etat est le titre d’un livre sorti en octobre par Yves Marie Le Lay, que nos lecteurs connaissent déjà.

« Mon livre n’est en rien autobiographique. Je n’ai pas souhaité en être le héros. J’ai privilégié l’argumentation sur le récit même si je ne me suis pas interdit d’adopter un ton engagé. Je pense avoir réalisé avec des lacunes vraisemblablement l’ouvrage le plus complet jamais écrit sur le sujet. C’est d’ailleurs le retour de quelques lecteurs qui me permettent de le dire. Il est aussi comme l’a dit un libraire un heureux complément à la bd d’Inès Léraud et Pierre van Hove, algues vertes, l’histoire interdite » explique M. Le Lay qui a par ailleurs réalisé une vidéo pour présenter son ouvrage.

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Ci-dessous la préface du livre Algues vertes, un scandale d’Etat

Ce 8 septembre 2016 fait partie de ces dates historiques silencieuses. Pas de commémoration, sauf pour une famille endeuillée. Pas d’évocation publique dans les médias. Même pas un mot dans les cafés du coin. L’oubli collectif, savamment entretenu, alors qu’un simple rappel des faits aurait au moins servi d’avertissement. Mais aucun souvenir enfoui n’a entravé la marche de l’histoire. Quelle histoire cachée ? Elle est ce fait divers, tragique, réduit à la rubrique des chiens écrasés. Un homme joggeur confirmé, en pleine santé, meurt intoxiqué au cœur d’une vasière d’estuaire. Il a suivi le lit creusé dans la vase d’un tout petit ruisseau, le Crémur, jusqu’à atteindre celui de la rivière, elle-aussi bordée de vastes coteaux de vase, le Gouessant. Cela s’est passé dans la baie de Saint-Brieuc, en Bretagne. Une mort accidentelle, pense-t-on, comme celle d’accidents de la route, ou domestiques, ou de maladies. Un entrefilet dans la presse locale suffit bien pour en rendre compte. Ne reste plus pour les autorités locales dans les jours qui suivent le décès, d’ânonner quelques propos convenus pour dire tout le bien que l’on pense de la victime. C’est très exactement comme cela que commence l’histoire, ou plutôt qu’elle balbutie. Si ce n’était l’intervention de deux associations environnementales, le fait divers aurait prospéré, tel qu’il a été présenté dès le lendemain du drame et il n’aurait jamais fait date dans une longue suite historique. Le récit qui en est d’abord tracé ne vise qu’à le rendre le plus anodin possible. Le pauvre homme est mort de ses efforts pour avoir voulu se dépêtrer de cette vase collante.

Et pour rajouter du tragique à l’affaire, Monsieur le maire des lieux se plaît, des trémolos dans l’écriture de son communiqué à la presse, à jouer la complainte du héros défunt, mort pour avoir voulu sauver son chien englué dans ce sédiment naturel. Sauf que le chien s’en est tiré, et pas le maître… Pour le plus haut magistrat de la commune, nous avons affaire à un drame ordinaire, dû à l’initiative malheureuse d’une personne, estimable malgré tout, victime d’un milieu naturel particulièrement hostile et d’un cœur défaillant. Dans ces conditions, comment ne peut-il pas déplorer les accusations déplacées d’intoxication portées par quelques écologistes intégristes et la peine qu’elles feraient subir à la famille éplorée ? Pourtant, déjà le 28 juillet 2009, ailleurs en Bretagne, dans des circonstances analogues, en baie de Lannion, c’est le maître qui a été sauvé de justesse. Son cheval, par contre y est passé. Comment ne pas faire le lien entre ces deux faits, et bien d’autres semblables, d’autant que la mort de ce cheval a connu un retentissement international. Or, ce sont bien la collection et la répétition de ces faits divers qui font l’histoire. Mais elle est condamnée au silence par toutes les institutions publiques, la quasi-totalité des élus, toutes les forces économiques, des pans entiers de la société. En Corse, cet autre territoire de la République, on appelle cela omerta. Et malheur à celui qui la brise ! Certes, en Bretagne, jusqu’à maintenant, on se contente de reléguer l’inopportun de l’espace public, de le discréditer, de le disqualifier en le rangeant du côté de ces irresponsables intégristes dont on ne peut rien en tirer. C’est moins grave pour lui que de recevoir deux balles dans la tête au coin de la rue…

Et cette chape de plomb permet de laisser sous le couvercle toutes les questions dérangeantes, même les plus sensées, les plus basiques. Ainsi, à part ces mêmes associations uniquement composées de bénévoles, personne en Bretagne ou ailleurs, n’a pris la mesure de cet énorme paradoxe pourtant évident : on meurt intoxiqué dans une réserve naturelle ! Immédiatement vient alors la question qui fâche : dans un territoire sanctuarisé pour protéger des espèces vivantes, si un individu d’une espèce qui, sauf preuves du contraire, fait partie de ce monde vivant, succombe en le traversant seulement, qu’advient-il des autres espèces qui y résident ? Par quel miracle, celles-ci pourraient-elles survivre ? D’ailleurs, il existe le précédent de 2011 avec des dizaines de sangliers morts dans les mêmes lieux. Donc, ce n’est pas assez de dire que l’endroit est hautement dangereux et le signaler comme tel. Il faut aussi y rajouter que c’est toute la législation instituée pour préserver des milieux sensibles qui est violée. Et pas depuis aujourd’hui, mais depuis des dizaines d’années qu’a été constituée cette réserve naturelle. Voilà comment le problème de santé publique se double de celui de l’atteinte grave à une biodiversité légalement protégée. Et c’est précisément, tout cela qui est dissimulé en priorité. Pour tous les auteurs de cette dissimulation, il ne faut pas seulement verrouiller la porte d’entrée de la compréhension de leurs peu avouables motivations, il faut aussi cacher la porte, la rendre invisible au grand public, et bien garder les clés sur eux et pour eux seuls.

Alors, depuis un demi-siècle qu’elle dure, il est temps d’écrire cette histoire critique, de lever ce paradoxe, de remonter le cours des événements et de leur restituer toute leur signification. Bref, il est temps de soulever le tapis et de dépoussiérer tout ce qui s’y trouve en-dessous. C’est l’objet de ce livre. Il faut écrire comment, que l’on soit homme ou animal, on meurt intoxiqué en toute impunité en ce vingt-et-unième siècle bien entamé sur quelques zones perdues de ce territoire de la République. L’arme du crime est l’hydrogène sulfuré. Le tueur est la marée verte qui recouvre massivement les côtes et qui pourrit dessus et dessous les sédiments. Le commanditaire est un groupe d’intérêts économiques qui a assujetti les institutions publiques. Dire cela en ces termes, marque l’engagement sans concession de son auteur. Pas question d’écrire une histoire qui tourne autour du pot, ou un récit mièvre mettant tout sur le dos de la fatalité. Il s’agit au sens que lui donne déjà Hérodote de mener une enquête détaillée sur la base de documents divers : dossiers et rapports administratifs, lettres, articles de journaux, déclarations publiques, faits attestés par huissier, en évitant si possible les narrations de faits par des tiers, si fiables soient-ils, ne retenant que la mémoire d’événements personnels dûment consignés par écrit. Il se dégage de l’ordonnancement chronologique et rationnel de tous ces éléments une ahurissante galerie de portraits de ces acteurs institutionnels en charge de l’ordre public et de la sécurité des populations. Le mensonge est la règle. L’absurde y côtoie le cocasse et croise l’odieux. La liste est longue de tous leurs actes délibérés pour que perdurent les causes de cette pollution toxique en affichant tout le contraire de ce qu’ils font. Ce qui étonne le plus, c’est l’absence complète de scrupules. Certes, la politique n’est pas la morale. Mais un esprit sensé a toujours du mal à comprendre jusqu’où peut aller le mépris de la sécurité et de la santé de ses concitoyens qui s’exerce sournoisement en coulisses. Bien banal constat de retrouver dans cette pollution toxique par les marées vertes, tous les ingrédients des scandales sanitaires, ceux du médiator, de l’amiante, des pesticides, des PCB et bien d’autres… Face à tous ces faussaires et peu recommandables individus, il faut rendre justice à toutes leurs victimes innocentes. Non, elles n’ont pas été imprudentes. Non, elles n’étaient pas en mauvaise santé. Non, elles n’ont pas eu une mauvaise hygiène de vie.

Elles ont tout simplement été victimes de cette omerta. Elles ne savaient pas où elles mettaient les pieds, faute d’être alertées sur les dangers qu’elles courraient. Après un demi-siècle de marées vertes toxiques, après la mort de plusieurs hommes et de dizaines d’animaux, là où a succombé ce jogger en pleine force de l’âge, sur le chemin de randonnée d’où il venait, pas un panneau n’indiquait les risques d’intoxication. Pire, après sa mort, des panneaux posés par deux associations ont été retirés. Pour préparer les accidents futurs ? Au fur et à mesure du déroulé des événements depuis près de 50 ans, comment ne pas saisir l’exceptionnelle singularité du traitement de la toxicité des marées vertes par les pouvoirs publics ? Pour mémoire, l’hydrogène sulfuré est classé toxique violent par la nomenclature internationale. Il fait l’objet d’une surveillance particulièrement forte dans les secteurs de l’industrie et chez les égoutiers. Et ce poison qui peut tuer en moins d’une minute est présent sur certaines plages et certains estuaires, exposé à n’importe quel passant. Et de surcroît, il en a déjà tué ! Que font les autorités ? Elles envisagent au mieux la réduction de moitié des masses algales qui le produisent… en 2027 ! Imagine-t-on, après le travail d’alerte, remarquable et exemplaire d’Irène Frachon, la réduction de moitié de la consommation du médiator dans les 10 prochaines années ? Imagine-t-on que l’on se soit contenté de la réduction de moitié de l’usage de l’amiante dans les mêmes délais ? Mêmes les pesticides dont la nocivité est controversée, de mauvaise foi certes, mais controversée tout de même, font l’objet d’interdictions régulières, sans pourtant oublier qu’ils sont souvent remplacés par des molécules encore plus nocives. Mais quel est l’insensé qui va discuter de la forte toxicité de l’hydrogène sulfuré ? Résumons-nous. Voilà une substance qui menace l’homme dans des espaces publics et détruit la biodiversité, dont personne n’envisage plus la suppression totale, même à long terme ! De surcroît, ce gaz très toxique en cotoie d’autres qui le sont moins, comme l’ammoniac.

Leur nocivité est moins forte, mais cela ne les rend pas inoffensifs. Cerise sur le gâteau, mêmes fraiches, ces proliférations d’algues vertes permettent la survie en milieu salé des germes microbiens issus des rivières. Et la seule réponse des autorités est le plus grand silence sur tous ces risques. Cela se passe en France, en Europe. Toute une région en souffre, mais elle est priée de taire sa souffrance parce que c’est le prix à payer pour faire des affaires surtout pour quelques uns. Ce scandale secret mérite bien qu’on en fasse un livre pour le rendre public. Ce n’est pas le premier, même si les ouvrages ne sont pas nombreux sur le sujet. Mais ce sera peut-être le premier qui ira jusqu’au bout de la déconstruction du déni collectif pour demander les mesures d’urgence pour en finir au plus vite avec les marées vertes. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la démarche n’a pas comme vocation d’exprimer un point de vue parmi les autres, de le défendre, bec et ongles, face à un autre qui le vaudrait bien. Il faut prendre cette histoire comme une enquête au sens aussi donné à la démarche policière, à la recherche de l’établissement des faits et la découverte du coupable. Si difficile que soit l’exercice pour un auteur impliqué dans cette histoire, il lui faut garder le souci de dire le plus vrai possible, même si cela ne sert pas sa cause. Pas question de cacher les déclarations bien embarrassantes d’écologistes dont il fait partie qui montrent combien pendant un quart de siècle, ils n’ont pas été à la hauteur des enjeux sanitaires de cette pollution atypique. Qu’ils se soient rattrapés après, ne peut faire oublier qu’à un moment donné, eux-aussi se sont fourvoyés. Rien ne doit être dissimulé, au moins volontairement, parce qu’involontairement on est jamais sûr de ne pas avoir raté un épisode du film. Finalement, il faut comprendre cette écriture comme une quête de véridique, avec la marge d’incertitudes qu’implique ce terme, plutôt que d’un vrai absolu qui s’apparenterait à un dogme religieux. Reste maintenant à s’expliquer sur le choix de la méthode originale de dénonciation. Le parti-pris retenu est de commencer cette histoire par une uchronie.

Rien de tel qu’une fiction cohérente pour éclairer le réel. Imaginer avec les acteurs de l’époque ce qui aurait pu, ce qui aurait dû être la réponse à cette pollution toxique quand elle a touché les côtes bretonnes, en se servant de ce qui pouvait être su alors de cette arrivée massive d’algues et de ses conséquences. A cela deux avantages. D’abord, cette fiction joue comme un étalon pour mieux mesurer depuis 50 ans l’ampleur de la faillite de l’Etat à traiter ce problème de santé publique et la gravité des décisions prises jusqu’à aujourd’hui dans tous les échelons de l’administration publique. Elle éclaire ainsi le chemin de lecture. Elle fait de ce qui aurait dû et pu être, le miroir de ce qui a été pour mieux en souligner toutes les carences et les fautes. Ensuite, elle pose d’emblée les remèdes à la pollution, plutôt que d’en faire la conclusion de sa dénonciation. Elle présente tout de suite l’horizon indépassable pour qui veut prendre le chemin de la sortie des marées vertes. Paradoxalement, c’est le seul point sur lequel tout le monde soit d’accord, sauf que les uns l’affichent, les autres le dissimulent. Aucune mesure agro-environnementale ne peut faire l’économie d’une baisse drastique du taux d’azote dans les rivières, sauf que les uns disent qu’il faut tout mettre en œuvre pour y parvenir et que les autres susurrent que c’est impossible sans remettre en cause leurs façons de faire et de vivre, sans jamais dire que c’est la condition de la préservation des intérêts d’une petite minorité. Que les Bretons se souviennent qu’ils ont choisi l’hermine pour représenter leur nation et son histoire. Ce bel animal était prêt selon la légende à affronter la mort plutôt que de souiller son beau pelage blanc. « Plutôt mort que la souillure, » telle est leur devise. Aujourd’hui en Bretagne, ils ont sur leurs plages la souillure et la mort… Quel bel exemple et quelle bien piètre image donnent-ils à toutes les régions voisines, au nord et au sud, elles aussi victimes de cette pollution toxique ! A refuser de reconnaître ce grave problème de santé publique, ils s’interdisent de se donner en collaboration avec elles les moyens de le résoudre. Saint-Augustin, in la Cité de Dieu, VII, 7, cité par Alain Schnapp dans le récent ouvrage, une histoire des civilisations aux éditions La Découverte Inrap écrit ses lignes : « Quiconque en effet n’envisage pas le commencement de son activité ne sait pas en prévoir la fin. Ainsi à la mémoire qui se tourne vers le passé se lie nécessairement l’attention qui se porte vers l’avenir.

Qui oublie ce qu’il commence saura-t-il comment il peut finir ? » Alors, comment les Bretonnes et les Bretons sauront-ils où ils vont, s’ils refusent toujours de connaître le commencement et la suite de la pollution toxique des marées vertes de ces années d’après-guerre ? Comment construiront-ils un avenir sans cette souillure en s’enfermant dans l’amnésie sur les fautes de ceux qui en sont responsables ? Que ce livre aide à sortir de ce refoulé collectif, c’est bien le premier but qu’il s’est fixé.

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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