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Varia (3) … Aurore, Georgette et Huguette

L’autre soir, je suis resté éveillé devant le grand écran de ma télé en regardant l’épatante prestation d’Agnès Jaoui. « Aurore »… tel est le titre du film qui raconte la douleur de la survenante vieillesse : ménopause, bouffées de chaleur, incompréhension des zostrogoths… La dame Jaoui, malicieuse, reste manifestement « la plus jeune et la plus belle » de toute la chrétienté qui l’entoure : de ses filles, de ses copines, de ses rencontres. Je dis la « chrétienté » comme on dit « l’humanité », forcément. Je mélange volontiers les cultes car j’ai beaucoup d’estime pour Delphine Horvilleur, la très intelligente rabbin(e ?).

Comment ne pas adhérer aux réactions d’Aurore devant les employé(e)s de « Paul Emploi », ainsi qu’écrit Plantu… On rit « jaune » (tiens donc !) et Aurore se relève chaque fois dans une projection de ses bons sentiments et de ses prestations imaginaires — en refusant la vulgarité bistrotière du prénom « Samantha » ou en devenant chanteuse de beuglant. Notez ce nom : Blandine Lenoir, une jeune réalisatrice qui promet et qui a des choses à dire… Cependant, « J’espère que mon film donne envie de vieillir » annonce-t-elle dans une interviouve. Alors là, je ne suis pas d’accord… Car, expérience faite, ce n’est pas une bonne affaire ! La preuve par Georgette et Huguette, de récentes factures. La première fut la première à profiter de la réception de la geste vaccinatoire. La seconde, jouée par l’excellente Line Renaud qui n’a jamais été ma grand’mère. Elle était bien trop jeune pour cela. Et c’était « avant-guerre »… Dans le film, « Huguette » défit les connards (faites excuse !) qui peuplent désormais la planète en professeur-des-zécoles-à-la-r’traite. Un beau regard sur notre terrible époque.

Et maintenant soyons un peu sérieux… Je vous parle d’un temps d’avant l’affreux cancer… Ce qui est rare aujourd’hui pour la plupart : la profession de libraire a viré aux marchands de vieux-papiers en tout genre. Rien que de la BD — encore qu’il y en a de très bonnes, mais enfin… Oui, il y a encore Tardi, Bilal, Davodeau (mon « pays » des Mauges) et il y eut jadis Uderzo / Gosciny, feu Ugo Pratt, ce cher et bien oublié Ted Benoît, feue la dame Claire Bretecher… Des bons qui n’avaient besoin que d’un ratacoin dans les antres du savoir et qui prospérèrent. Les écoliers voisins du « magasin » savaient où diriger leurs pas : les sous-sols pour « se gaver de mauvaiseté », comme disait grand-mère Debré, la bonne cliente.

C’est ce moment misérable que choisit Philippe Jaccottet pour disparaître. Il allait sur ses 95 ans, comme tout un chacun… J’ ai eu le cœur serré en apprenant la nouvelle. Avec lui s’en va, sans aucun doute, le dernier géant de la Littérature comme on ne l’apprend plus dans les dépotoir(e)s du savoir(e). Il n’y a pas encore de collège ou de lycée « Jaccottet ». Il faudrait que le grand Blanquer le conseille ? Et que le petit roi, qui se vante d’écrire, ne rate pas la démarche auprès des municipaux analphabètes ? ça, c’est pour l’encens.

Jaccottet avait trouvé « une terre natale » chez la « Marquise », au pays des Adhémar (à Grignan, dans le Tricastin… tss…). Et pourtant, il était « né en Suisse », le 30 juin 1925 — ce qui n’est pas rien. Il était resté lié à ces bons auteurs francophones que furent Gustave Roud et Charles Ferdinand Ramuz. Il était aussi germanophone. Ce qui est tout… Alors il s’était fait traducteur (en « transaction secrète ») : Novalis (Freiherr von Hardenberg), Hölderlin, mais aussi Thomas Mann, Rilke, Musil… sans oublier Homère : l’Odyssée. Et quantité d’autres… comme l’énigmatique Traven, des Italiens (Ungaretti, Carlo Cassola, Leopardi )… et même Japonais (par les haïku). Il avait été l’ami de Pierre Jean Jouve, de Francis Ponge, de Mandiargues, de Jean Lescure, d’Henri Thomas ou d’André Du Bouchet. On trouve ses œuvres complètes (enfin presque) dans la Pléiade / Gallimard. Mais c’est cher… Avant lisez ce qu’on en écrit sur ce bon Wikipédia. J’ai été très ému en ouvrant Le Figaro, le lendemain de sa mort. Je cite : « Il était l’écrivain de l’éphémère et du fragile, des murmures et du regard, du «bonheur de la clarté», de l’humilité, de l’interrogation et du tourment persistant. Poète de la nuit et des nuages, de l’aube et des brumes, des vallons, des arbres (ces «offrandes portées») et des oiseaux, de l’automne et de «l’étendue vibrante des herbages » (1) . Comme c’est bien dit… Il nous avait apporté la lumière. Jaccottet était considéré comme le plus grand poète vivant de langue française, aux côtés d’Yves Bonnefoy.

Il y a de quoi désespérer Billancourt en ce moment… « L’agité du bocal » n’est plus perché sur son tonneau, mais la horde bruyante n’a pas fini de nous aboyer aux bottes. On croirait avoir débarqué sur l’île du Trident où Helios fait paître ses troupeaux… Et ces troupeaux de vaches grasses et de brebis prospères, les marins d’Ulysse les bouffent jusqu’aux trognons, suscitant la colère du roi Soleil. C’est un temps rêvé pour cultiver son jardin, comme jadis « le Candide (précision pour les incultes et les anticoloniaux : de Voltaire »). Une inquiétude diffuse s’est diluée dans les « Ombres et (les) Brumes » du soir. Avant l’admirable film de Woody Allen, le bon docteur Cyrulnik, invité sur LCI, parle de l’incertitude qui gagne le peuple — le bon et le mauvais — et il a terminé en prophétisant : « Quelqu’un va arriver disant : j’ai la solution. Et le peuple le croira ! »

MORASSE

(1) Le Figaro, Thierry Clermont, avec mes compliments.

Crédit photo : DR
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