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Hongrie. La liberté d’expression à l’heure du digital. Retour sur le colloque organisé à Budapest par le MCC

Succès retentissant de la conférence média du MCC (Mathias Corvinus Collegium) de Budapest, sur le thème de la liberté d’expression à l’heure d’Internet : une fréquentation record, des débats hongrois et internationaux aussi passionnants les uns que les autres. Nous y étions. Compte rendu.

La conférence était organisée par une université privée, le Mathias Corvinus Collegium (MCC), les 11 et 12 novembre 2021. Ouverte par Zoltán Szalai, directeur du MCC et éditeur de la plateforme internet Mandiner, la conférence a accueilli plus de trente conférenciers venus de sept pays.

AU premier jour, plusieurs tables rondes sur les défis à l’âge digital ; la première modérée par Boris Kàlnoky (Hongrie, ex Die Welt) était organisée autour du Tchèque Mtyas Zrno, de John O’Sullivan (Danube Institute), de Miklos Szantho (juriste) et de Claude Chollet (Ojim).

La seconde présidée par Frank Furedi de l’université de Kent, rassemblait les Allemands Alexander Marguier (Cicero), le Britannique Sam Leith (The Spectator), l’Américain Julius Krein (American Affairs) et le Hongrois László Szabó.

Puis eu lieu un débat sur les réseaux sociaux, débat animé par Gergely Szilvay (Mandiner) avec Ralf Schuler (Allemagne, Bild), Norman Lewis (États-Unis), Gladden Pappin (American Affairs) , Arnaud Dassier (France, Avisa partners), Mariann Öry (Magyar Hirlap) .

Dans la foulée, la déontologie médiatique fût débattue avec Birgit Kelle (Die Welt), Jano Garcia (Espagne, El Liberal), Anne-Élisabeth Moutet (The Telegraph) et Loretta Toth (Magyar Nemzet).

Au deuxième jour de l’événement, une vingtaine de personnalités se sont succédées lors de conférences;

Journalisme politique et journalisme mainstream

Le programme du vendredi a commencé par une conférence intitulée « Le journalisme politique moderne ». Ralf Schuler a présenté un exposé portant sur les rapports entre journalisme politique et presse mainstream. Reporter en chef du bureau parlementaire berlinois du journal Bild, le conférencier a affirmé que la presse cherche souvent à susciter chez ses lecteurs des réactions émotionnelles, à créer des effets de choc, en exagérant quelque-peu. La presse mainstream connaît trois techniques : personnaliser, grossir le trait et zoomer (rapprocher le lecteur du sujet). Ce type de journalisme fonctionne aussi comme une sorte de sondage d’opinion, dans la mesure où les thèmes sélectionnés pour faire partie de l’actualité ne sont pas choisis en fonction de leur valeur informative, mais des sensations qu’ils peuvent déchaîner. Ce type de journalisme se basant sur les émotions, il a les faveurs du grand public, mais ses ténors ont du mal à briguer les prix de journalisme.

Ralf Schuler a aussi parlé de sa propre émission télévisée, dont l’objet est de porter à l’écran le genre de journalisme développé par la presse « tabloïde », c’est-à-dire la presse de boulevard. Elle ne propose pas de bulletins réguliers à 20h, sur une plage horaire fixe qu’il faudrait quotidiennement remplir de contenu, mais ne diffuse que lorsqu’il se passe vraiment quelque-chose. Auquel cas les reporters doivent arriver sur les lieux en 10 à 15 minutes – l’essentiel étant qu’ils prennent leurs concurrents de vitesse. Le but n’est pas de monter un show, mais simplement de montrer ce que le citoyen moyen est susceptible de juger important ou intéressant.

The Herd – Jano Garcia parle – entre autres – de son dernier livre

Si l’on veut vraiment s’opposer au populisme, il faut s’appuyer, non pas sur les sentiments, mais sur les faits objectifs – a-t-on entendu dire à cette conférence média du MCC, où a entre autres été présenté le livre de Jano Garcia qui devrait bientôt sortir, intitulé The Herd: How the West Has Succumbed to Ideological Tyranny (« Le Troupeau : comment l’Occident s’est soumis à une tyrannie idéologique »). Pour Garcia on peut parler à bon escient de populisme quand la classe politique cherche clairement à exploiter les sentiments des gens pour engranger le plus de voix possible. Jano Garcia a notamment insisté sur l’importance des valeurs chrétiennes. Pour ce spécialiste, la plus importante des valeurs, c’est le respect mutuel : celle dont nous manquons le plus de nos jours, à une époque où « nous sommes presque tous obnubilés par notre propre personne ». Commentant la situation des médias en Espagne, il déclare que « chez nous aussi, il est bien évident que c’est la gauche qui domine le marché médiatique, contrôlé par deux grands holdings de presse centrés chacun autour de chaînes de télévision. Comme c’est là qu’on fabrique 90% des contenus médiatiques, l’apparition d’opinions divergentes dans le bol alimentaire des consommateurs espagnols de nouvelles est rarissime »

Le monde médiatique français à l’aube d’une recomposition ?

L’importance de la presse dite alternative n’a de cesse de croître en France – a-t-on affirmé lors d’une table ronde consacrée à la situation des médias en France et à ses perspectives d’évolution. Les participants ont déclaré que l’essor des médias alternatifs dans les pays occidentaux se produit en réponse au fait que de nombreux sujets ne sont jamais abordés par la presse mainstream, ou y apparaissent toujours de façon distordue.

Dans l’exposé d’ouverture de la table ronde, Thibaud Gibelin, chercheur invité du MCC, a expliqué que le système politique français est confronté à de graves problèmes de légitimité. En outre, il affirme aussi que les résultats des dernières élections et les interprétations de ces derniers font apparaître que les rapports de force politiques réels ne trouvent pas un reflet correct dans les médias, étant donné que ces derniers sont dominés par une écrasante majorité de journaux et de médias de gauche, d’inspiration libérale et/ou soutenant le président actuel.

L’immigration, l’islamisation et les problèmes de sécurité qui en découlent sont à peine abordés dans la presse française – a déclaré Claude Chollet, président de l’Observatoire du journalisme ; selon ses analyses, cela est dû avant tout à l’orientation politique des journalistes et des médias. Comme une écrasante majorité du personnel médiatique et des rédactions est sous l’influence des idées libérales, ces sujets – explique Chollet – ne passent jamais le filtre.

Pour toutes ces raisons, un précipice s’approfondit entre les pensées et les opinions de la société et le choix des sujets qui caractérise les médias français. Entre temps, on assiste à un essor des médias alternatifs – ajoute Yann Vallerie, rédacteur en chef du site Breizh-Info.com ; ce dernier considère néanmoins la Hongrie comme un exemple à suivre, jugeant qu’il y existe des possibilités bien plus nombreuses de s’exprimer librement sur des sujets comme les dangers de l’immigration et de l’islamisation, ou encore d’y publier des opinions critiques sur les droits LGBTQ.

Tour d’horizon de la presse dans le groupe de Visegrad – reflet des processus qui ont suivi le changement de régime

Dans le cadre du forum portant sur la situation des médias dans les pays du Groupe de Visegrád, le polonais Michał Karnowski, rédacteur de l’hebdomadaire Sieci, a déclaré que, après l’effondrement du communisme, le système a beau eu se restructurer, les gens n’en ont pas moins conservé l’impression que le discours des médias ne reflète pas leur opinion. Au cours des 30 ans qui ont suivi, on a assisté à une certaine amélioration dans les médias polonais, mais accompagnée d’une sorte de lutte en vue d’amener la presse à relayer encore d’autres sons de cloche. D’après Karnowski, l’apparition des investisseurs a, dans un premier temps, rafraîchi le système (en permettant, par exemple, l’apparition de nouvelles technologies), mais il s’est avéré plus tard que cela avait aussi un coût : les investisseurs ont souvent mis à contribution les organes de presse dans lesquels ils avaient investi pour diffuser des messages idéologiques.

Zoltán Szalai, directeur général du MCC et rédacteur en chef de Mandiner, a souligné qu’en Hongrie, pour beaucoup de rédactions, l’arrivée des investisseurs n’a pas entraîné une refonte à 100% – y compris dans le cas de certaines rédactions dont la composition remontait à l’avant-1990 –, étant donné que, dans la plupart des cas, les directeurs et rédacteurs en chef n’ont pas été remplacés. « Il s’agissait de professionnels bien formés, qui connaissaient bien leur journal, avaient plusieurs décennies d’expérience, et, bien entendu, les investisseurs aussi préféraient que le journal dans lequel ils avaient investi continue à fonctionner sans interruption. » C’est ce qui, de son point de vue, explique l’hégémonie que la gauche a conservé pendant plusieurs décennies sur la presse hongroise.

Exposant la situation en Tchéquie, Matyas Zrno, éditorialiste principal de la section internationale de CNN Prima News, a affirmé que, des années 1990 jusqu’en 2008, les médias y constituaient un bon investissement, générateur de revenus substantiels. Les journalistes pouvaient par exemple se voir affecter un chauffeur, quand ils devaient se déplacer pour un reportage. Mais une fois que les gens, se tournant vers Internet, ont commencé à acheter moins de journaux, les salaires des journalistes ont eux aussi baissé. En 2013–14, finalement, la situation politique a à son tour changé : les médias se sont transformés en armements – même si cela n’a pas provoqué un anéantissement total de leur autonomie.

Concernant la Slovaquie, Krisztián Pomichal, journaliste pour ma7.sk, a souligné que l’influence des télévisions privées y est encore énorme. La télévision publique, en revanche, n’y est pas très populaire. Par ailleurs, 25% des Slovaques déclarent lire la presse quotidiennement – mais cette donnée n’est pas confirmée par la proportion des tirages effectivement vendue.

Les médias allemands, en proie au vertige du genre

Au cours de la décennie écoulée, les médias allemands ont subi des dommages considérables du point de vue de leur acceptation par la société – explique une journaliste de Die Welt, Birgit Kelle, également auteur d’un bestseller, lors d’une conversation avec Bence Bauer, directeur de l’institut germano-hongrois du MCC, dans le cadre de l’exposé intitulé « Manie du genre dans les médias ». D’après Birgit Kelle, il existe des sondages prouvant qu’une large part des consommateurs de contenus médiatiques ne juge plus crédibles les informations que véhicule la presse.

S’agissant des causes de cette évolution, elle évoque les inquiétudes que suscitent les engagements politiques des journalistes allemands : un autre sondage, en effet, montre que 90% des journalistes débutants et des jeunes diplômés des facultés de journalisme affirment voter pour les Verts.

Revenant au sujet du débat, Kelle a souligné que l’Allemagne s’est dotée d’un langage du genre qui est une langue à part entière – avec son propre vocabulaire, son propre système d’accentuation et sa propre grammaire –, dont l’emploi n’est plus limité aux médias et à la vie politique, mais imposé dans les universités, et même dans les églises. Pour Kelle, le problème que soulève ce processus, c’est que la société n’a été associée à aucun débat préalable aux campagnes du lobby du genre – et notamment à la propagation de cette langue du genre.

Le journalisme en ligne comme modèle économique ?

Les habitudes de consommation de contenus médiatiques s’étant profondément transformées, la clé de la réussite est aujourd’hui de combiner les différentes plateformes – c’est ce qu’a révélé, lors de l’une des tables rondes de la conférence, Ralf Schuler, reporter en chef du bureau parlementaire berlinois du journal Bild, dans le cadre d’une conversation avec Zoltán Szalai, directeur général du MCC et rédacteur en chef de Mandiner.

Ralf Schuler a exposé en détail comment, dans le cas de Bild, le modèle du média en ligne s’appuie sur trois piliers fondamentaux. La phase d’optimisation des contenus consiste entre autres à repérer les sujets les plus lus, à comprendre par où les lecteurs arrivent sur la plateforme et à identifier les types de contenus qui débouchent sur un maximum d’enregistrements et d’abonnements. Par ailleurs, un rôle important revient aussi à l’optimisation du moteur de recherche, ainsi qu’à la stratégie déployée sur les réseaux sociaux. A ce propos, il a fait remarquer que les contenus de son titre sont très populaires sur Facebook et sur YouTube, mais que Twitter, en revanche, ne procure pas de gains d’audience significatifs en Allemagne. « Nous accordons aussi beaucoup d’importance à snapchat, qui nous permet d’atteindre les classes d’âge les plus jeunes. Il est intéressant de constater que les contenus et émissions vidéo sont bien plus regardés sur YouTube que sur les plateformes télévisuelles. Tout cela montre bien une transformation en profondeur des habitudes de consommation médiatique. » Pour Ralf Schuler, nous n’avons plus aucun motif de nous étonner du fait que les nouvelles de la presse de boulevard intéressent bien plus de gens que les contenus politiques classiques.

Le bestseller d’Ed West, désormais disponible aussi en hongrois

En clôture de la seconde journée de la conférence, on a assisté à un lancement de livre des plus intéressants : celui de la traduction hongroise, prise en charge par le MCC, de l’ouvrage d’Ed West intitulé The Diversity Illusion: What We Got Wrong About Immigration & How to Set It Right (« L’illusion de la diversité : ce que nous n’avons pas compris concernant l’immigration, et comment réparer notre erreur »).

Pour Ed West, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont été, au cours des dernières années, le théâtre de processus semblables dans le domaine du jugement porté sur le concept de diversité. Ce journaliste britannique fait valoir que, en dépit du fait que les migrations et les mélanges ethniques soient un thème récurrent de l’histoire anglaise – et plus encore de l’histoire américaine –, ces processus n’ont pas débouché sur moins de tragédies par le passé qu’aujourd’hui – même si, par ailleurs, les processus observés au cours de ces dernières années montrent des divergences importantes.

En ce jour de la publication de l’édition hongroise de l’ouvrage, l’auteur s’est publiquement entretenu avec Tibor Fischer, qui dirige l’Atelier Littéraire du MCC, et Rodrigo Ballester, qui dirige l’Atelier des Etudes Européennes du MCC.

Tibor Fischer considère que, dans la perception britannique de l’immigration, ce sont les attentats de Londres qui ont constitué le moment du retournement de tendance : c’est à cette occasion qu’il est devenu évident pour beaucoup de sujets britanniques que l’image de la diversité que diffusent les médias ne correspond pas à sa réalité.

Au cours de la conversation, Ed West a rappelé qu’en Grande-Bretagne, le simple fait de parler de l’immigration entraîne bien des difficultés, ceux qui soulèvent la question s’exposant au risque de se voir taxer de racisme. Il pense que la culture britannique a engrangé une expérience qui la rend capable de résoudre le problème – mais que cette solution n’est pas l’ouverture des frontières, ni une propagande vantant les mérites d’un accueil illimité des migrants.

Les participants se sont quittés la tête pleine d’idées et de nouvelles connaissances pour affronter les défis qui attendent la presse dans les mois et années à venir.

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “Hongrie. La liberté d’expression à l’heure du digital. Retour sur le colloque organisé à Budapest par le MCC”

  1. patphil dit :

    mais qu’est ce que c’est ce pays où l’université organise des colloques où la parole est libre, diverse et contradictoire ?
    ils frottent leur cervelle contre celle d’autrui , montaigne n’est donc pas mort pour tout le monde !

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