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Brève analyse de la politique étrangère américaine

« Mais je soutiens que les crimes commis par les États-Unis durant cette même période [depuis 1945] n’ont été que superficiellement rapportés, encore moins documentés, encore moins reconnus, encore moins identifiés à des crimes tout courts. » Harold Pinter, Prix Nobel de la paix 2005

Les événements qui se déroulent actuellement à l’est de l’Europe doivent être analysés dans le contexte de la politique étrangère américaine. Sa première caractéristique est l’exceptionnalisme qui définit les Etats-Unis depuis leur création. Ils sont ou seraient la matérialisation de l’idéal républicain tel que l’imaginaient les philosophes du siècle des Lumières. Les Pères fondateurs étaient conscients de leur rôle dans l’histoire – rôle auquel Abraham Lincoln rendit hommage dans son discours de Gettysburg. Cette politique étrangère a aussi pour particularité de se présenter comme étant toujours du bon côté du droit, des droits de l’homme, de la liberté et de la démocratie. Mais une analyse plus fine en donne une autre version, plus intéressée, voire cynique. Elle jette un regard différent sur les évènements actuels et leurs répercussions dans le monde de demain.

L’hégémonie ou la destinée manifeste.

Aux lendemains de la dissolution de l’Union soviétique, le ministère américain de la défense rédige un rapport intitulé « Defense Planning Guidance », plus connu sous le nom de Wolfowitz Doctrine du nom de l’un de ses auteurs, Paul Wolfowitz[1]. Il y est dit en substance que les États-Unis étant débarrassé de leur ennemi numéro un, l’Union soviétique, ne supporteraient pas l’émergence d’un nouveau concurrent à l’avenir. Des extraits du rapport, publiés dans le New York Times en février 1992, choquèrent par l’arrogance du propos, mais très vite la chose fut oubliée. Une nouvelle ère commençait. Le monde était désormais unipolaire, et régi par les États-Unis. Francis Fukuyama sacralise ce nouvel ordre dans son livre : « La fin de l’Histoire et le dernier homme ».

En septembre 2000, un groupe de réflexion – Project for a New American Century – publia un document intitulé « Reconstruire les défenses de l’Amérique » qui se situe dans le droit fil de la vision que l’Amérique a d’elle-même, à savoir qu’elle est une force du bien destinée à assumer le leadership mondial. Pour ce faire, elle doit renforcer sa défense pour être en mesure d’intervenir à travers le monde. Pour atteindre leur objectif, les auteurs en appellent, assez étrangement, à un nouveau ‘Pearl Harbor’ ce qui a permis à certains de voir dans les attaques du 11 septembre qui eurent lieu un an plus tard, une matérialisation de cet appel.

Cette vision hégémonique du monde remonte loin dans le temps. En 1630, John Winthrop, avocat puritain et fondateur du Massachussetts, imaginait déjà la Nouvelle Angleterre en un phare éclairant le monde. En 1839, le journaliste américain, John L. O’Sullivan, affirmait que la destinée manifeste des Etats-Unis était de conduire le monde. Un siècle et demi plus tard, Barack Obama y fit référence dans deux de ses discours à l’Onu. Vladimir Poutine lui répondra dans son discours du 28 septembre 2015 à l’assemblée générale de l’Onu qu’il n’y a pas de nation exceptionnelle.

Voilà donc une vision bien ancrée dans la psyché américaine qui s’appuie sur une vision jeffersonienne du monde, oubliant celle plus réaliste et brutale d’Alexandre Hamilton qui mourut avant d’avoir donné la pleine mesure de son talent.[2] Mais, c’est cette dernière vision qui façonnera la politique étrangère quand il faudra lui donner une nouvelle impulsion à la fin du 19ème siècle. Le conflit entre progressistes – opposés à toute aventure hors des Etats-Unis – et impérialistes, menés par Théodore Roosevelt et Henry Cabot-Lodge se solda à l’avantage de ces derniers. La république agraire et démocrate rêvée par Thomas Jefferson s’effaça au profit d’une république commerciale et financière – celle dont rêvait Alexander Hamilton.

Du bon côté du droit

Mais cette république conquérante se heurtait à la vision que la nation avait d’elle-même, héritée des Pères fondateurs et défendue par des progressistes tel que William Jennings Bryan, trois fois candidat malheureux à la présidence.[3] La conquête de l’ouest étant finie, la vision de nouvelles terres à conquérir à l’étranger l’emporta sur l’isolationnisme du feu George Washington. En juin 1898, les Philippins proclamèrent leur indépendance, et demandèrent l’aide des États-Unis. Ils vinrent en conquérants et non en libérateurs. Après cinq ans de violents combats, le rêve d’indépendance s’émoussa et les Philippines devinrent un protectorat américain. Cet épisode faisait suite au Traité de Paris de 1898 qui mit fin à la guerre hispano-américaine, par lequel l’Espagne cédait l’île de Guam et Porto Rico aux Etats-Unis. Cuba, à l’origine de cette guerre, sera déclarée indépendante en 1902, mais en fait sous protectorat américain. Tant à Cuba qu’aux Philippines, les Etats-Unis sont du côté du droit, de la liberté et de la démocratie à l’origine du conflit, mais du côté de leurs intérêts lors de sa résolution.[4] Ce stratagème qu’ils avaient testé au Mexique de 1848, sera répété au Japon en 1853, puis à Pearl Harbor, au Vietnam, mais aussi en Irak, en Lybie, etc… A chaque fois, l’objectif déclaré est le même : défendre la liberté, la démocratie, s’opposer au communisme, détruire des armes de destruction massives (inexistantes), punir un dirigeant impertinent,[5] etc.

Il y a des exceptions à la règle. En avril 1917, c’est Woodrow Wilson qui, après une campagne présidentielle axée sur l’isolationnisme, déclare la guerre à l’Allemagne impériale suite au torpillage d’un paquebot américain par un sous-marin allemand. En janvier 1942, c’est Hitler qui déclare la guerre aux Etats-Unis, convaincu à tort qu’il incitera le Japon à déclarer la guerre à l’Union soviétique. Ironie de l’histoire, cela rendit service à Franklin Roosevelt qui ayant fait campagne sur l’isolationnisme pour sa réélection, s’interrogeait sur la façon d’entrer dans un conflit dont les Etats-Unis ne pouvaient être absents, et dont ils seront les grands bénéficiaires.

Ukraine : une victoire américaine

L’agression russe quelles qu’en soient les justifications, ternit durablement l’image de la Russie en Occident. En revanche, en Asie, les réactions sont étouffées, voire inaudibles. Pleinement conscients des enjeux, la Chine et l’Inde soutiennent discrètement la Russie dans son affrontement avec les Etats-Unis. Cette agression a aussi pour effet de mettre un terme temporaire, sinon définitif, à la mise en route de Nord Stream 2, un gazoduc nouvellement construit contournant l’Ukraine par la Mer Baltique. De ce fait, les liens économiques qui unissent l’Allemagne à la Russie sont amoindris, ce qui par ricochet rapproche l’Europe des Etats-Unis – un objectif constant de la politique étrangère américaine. Enfin, comme l’espère certains stratèges américains, la Russie sera peut-être empêtrée en Ukraine, comme elle le fut dans le bourbier afghan. Le coût économique et humain de l’occupation l’affaiblira, l’obligeant peut-être, à cours de ressources, à quitter la Syrie qu’elle a sauvé de la destruction.

Vladimir Poutine et Sergei Lavrov avaient répété à l’envie que la Russie n’avait aucune intention d’envahir l’Ukraine. Alors, pourquoi ce revirement ? Dans son allocution du 25 février, le maître du Kremlin donne trois raisons : le génocide du Donbass, la présence d’éléments néo-nazis dans les instances dirigeantes ukrainiennes, et les armes offensives livrées par les Occidentaux à l’Ukraine. Dans son discours du même jour, Volodymyr Zelensky rejette fermement ces accusations, et condamne l’agression russe.

Cette victoire pourrait cependant se révéler une victoire à la Pyrrhus. La décision de la Russie d’envahir l’Ukraine met fin à l’expansion de l’OTAN à l’est. L’Ukraine n’intègrera jamais l’OTAN.[6] Elle deviendra un protectorat russe. Les pays baltes, bien que membres de l’OTAN et donc protégés par l’Article 5, seront peut-être plus conciliants à l’égard de l’ogre russe pour ne pas l’importuner inutilement.[7] Ce conflit pourrait aussi affaiblir une économie mondiale rendue fragile par la crise du covid-19 et déclencher une récession dont toutes les nations pâtiraient, y compris l’Europe et les Etats-Unis.

Conclusion

Des circonstances exceptionnelles et des hommes de grands talents ont fait des Etats-Unis la nation la plus puissante au monde. La montée en puissance de la Chine, l’avènement de l’Inde, le relèvement de la Russie et l’impertinence washingtonienne – ébranlent cette puissance. Le conflit en Ukraine pourrait sonner le glas des ambitions américaines, et mettre fin au rôle de l’Occident dans les affaires du monde depuis le 16ème siècle.

Jean-Luc Baslé 

[1] Le second auteur est Lewis Libby, plus connu sous son pseudonyme Scooter Libby.

[2] Il fut tué dans un duel avec Aaron Burr, troisième vice-président des Etats-Unis.

[3] En 1896, 1900 et 1908.

[4] Lire “War is a racket” du general Smedley Butler.

[5] Muhammad Kadhafi.

[6] Si les Occidentaux gardent la tête froide. Putin’s Nuclear Threat – Consortium News 27 février 2022.

[7] Qui en effet, en Europe de l’ouest ou aux Etats-Unis, se porterait au secours de ces états en cas de conflit avec la Russie, au risque de déclencher une guerre atomique ?

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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0 réponse à “Brève analyse de la politique étrangère américaine”

  1. Wido van Kaaster dit :

    Quand un empire attaque et tire sur un de ses peuples historiques, ce peuple a le droit de faire sécession. L’ Ukraine est un pays libéré du joug russo-communiste depuis deux décennies et les ukrainiens ont le droit de ne pas vouloir rejoindre les héritiers spirituels du Goulag si tel est leur choix.
    Quand on s’appelle Breizh info on doit être solidaire des peuples qui se battent pour leur indépendance ou alors on change de nom. Entre l’hégémonie américaine et l’hégémonie russe il y a une troisième voie, celle des peuples libres.

  2. Dagobert dit :

    Renversement accusatoire comme d’hab . C’est le régime de Kiev , illégitime , car issu du coup d’Etat du Maidan en 2014 ds lequel les milices néonazies ont pris une part importante , qui a lancé une expédition militaire “punitive” contre la population du Dombass , car les gens du Dombass ne pouvaient admettre les nouvelles lois qui interdisaient l’enseignement et l’usage de leur langue materbnelle , le russe . Ils se sont défendus héroïquement , avec l’aide d’armes et de volontaires russes . Ce qui leur a permis de libérer des territoires , dont Poutine vient de reconnaître l’indépendance . La Russie actuelle n’est pas l’héritière spirituelle du Goulag . Cette affirmation révèle une totale méconnaissance de la nouvelle Russie.Voire d’une mauvaise foi écoeurante .
    Avec mon plus total mépris

  3. Gilles DELMAS dit :

    Vos affirmations sont erronées et travesties pour diaboliser la Russie en essayant de formuler une justification hégémonique qui fait fie de la génèse historique des évènements. Posez vous la question de savoir objectivement pourquoi les Russes ont été acculés à employer la force pour simplement défendre leurs intérêts comme les états unis ne se privent pas de le faire en se prenant pour les gendarmes du monde. Vive la paix, malheureusement, ce sont les états unis qui par toutes leurs manipulations sous terraines et leurs orgueil prétentieux organisent leur plan de domination du monde.
    Alors, il faudra s’attendre peut-être à des réactions du même ordre que l’attaque de leurs “tours jumelles”… Vive les peuples libres.

  4. Emile 2 dit :

    Ça fait plaisir de lire de tels articles ; je trouve que le tableau que vous brossez des US est bien gentil ; ce sont en réalité de vrais ordures qui ont commencé par exterminer les amérindiens et voler leurs terre ; la guerre contre le Japon est aussi de leur responsabilité avec les Anglais ,d’autres anglo-saxons ….pouah !!!

  5. “la Chine et l’Inde soutiennent discrètement la Russie dans son affrontement avec les Etats-Unis” Le moment est peut-être venu de rappeler que l’affrontement oppose la Russie à… l’Ukraine !

  6. Henri Romeuf dit :

    À lire : “Après l’empire – Essai sur la décomposition du système américain”, d’Emmanuel Todd, paru en 2002 déjà mais toujours d’actualité. L’auteur y démontre que le monde est devenu trop divers, trop développé, trop fort aussi, pour que subsiste un monde unipolaire rêvé par les États-Unis : le monde sera multipolaire, avec plusieurs pôles de puissance : le bloc occidental (les États-Unis, leurs affidés anglo-saxons et leurs vassaux européens), la Chine, l’Inde, la Russie, voire un pôle latino-américain et un bloc musulman allant de l’Indonésie au Maroc. Quoi qu’il en soit, les États-Unis, à leur grand déplaisir, deviendront une puissance comme les autres. Et ce sera mieux pour le monde et pour la paix !

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