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Guerre Ukraine-Russie : la prophétie autoréalisatrice

Ci-dessous un article de Pierre-Emmanuel Thomanndocteur en géopolitique, enseignant et expert sur les questions européennes et globales, qui s’efforce avec pédagogie, de nous faire comprendre, dans une série de 4 articles courts, agrémentés de cartes, riches en information, les véritables enjeux de la crise ukrainienne et les nouveaux équilibres géopolitiques mondiaux qui pourraient en découler.

Pourquoi la guerre entre la Russie et l’Ukraine a t-elle éclaté de manière aussi rapide ? A partir du moment où les propositions russes ont été rejetées en bloc par les Etats-Unis et les membres de l’OTAN, une aggravation de la situation n’était qu’une question de temps, mais pourquoi si vite ? Les historiens débattent encore aujourd’hui sur les causes et le déroulé des évènements et décisions qui ont abouti au déclenchement de la première guerre mondiale et il en sera ainsi pour ce conflit. Toutefois, en gardant à l’esprit les nombreuses incertitudes du brouillard de la guerre, voici mon hypothèse.

Paradoxalement, c’est la guerre de communication des Anglo-Saxons accusant la Russie d’une invasion imminente qui a provoqué l’accélération des évènements. On peut poser l’hypothèse que c’est un bon exemple de prophétie auto-réalisatrice. La guerre de communication des Anglo-Saxons et gouvernements atlantistes a ensuite évolué depuis le déclenchement du conflit en accusant la Russie d’une invasion non provoquée de l’Ukraine. Il s’agit en réalité, non pas d’une invasion, mais d’une opération de neutralisation de l’Ukraine après plusieurs décennies d’actions hostiles des Etats-Unis et leurs allés de l’OTAN envers la Russie depuis la disparition de l’URSS. Cette campagne de désinformation largement relayée par les médias française et allemands n’a d’équivalent que la propagande des Etats-Unis lors de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, et celle de la province serbe du Kosovo en 1999. Le déclenchement de l’opération militaire russe ne s’est d’ailleurs pas produite à la date annoncée par les médias et membres des gouvernements anglo-saxons, mais décalée dans le temps à la suite d’un enchaînement plus complexe de tractations diplomatiques et d’évènements sur le terrain.

En effet, reprenons le déroulé des évènements.

La Russie a fait des propositions en décembre 2021, aux Etats-Unis et à l’OTAN, pour une nouvelle architecture de sécurité européenne, incluant l’arrêt de l’élargissement de l’OTAN, notamment à l’Ukraine, la promesse de pas installer des systèmes d’armes aux frontières de la Russie, et un retour des capacités et des infrastructures militaires du bloc en Europe à l’état de 1997, date de la signature de l’Acte fondateur OTAN-Russie. La seule réponse des Etats-Unis (et son allié proche le Royaume-Uni) a précisément été le déclenchement d’une guerre de communication accusant la Russie d’une invasion imminente, afin de détourner le regard sur leurs propres objectifs. C’est à dire refuser toute négociation substantielle sur l’élargissement de l’OTAN, torpiller à l’avance toute négociation séparée des Européens, notamment les tentatives des diplomaties françaises et allemandes, et accélérer les livraisons d’armes à l’Ukraine qui a ensuite repris les bombardements contre le Donbass. L’objectif non-explicite était de provoquer une guerre entre la Russie et l’Ukraine, en utilisant cette dernière comme force militaire supplétive pour affaiblir la Russie sans envoyer un seul soldat américain.

La Russie avait de son côté vraisemblablement anticipé plusieurs scénarios. Soit les médiations européennes .aboutissaient à une promesse de stopper l’élargissement de l’OTAN avec la négociation d’un nouveau traité de sécurité européen, soit la Russie serait contrainte, comme elle l’avait annoncé dès 2021, de procéder à des mesures technico-militaires pour assurer sa sécurité, mais aussi celle du Donbass, qui n’a en réalité jamais cessé d’être sous les bombardements ukrainiens depuis 2014, depuis qu’il ont gagné leur guerre d’indépendance après le coup d’Etat à Kiev. La situation pouvait vraisemblablement encore se détendre, si les Européens avaient clairement promis dans un traité de geler de manière définitive l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et éviter de promettre de livrer des armes à l’Ukraine, et si l’Ukraine avait aussi enfin accepté de mettre en oeuvre les accords de Minsk, Toutefois les accords de Minsk n’étaient déjà plus décisifs ,car ils ne pouvaient être pleinement efficaces que dans une négociation plus globale sur une nouvelle architecture de sécurité, dont l’arrêt de l’élargissement de l’OTAN. Selon ce scénario, les Russes ne seraient sans doute pas intervenus. La médiation européenne, trop tardive n’a pas abouti, car il n’y a pas eu de promesse sur le fond et les gouvernement français et allemands n’ont pas élaboré de position clairement différente et indépendante des Etats-Unis. .Les Européens ont en même temps largement relayé le narratif des Etats-Unis, et l’UE a démontré quelle n’était qu’un annexe de l’OTAN sur cette question. L’Ukraine n’a pas cessé de réclamer une adhésion à l’OTAN tout en maintenant des troupes massées aux frontières du Donbass et intensifiant les bombardements sur la ligne de front du Donbass.

La dégradation rapide de la situation aux frontières du Donbass a donc convaincu les Russes , que l’option d’une négociation substantielle était impossible et que la volonté des Etats-Unis, et leurs alliés européens était de poursuivre l’otanisation inexorable et accélérée de l’Ukraine. La préparation d’une offensive dans le Donbass (à l’image du président Ukrainien Poroshenko en 2014 en contradiction avec sa promesse de négocier avec les républiques séparatistes du Donbass) était même à terme de plus en plus probable. L’option de la reconnaissance des républiques indépendantes du Donbass pour assurer leur sécurité et l’option de la neutralisation de l’Ukraine, car les deux objectifs ne sont pas séparables, est devenue une nécessité. L’Ukraine devenait une anti-Russie et un Etat-front armé par les membres de l’OTAN dans la cadre de la création d’un arc d’instabilité autour de la Russie. Les extensions successives de l’OTAN menacent les frontières de la Russie et ont pour objectif depuis la chute de l’URSS de la repousser dans ses terres continentales, et empêcher l’émergence du monde multipolaire pour préserver la suprématie des Etats-Unis (vois carte) en Europe et dans le monde. Ce d’autant plus qu’ils sont en régression géopolitique depuis l’échec de la tentative de changement de régime Syrie, et le départ d’Afghanistan. Idéalement ils souhaitent aussi provoquer un changement de régime sur la territoire de la Russie, comme en Ukraine.

L’opération militaire russe est évidemment une réplique au changement de régime à Kiev en 2014, et perçu comme une libération pour les Ukrainiens souhaitant la meilleure relation possible avec la Russie, voire une réunification, a fortiori dans le Donbass C’est le retour du balancier géopolitique, Les gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Unis parlent désormais d’une invasion provoquée, alors qu’ils sont responsables de cette évolution, en refusant de stopper l’otanisation de l’Ukraine, et sachant parfaitement qu’il s’agissait d’un casus belli pour la Russie. Celle-ci l’a démontré depuis la guerre Russie-Géorgie en 2008. De plus, pour les Russes , il ne s’agit pas d’invasion, car ils considèrent qu’il s’agit de libérer les Ukrainiens d’un régime illégitime sous contrôle des Etats-Unis. Le statu quo n’est plus possible.

Cela fait longtemps que les Etats-Unis cherchent à provoquer une guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui est leur proxy Pour être plus précis, ce nouveau conflit est en réalité une guerre entre les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN contre la Russie avec l’Ukraine comme bélier qui sera au final sacrifié dans cette agression atlantiste qui dure depuis 1991. Mais les conséquences géopolitiques, contrairement aux attentes des gouvernements atlantistes, ne leur seront pas forcément favorables car dans le monde multipolaire, il sera très difficile d’isoler la Russie. Les gouvernements français et Allemands ont encore raté une occasion de montrer qu’il pouvaient être indépendants des Anglo-Saxons. La décision de livrer des armes à l’Ukraine démontre a postériori, que leur tentative de médiation n’était pas crédible sur les question de fond, et souligne leur alignement sur les priorités géopolitiques des Etats-Unis, et leur rôle de supplétifs. C’est un mauvais calcul, car une chose est sûre, la Russie ne peut pas perdre cette guerre, car il s’agit de son intérêt vital, non seulement géostratégique mais aussi du point de vue de la continuité de la Russie historique. Les membres des gouvernements actuels allemands et français, dont les visions du monde sont modelées par les idéologies atlantistes et mondialistes hors sol, sont non seulement incapables d’identifier et de préserver les intérêts des nations qu’ils sont censés incarner, mais ils sont aussi des somnambules de la géopolitique.

Pierre-Emmanuel Thomann

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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8 réponses à “Guerre Ukraine-Russie : la prophétie autoréalisatrice”

  1. Marquette dit :

    voilà un récit clair et vraiment plausible. Enfin. Bravo

  2. Michel Bugnon-Mordant dit :

    Une très bonne analyse, précise et représentative du contexte géopolitique ayant lancé la guerre de libération par la Russie de l’Ukraine américanisée. Pour la Russie, il s’agit effectivement d’une question existentielle : si elle ne faisait rien, les missiles nucléaires américains allaient être, à terme, à quelques minutes de portée de Moscou. En agissant, toutefois, elle rend également service aux Etats-Unis en suscitant une réprobation générale de l’action russe. Remarque : dommage que cet article ne soit pas irréprochable du point de vue grammatical, notamment la ponctuation.

  3. Mouchet dit :

    Excellente analyse en effet mais j’ajouterai aussi l’aspect financier qui concerne la fin de la prépondérance du dollars et l’effondrement du système des dettes occidentales de plus de 190’000 milliards irremboursables. La Russie la Chine et l’Asie en général ou 14 pays ont signé des accords commerciaux avec la Chine dont l’Inde, ne souscrivent plus à ces dettes occidentales. On la vu à l’ONU c’est tout de même 5,2 milliards d’habitants qui soutiennent la Russie et certains obligé car sur ordres des USA. Les échange commerciaux et énergétiques 60% ne s’expriment plus en dollars, mais en rouble yuan roupies. Et cela depuis 2008 depuis la crise financière déguisée en “Subprimes” par les USA ou l’Europe a perdu 6600 milliards. Alors la Russie et la Chine ont créé ensemble la banque commerciale des investissements et des infrastructures la BCII avec une garantie OR pour les échanges selon la demande. Depuis 2008 ces 2 pays ont vendus leurs créances en dollars des USA en achetant en contre partie de l’or Les USA ont toujours annoncé que si un pays producteur de gaz pétrole ne voulait plus de dollars serait anéanti sous un prétexte quelconque ou confié à des tiers, On l’a vu en Irak en Syrie et en Lybie. Dans ce conflit les USA menacent la Chine si elle soutient la Russie. C’est une erreur fondamentale, la Chine avec 2500 ans d’histoire ayant horreur de recevoir des ordres et va au contraire appuyer la Russie discrètement. Conclusion l’occident se trouve face à la Russie et l’Asie qui détiennent 60% des ressources mondiales en tout. L’Europe comme le cite l’article devra choisir son camps ert ne plus jouer l’autruche.

  4. Courivaud dit :

    Excellent.
    Encore !!
    Merci à Breizh-Info d’avoir pris cette initiative de publication.

    • Pouchkine dit :

      Mr François BLAISE, quelles autres options crédibles et réalistes pour la Russie ? D autant que Jacques BAUD un ancien des services Suisses nous informe dans diverses interviews et sur la base de constats faits par les observateurs de l OSCE présents sur place, chaque “alerte!” US et UK d’une imminente invasion Russe était comme par magie suivie dans les heures d’après par des bombardements Ukrainiens sur le Donbass.
      A l’analyse froide des faits et du contexte, IL SEMBLE BIEN QUE LES RUSSES AIENT ETE PIEGES !
      Mais ce qui me semble curieux c’est bien la lâcheté ET Française ET Allemande, à n’avoir rien fait pour empêcher ce conflit.

  5. François BLAISE dit :

    C’est une bien curieuse “guerre de libération” que mène la Russie: plusieurs millions de réfugiés qui préfèrent l’exil à la “libération” et des destructions matérielles considérables qui rendront l’Ukraine “libérée” encore plus attrayante.

  6. patphil dit :

    résultats : des jeuness russes et ukrainiens payent le pris du sang et nous payons les augmentations des prix;
    il y a deux mois, c’était à cause du covid
    le mois dernier, à la Réunion, c’était à cause du cyclone
    aujourd’hui même les paysans prétendent que c’est à cause de la guerre en ukraine!
    marre d’être pris pour des crétins

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