Buenos Aires, vendredi 11 au soir : le gouvernement de Javier Milei annonce ce que d’aucuns attendaient depuis des lustres et que d’autres redoutaient comme on redoute l’orage dans la moiteur d’un été argentin — la fin du« cepo cambiario », ce contrôle des changes qui, depuis des années, soumettait les citoyens argentins à un contrôle tatillon de l’achat de devises étrangères, au nom d’une stabilité qui n’était qu’apparente.
L’événement, dont la portée est autant psychologique qu’économique, a suscité des commentaires généralement favorables dans les milieux financiers — sauf, il faut le noter, dans certaines marges éditoriales françaises où l’hostilité au réel semble relever d’un principe de méthode. Ainsi, dansMediapart, l’inénarrable Romaric Godin, jamais avare d’une lecture manichéenne, a cru voir dans ce geste un abandon de souveraineté au profit de marchés cupides, sans même prendre soin de consulter la réalité argentine, laquelle, comme souvent, ne se laisse pas aisément réduire aux fantasmes de la lutte des classes.
Il est vrai que le peso officiel, dès l’ouverture du marché lundi matin, a connu unedépréciation immédiate, tombant de 1107 à 1233 pesos pour un dollar. Les plus empressés y ont vu le signe d’une déroute. Or, depuis ce point haut, la devise argentinen’a cessé de se raffermir, atteignant 1179 pesos dans les derniers relevés. Voilà qui dément les prédictions alarmistes de certains analystes de plateau, qui n’hésitaient pas à annoncer des niveaux de 1300 à 1400 pesos, prophéties auto-réalisatrices proférées avec l’assurance de ceux qui ne paient jamais le prix de leurs erreurs.
Le gouvernement, de son côté,n’est pas resté les bras ballants. Fort d’un accord rénové avec le Fonds monétaire international, il a pu compter sur une injection de 12 milliards de dollars, permettant au pays de reconstituer des réserves désormais portées à 36,8 milliards. Ce matelas de devises donne au marché la sensation — rare en ces latitudes — que l’État tient les rênes. Le président Milei l’a d’ailleurs dit sans ambages : il n’y aura pas d’intervention du Banco Central tant que le dollar ne touche pas le bas de la bande fixée, soit 1000 pesos.
Cenouveau régime de flottement encadré— ou « système de bandes » — laisse la monnaie osciller entre deux bornes (1000 et 1400 pesos), avec pour ambition de restaurer un marché unique, prévisible et transparent. L’effet immédiat a été une harmonisation des taux entre les différents segments : le dollar MEP, le CCL (comptant avec liquidation), le blue (marché parallèle), tous ont convergé vers le même niveau, abolissant de fait les disparités grotesques héritées du régime antérieur.
Toute réforme d’ampleur charrie son lot de remous. Anticipant une dévaluation plus sévère, certains industriels argentins ont pris la liberté d’augmenter fortement leurs prix, notamment dans l’agroalimentaire. On cite l’exemple d’une huile alimentaire, entièrement produite en Argentine qui a vu son prix augmenter de 18 % ! Ce fut le cas pour les livraisons prévues cette semaine. Mais pour une fois, la grande distribution a tenu bon. Les principales chaînes de supermarchés — Carrefour en tête — ont refusé les hausses et menacé derecourir massivement à l’importation, notamment depuis le Brésil et l’Uruguay. Cette fermeté inédite a marqué une rupture dans les rapports de force.
Derrière cette séquence, c’est l’idée même dediscipline monétairequi revient au premier plan. Loin des bricolages successifs, le programme en place repose sur une politique monétaire restrictive et des taux en pesos rehaussés, dans le but de contenir les anticipations inflationnistes et de stabiliser la monnaie. Il s’agit, au fond, d’un pari sur la vertu. Le gouvernement parie que, libérés de l’arbitraire bureaucratique, les agents économiques se montreront plus raisonnables qu’on ne le suppose souvent.
Bien entendu, tous les acteurs ne sont pas encore en mouvement. Exportateurs et importateurs, prudents, attendent de voir si la tendance se confirme. On leur laissait jusqu’à la semaine dernière la possibilité de liquider 20 % de leurs recettes à un taux parallèle bancaire et 80 % au taux officiel, ce qui revient à un « dollar blend » relativement avantageux. Aujor’hui, ce régime a disparu au profit d’un dolalr officiel simple, dont le cours actuel ne leur plus assi favorable. Si le cours venait à baisser trop vite, certains — notamment chez les exportateurs de céréales — pourraient être tentés de retarder leurs ventes. Le gouvernement, anticipant cette réaction, a d’ores et déjà prévenu qu’un retour des droits d’exportation à taux pleinest prévue dès le mois de juin et qu’ils ont tout intérêt à rapatrier leurs ventes avant cette date.
Pour l’instant, les marchés semblent donner crédit à la parole gouvernementale. La confiance, en Argentine, est une denrée rare et fugace. Mais pour la première fois depuis longtemps, on observe un alignement des planètes : réserves reconstituées, cohérence du message, engagement international renforcé, et surtout une volonté manifeste de rompre avec les illusions du passé. La finance publique argentine, habituée aux ravaudages, semble vouloir désormais tailler dans l’étoffe.
Tout n’est certes pas gagné. Le risque pays demeure élevé, les actions cotées à la Bourse de Buenos Aires ont connu des reculs, et certains investisseurs étrangers continuent de regarder le pays avec méfiance. Mais les obligations souveraines ont connu une semaine florissante, et les indices exprimés en dollars s’inscrivent en légère hausse. Ce n’est pas un triomphe, mais c’est un début.
Qu’on me permette, en guise de conclusion, de rappeler cette maxime d’un vieux banquier français du XIXe siècle : « L’argent fuit le bruit et s’enracine dans la confiance. » En Argentine, le silence revient peu à peu, et l’argent, peut-être, recommence à s’y sentir chez lui.
Balbino Katz
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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2 réponses à “Argentine : l’heure du courage monétaire”
C’est un traître. Il a vendu l’or de l’Argentine aux Anglais…
milei devait sauter après avoir utilisé la tronçonneuse ! il semble que le peuple lui fait de plus en plus confiance, les gauches européennes meurtries